Robin MINGUELY

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Billet de blog 14 avril 2020

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« Je suis maître de moi comme de l'univers ; / Je le suis, je veux l'être. »

La rhétorique est un jeu de masques plus ou moins bien portés. Dans son discours du 13 avril 2020, le Président de la République Emmanuel Macron a porté tout un dressing politique, du masque révolutionnaire de 1789 au masque pseudo-patriotique du Front-National. Le masque qui, pourtant, s'est distingué des autres en réalisant leur synthèse, est le masque du sauveur. Analyse rhétorique.

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       Selon la tradition du césarisme1, Emmanuel Macron se pose en sauveur de la situation. En attestent, dans son discours, l'omniprésence du pronom personnel « je » et les nombreux verbes d'action au futur de l'indicatif (« j’y serai attentif » ; « je tâcherai de porter en Europe notre voix » ; « je tâcherai de dessiner ce chemin qui rend cela possible »). En effet, le « je » présidentiel est beaucoup plus fréquent que les groupes nominaux désignant les institutions républicaines ou les travailleurs eux-mêmes. Quant aux verbes d'action, ils annoncent l'action présidentielle au moyen d'un temps verbal (le futur de l'indicatif) qui relève de la promesse (l'indicatif est le mode des choses sûres) tout autant que du providentialisme (le futur est le temps de l'à-venir).

     Macron, en somme, se définit personnellement comme celui qui prévoit « l'après », en toute lucidité, à notre place et pour notre bien. Il s'affiche comme étant doué de prouidentia, synthèse entre la vertu romaine de la prévoyance et l'essence chrétienne de la divinité. On retrouve là, non seulement un ressort rhétorique traditionnel, celui de l'homme providentiel (César, Napoléon, De Gaulle), mais aussi un orgueil politique personnel, celui du chef autoritaire. L'autoritarisme d'Emmanuel Macron s'illustre dans son occupation totale du premier plan, tout en cherchant à se légitimer par l'arrière-fond historique du providentialisme. Le meilleur exemple en est « cette certaine idée qui fait la France », expression reprise à Charles De Gaulle. En s'affiliant au gaullisme, Macron se pose en nouveau De Gaulle. Ce rapprochement avait déjà été opéré par Macron dans son discours du 16 mars dernier : « j’appelle tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français à s’inscrire dans cette union nationale »2, avait-il dit. Macron a voulu faire son « Appel du 18 juin », comme le soulignent deux outils rhétoriques : 1- l'énumération, comme chez De Gaulle : « j'invite les officiers et les soldats français […] j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés »3, 2- le principe de l'union, inspiré de De Gaulle aussi : « Voilà pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à s'unir à moi dans l'action, dans le sacrifice et dans l'espérance. »4. Or, nous ne sommes pas en guerre, et Macron n'est pas le nouveau chef de la France Libre.

      Mais voici le trait principal du discours présidentiel du 13 avril : la croyance de Macron en la performativité de sa parole. Qu'est-ce qu'une parole performative ? C'est un mot ou un discours qui a immédiatement des conséquences concrètes. Autrement dit : une parole qui est aussi une action. « Quand dire c'est faire », écrivait Austin. Par exemple, lorsque le chef d'un peloton d'exécution dit « Feu ! », les soldats exécutent cet ordre sans délai, ce qui se traduit par la mort immédiate des condamnés. A l'inverse, quand Cambronne s'écrie « Merde ! » face aux Anglais qui demandent sa reddition sur le champ de bataille de Waterloo, ce n'est pas une parole qui a le pouvoir d'être performative : c'est une parole qui a la beauté d'être expressive. Macron fait comme si son discours était performatif, précisément pour sembler fort. Il semble penser qu'il suffit de dire une chose pour que cette chose soit.

      Pour preuves, on peut citer non seulement ses annonces providentialistes, qui entretiennent l'image du sauveur, mais surtout ses vérités-toutes-faites, qui lui permettent d'étouffer dans l’œuf les critiques.

  • Quand Macron dit « je souhaite qu’avant le 11 mai, nos Assemblées puissent en débattre », il prévient les critiques d'autoritarisme en affichant son respect de la séparation des pouvoirs et du pluralisme. Or, dans cet état d'urgence sanitaire qui leur confère davantage de pouvoirs, on a vu à quel point la présidence et le gouvernement se sont montrés sourds aux propositions des députés, que ce soit pour valider les demandes, par les travailleurs eux-mêmes, de réquisition d'entreprises stratégiques, ou pour répondre devant eux de l'organisation poussive et maladroite des dernières semaines. Macron n'a pas à « souhaiter » en personne l'intervention des Assemblées : il est en demeure démocratique et constitutionnelle de la respecter. De la même façon, un météorologue n'a pas à « souhaiter » que la pluie mouille : il est en nécessité de le constater, comme tout le monde.

  • Quand Macron dit ensuite que « cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie, ni mordre sur quelques libertés », il convient encore une fois de se rappeler qui parle. Après avoir intégré les dispositions de l'état d'urgence au droit commun, après avoir instauré des arrestations et des garde-à-vue sur le principe de la présomption de culpabilité lors du mouvement des « Gilets Jaunes », après avoir usé de l'alinéa 49-3 de la Constitution pour étouffer la discussion parlementaire dans le cadre de la réforme des retraites, voilà que Macron présente la présidence et le gouvernement comme les garants de la démocratie et de la liberté ! Il ne suffit pas de dire ce que l'on veut que les autres croient, pour que cela efface la réalité de ce que l'on a fait.

