Aujourd’hui, même si toute cette période politique n’est pas purgée l’ensemble de la documentation et des analyses mettent en lumière sans contestation possible du rôle de nations extérieures qui se sont immiscées dans un choix souverain du peuple chilien. Les Etats-Unis en tête mais ils ne sont pas les seuls ont contribué a cette période obscure de la guerre froide en Amérique Latine qui envoyait déjà, à l’époque, le message que la Démocratie avait ses limites et que ces dernières étaient décidées à Washington et non au sein du peuple chilien souverain. Le cynisme absolu est à son paroxysme, sans doute, avec la remise du prix Nobel de la Paix à Henry Kissinger en 1973 au même moment où le même était l’instigateur du Coup d’Etat chilien et des conséquences politiques et humaines qu’il a pu avoir.
En 1976 ce dernier se rendait à Santiago et disait au dictateur Pinochet les mots suivants : « Nous sympathisons avec ce que vous essayez de faire ici. Vous avez rendu un grand service à l’Occident en renversant Allende ». Dans cette simple phrase se niche ce qui est encore porteur d’actualité dans les événements chiliens qui ne peuvent se réduire en réalité à un simple moment mémoriel mais au contraire comme un moment paroxystique de l’explication de ce qui est à l’œuvre aujourd’hui.
En effet les contradictions portées à un si haut niveau et le sacre du cynisme au nom de la paix mondiale ont constitué pendant plusieurs décennies, le terreau qui organise le nouvel « ordre » mondial actuel. Ces contradictions entre démocratie et liberté qui ne sont assignées qu’aux pays choisis qui se rangent derrière les normes économiques du leader de « l’Occident » n’ont cessé de saper la légitimité du « modèle » présenté et ont généré du ressentiment au sein des peuples qui ont vécu cette période comme inique, de l’Amérique latine à l’Afrique, l’Asie ou encore le proche Orient. A la suite de la longue période de décolonisation qui n’est sans doute pas tout à fait close, il n’est donc pas étonnant que se constitue ce qu’on dénomme le « Sud Global » qui est présenté, par beaucoup de commentateurs et parfois des spécialistes, comme un ramassis de pays qui n’ont rien en commun. Il me semble que dire cela est une faute. Car s’il est quelque chose qui soude l’ensemble de ces pays, c’est sans nul doute le fait d’avoir été traité comme des acteurs de second rang et leur avoir imposé des règles qui n’étaient pas les mêmes qu’aux autres. Dans le cadre de la mondialisation, avoir cette histoire commune est un puissant ferment de cohésion et un moteur d’action conséquent. Sans doute, pas encore, pour élaborer une alternative, mais en revanche suffisant pour interroger l’ordre établi par certains dont la légitimité est remise en cause tant les contradictions sont insupportables. La faiblesse actuelle des Nations Unies, issue de la dernière guerre mondiale en est un cruel exemple.
C’est aussi cela une des leçons du Chili et de ce onze septembre 1973.