Les commentateurs usent et abusent de la métaphore du siphon. Une image simple et commode pour décrire les migrations des électeurs du FN entre 2007 et 2011. Pas seulement d'ailleurs puisqu'il semblerait que des électeurs de l'UMP aient aussi migré. Le terme «migration», une autre métaphore, apporte une dimension supplémentaire qui m'autorise à qualifier les migrants de «pigeons», tant il est vrai qu'une telle mobilité présuppose une crédulité à toute épreuve.
Deux métaphores combinées à expliciter ...
Un siphon fonctionne en application directe du principe des vases communicants selon lequel quand des récipients ouverts contiennent un liquide et communiquent entre eux de telle sorte que le liquide puisse passer librement de l'un à l'autre, les surfaces libres du liquide dans les récipients se mettent immédiatement au même niveau. On a donc deux réservoirs connectés (FN et UMP) et des électeurs qui migrent dans un sens ou dans l'autre selon qu'ils sont attirés ou repoussés par des forces faciles à identifier. Car essentiellement ils sont mus par l'espoir d'une vie meilleure induit par le chant des sirènes qui s'élèvent des deux réservoirs. Ils ont cru en 2007, entre autres, qu'en travaillant plus ils gagneraient plus, que l'identité nationale, le voile et la burqa étaient des problèmes urgents à régler, qu'on allait garantir leur sécurité et exorciser leurs peurs sans parler du talisman des "réformes". Voilà qu'ils croient aujourd'hui que la suppression de l'euro, la fermeture des frontières, la préférence nationale peuvent résoudre en 2011 les problèmes aggravés depuis 2007 par des politiques faites en réalité par et pour les responsables de leurs malheurs. Ce n'est pas leur faire injure que de les appeler "pigeons" au sens familier de "personne crédule qui se laisse facilement duper au jeu ou en amour, synonyme de dupe ou gogo", enl'étendant quelque peu à la politique.
Les vaseux communicants
Le sens des échanges entre les deux réservoirs varie en fonction de la conjoncture et des politiques de communication qu'elle inspire dans chaque camp. Le principal ressort est la peur. Effrayer des pigeons désespérés en souffrance sociale est devenu un Sport National piloté par les cellules spécialisées de communication de chaque camp qui se livrent à une surenchère d'épouvantails au point que des cohortes de pigeons ruraux formatés uniquement par les écrans de la télévision se sont précipitées dans le tuyau. Pendant ce temps la question sociale reste pendante, les difficultés qui s'aggravent produisent de nouvelle situations de désespoir lesquelles génèrent continûment autant de nouveaux pigeons potentiels. Et ainsi de suite ... Jusqu'à quand ?
Il faut leur parler ... Mais comment le faire sans se poser comme des donneurs de leçons, surtout lorsqu'on ne partage pas leur sort ? Croit-on pouvoir les influencer en prenant des postures morales et culpabilisantes ? Quand ils auront été siphonnés plusieurs fois, ne seront-ils pas littéralement devenus tous siphonnés, dans l'autre sens du terme, définitivement inaccessibles aux arguments de la raison ?
Si la question sociale n'est pas traitée, alors, dans un temps peut-être très proche, on pourra vraiment se faire du souci pour la République et pour la Démocratie.