  • Quand Macron dit que nous sommes les « concitoyens d'un pays qui débat, qui discute, qui continue de vivre sa vie démocratique, mais qui reste uni », non seulement il croit effacer la réalité de son autoritarisme sous des paroles démocratiques, mais il subordonne finalement le dynamisme démocratique au mythe de « l'union nationale », qui lui est contraire. L'union nationale consiste – et a toujours consisté – à se rallier au chef en gommant ses convictions partisanes. Or, suivre un chef lui-même partisan n'est pas vivre de « sa vie démocratique ».

  • Enfin, quand Macron répète son souci d'honnêteté et d'humilité, la répétition des mots elle-même indique la volonté d'être performatif : « en toute humilité », « avec humilité », « moi le premier », « soyons honnêtes ». Si le Président Macron a réellement un sursaut d'humilité et une prise de conscience de ses limites, très bien. Mais cela ne change rien au problème : il ne suffit pas de vouloir l'être pour l'être. La répétition du lexique de la sincérité prouve au contraire que Macron veut forcer ses auditeurs à croire en cette sincérité et, pour ainsi dire, à effacer l'ardoise : le tic de langage « croyez-le » en est un parfait exemple.

      Ainsi, sous le masque fédérateur du sauveur, Emmanuel Macron laisse entrevoir le visage de l'orgueil autoritaire. L'orateur Macron a les objectifs d'un valet du capitalisme tout autant que ceux d'un futur candidat. Le mythe de l'union nationale et le masque du sauveur sont utilisés pour rallier à lui le plus d'électeurs .rices possible et pour continuer de faire adhérer ces électeurs .rices à l'organisation capitaliste. C'est pourquoi Macron tente d'embrasser toutes les références politiques. Il va de « l'utilité commune » de 1789 au « patriotisme » clinquant du F.N., en passant par la figure de De Gaulle qui est devenue quasi-consensuelle.

     À quoi voit-on le vrai visage de Macron ? Quels sont, sous ces différents masques, les traits du futur candidat et du pro-capitaliste ? Nous prendrons trois exemples.

  • Exemple n°1 : le mot « imprévisible ». En qualifiant la pandémie d'imprévisible, Macron se soustrait aux accusations d'incompétence et d'impréparation. Car, au fond, on ne peut prévoir ce qui est imprévisible. Ce simple adjectif, redoutablement bien choisi, camoufle derrière l'émergence imprévisible du virus, l'imprévoyance structurelle de l'économie et la lenteur criminelle de l'Exécutif.

  • Exemple n°2 : le mot « produire ». « Il nous faudra rebâtir notre économie plus forte afin de produire et redonner plein espoir à nos salariés, nos entrepreneurs, garder notre indépendance financière. » Le verbe produire est transitif direct : il a normalement un complément d'objet (produire des masques, produire des fruits, produire du papier), et parfois un complément circonstanciel indiquant par quel moyen ou de quelle manière on produit. Ici, l'emploi absolu du verbe « produire » dispense l'orateur de poser les problèmes : Que produit-on ? Comment produit-on ? Ce simple verbe trahit l'attachement de Macron au credo productiviste. Car seul le productivisme parle de « produire », tout court.

  • Exemple n°3 : le mot « refondation ». Les mots ont un sens, et le caractère conscient ou inconscient de l'orateur qui les prononce ne change rien à l'affaire. Macron donne volontairement des accents de socialisme et d'humilité à son discours. Mais ses mots trahissent ses intentions profondes : « refondation » n'est pas « fondation ». Refonder quelque chose pré-suppose que l'on conserve cette chose pour la réinventer. Refonder le modèle économique revient à conserver le capitalisme, dont on sait qu'il est habile à changer de forme. Le préfixe re- employé par Macron contient toute sa volonté de ne pas changer les fondements de l'économie capitaliste – économie qui est pourtant la cause des souffrances et des morts actuelles : à côté de « refondation », on trouve « rebâtir » (deux fois) et « nous réinventer ». Or, qui est ce « nous » ?

      Ne laissons pas à celles et ceux qui ont organisé notre désastre le soin de le réorganiser sur les mêmes bases. Bannissons le « nous » présidentiel, qui est celui du capitalisme, pour imposer le « nous » réel des travailleuses et des travailleurs, et plus largement des êtres vivants. Car c'est bien le capitalisme productiviste qui a organisé la pénurie des masques, l'engorgement des hôpitaux, de même qu'il avait organisé la misère prolétarienne et les charges militaires sur les piquets de grève, et comme il organise encore la pollution cataclysmique de notre environnement. Veut-on laisser aux mêmes organisateurs le soin de maquiller la même organisation ?

     Laisse-t-on les clefs à celui qui a incendié la maison ?

1 Le titre de ce texte est une parole que prononce l'empereur César-Auguste dans la tragédie Cinna, de P. Corneille (acte V, scène 3).

2 « Appel du 18 juin » sous sa forme publiée la plus longue.

3 Même endroit.

4 « Appel du 18 juin » sous sa forme condensée pour l'affichage et le tractage.

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