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Billet de blog 24 septembre 2011

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L'excuse sociologique

Encore un piège du sens commun pour lequel rattacher un acte criminel à un contexte social par des liens éventuels de causalité c'est purement et simplement affranchir ses auteurs de toute responsabilité personnelle. C'est une arme favorite de la droite qui dénonce invariablement toute parole sociologique sur un acte de délinquance comme excuse de cet acte. La gauche, puisqu'elle est sociale par essence, se trouve de facto créditée d'avoir le laxisme dans son ADN. Le seul fait de prendre un acte criminel comme objet de connaissance a donc valeur de signe d'excuse : c'est "l'excuse sociologique".

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Encore un piège du sens commun pour lequel rattacher un acte criminel à un contexte social par des liens éventuels de causalité c'est purement et simplement affranchir ses auteurs de toute responsabilité personnelle. C'est une arme favorite de la droite qui dénonce invariablement toute parole sociologique sur un acte de délinquance comme excuse de cet acte. La gauche, puisqu'elle est sociale par essence, se trouve de facto créditée d'avoir le laxisme dans son ADN. Le seul fait de prendre un acte criminel comme objet de connaissance a donc valeur de signe d'excuse : c'est "l'excuse sociologique".

David Cameron à la renverse ...

Dés qu'il est confronté aux récentes émeutes en Angleterre le premier ministre britannique prétend qu'elles n'ont rien à voir avec les politiques sociales (qui auraient échoué) mais qu'elles ont été motivées "par la volonté de voler". Pour lui, "c'est de la criminalité pure et simple. Et il n'y a pas d'excuse pour cela ".Cependant, quelques jours après, il déclare : "les problèmes sociaux qui couvent depuis des décennies nous ont explosé au visage", et il pointe du doigt l'Etat qui a "toléré (...), encouragé parfois, certains des pires aspects de la nature humaine", promettant une "révision" des politiques notamment "sur les écoles, les prestations sociales, l'éducation des enfants". Le voilà donc déjà dans l'explication sociale et même si c'est pour orienter sa politique vers le pire, il n'empêche qu'il réintroduit objectivement le sujet social qu'il avait préalablement exclu au profit du seul sujet de droit. Mon propos n'est pas de produire quelque jugement de valeur entre ces deux postures au demeurant très banales notamment dans les prétoires au moment de "l'enquête de personnalité". En effet, en plongeant dans l'histoire sociale des accusés, en cherchant à comprendre comment leurs actes peuvent s'écarter à ce point de la normalité on ouvre la porte à une argumentation de type causal qui débouche souvent sur un transfert de responsabilité de l'individu vers la société : ce sont les "circonstances atténuantes". Les mêmes faits donnent donc naissance à deux signes successifs qui ne cesseront de coexister.

Un signe immédiat : tous indéfendables ...

Tout commence avec "l'émotion du tout ensemble", à savoir l'effet que les singularités connues d'un délit ou d'un crime produisent sur chaque personne. Des destructions gratuites, des vols avec violences, des crimes barbares qui soulèvent le cœur produisent des rejets immédiats suivis dans l'instant par une condamnation sans appel de leurs auteurs. La question est réglée sur le champ ; un signe est construit par une interprétation finale de type émotionnel. Les auteurs des faits sont déclarés indéfendables sans autre forme de procès et ceci avec une force directement proportionnelle à celle de l'émotion soulevée par leurs actes. A peine commencé le processus d'interprétation est clos : la punition la plus sévère doit être appliquée, sans examen.

La construction sociale d'un signe "civilisé"...

Mais tous les êtres humains ne sont pas dominés par leurs émotions, et c'est bien ainsi. Si la reproduction et la généralisation de faits semblables peut être prévenue c'est autant de victimes potentielles qui seront évitées. Il est donc légitime voire nécessaire de mettre les faits "à distance", d'en inventorier les causes efficientes éventuelles ainsi que les moyens d'agir sur elles. Les causes sont certes multiples et seules celles qui possèdent un fort degré de généralité pourront être prises en compte (c'est la raison pour laquelle les crimes dits passionnels paraissent d'emblée hors de portée). Dans l'ordre psychologique on pourra s'efforcer de détecter et de suivre dès leurs premières incartades des personnalités pathologiques mais c'est dans l'ordre sociologique que l'on pointera combien les conditions de vie extrêmes faites à certaines populations peuvent générer des comportements individuels et de masse insensés, dépourvus de tout respect d'autrui et même de toute humanité. Les mêmes faits apparaîtront dès lors comme autant d'instances de lois non écrites mais bien à l'œuvre dans le corps social (appelées "habitus" par Pierre Bourdieu, à savoir dans ce cas des modes intériorisés d'interprétations) des lois qui ne pourront être effacées que par une action efficace (et coûteuse) sur leurs causes. On retrouve ici bien entendu le vieux débat prévention vs répression et la question du dosage de l'une et de l'autre dans l'action publique à mener. C'est la raison qui devra guider cette dernière et la sortie du champ des émotions qu'elle implique sera vécue par tous ceux qui se seront identifiés aux victimes comme une véritable trahison. Car le passage est littéralement "catastrophique" : il y a un avant et un après quand on passe de l'émotion à l'intellectualisation abstraite et généralisante (donc déchargée de toute émotion).

Le conflit permanent

Dans ce conflit sémiotique structurel la dénonciation de toute recherche de causes comme autant de recherche d'excuses est une arme d'une efficacité redoutable. L'émotion qui s'impose avec autant de force réinstalle dans les esprits la nostalgie de la vieille loi du talion comme seule capable d'endiguer l'accroissement de la criminalité opposant ainsi une loi à une autre loi. Le pouvoir actuel s'est tourné sans réserve vers l'exploitation à tout va des émotions : lois de circonstances "à l'unité", réception systématique médiatisée des familles des victimes à l'Elysée, déclarations fanfaronnes sur le vif des ministres successifs de l'Intérieur, annonces d'hypothétiques milliers de places de prison, exhibition de boucs émissaires, etc ... Le FN dont c'est le fonds de commerce a naturellement surenchéri ...

Pourtant plutôt que de déplorer des milliers de victimes et casser sans grand succès du délinquant à la chaine n'est-il pas préférable de casser le moule qui les produit ?

Mais si on arrivait à casser ce moule il faudrait trouver d'autres émotions à exploiter et d'autres excuses à dénoncer ...

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