Ce texte est une traduction de l'article de Philip Olterman paru le 10 mai dans The Guardian : https://www.theguardian.com/world/2025/may/10/slovenia-to-vote-in-referendum-on-artist-pension-that-has-fostered-culture-war
L'opposition populiste slovène a lancé une campagne contre les artistes « dégénérés » afin de faire échouer le projet du gouvernement visant à accorder des compléments de retraite aux artistes primés.
Les électeurs de ce pays d'Europe centrale se prononceront dimanche lors d'un référendum sur un projet de loi du gouvernement qui détaille les conditions et les modalités selon lesquelles certains artistes peuvent prétendre à une allocation qui viendrait s'ajouter à leur pension.
Pour que la loi référendaire soit rejetée, au moins un cinquième de l'ensemble des électeurs slovènes, soit 2,12 millions de personnes, doivent voter « non ». Le nombre de « non » doit également représenter plus de la moitié des suffrages exprimés.
Le projet de loi, adopté par le Parlement en janvier, a été préparé par le ministère de la Culture, dirigé par la présidente du parti écosocialiste de gauche, Asta Vrečko. Le gouvernement, composé d'une coalition entre le Mouvement de la liberté (droite libérale), les sociaux-démocrates et les partis de gauche, affirme qu'il ne fait qu'appliquer une réforme attendue depuis longtemps, puisque des dispositions spéciales en matière de retraite pour les personnes méritantes existent dans les textes de loi depuis 1974, lorsque la Slovénie était l'une des républiques de Yougoslavie. Ces dispositions législatives visent à soumettre les calculs de pension retraite à des critères objectifs plutôt qu'au seul bon-vouloir du ministre de la Culture en place.
En tête des sondages un an avant les élections nationales, le Parti démocratique slovène (SDS - extrême-droite populiste), a toutefois trouvé dans cette modification relativement technique d'une loi vieille de 50 ans un terrain fertile pour mener une guerre contre les "élites" culturelles, ou perçues comme telles. Le référendum a été initié par le parti, dirigé par Janez Janša, ancien Premier ministre.
Janša, admirateur de Donald Trump et à la tête du SDS depuis 1993, a déclaré en mars que l'art classique était « remplacé par toutes sortes de modèles dégénérés et dérangés qui se prétendent « modernes » ». Son choix de l'adjectif izrojen fait écho au terme utilisé par le parti nazi allemand pour dénoncer l'art moderne, entartete ou « dégénéré ».
Depuis février, des affiches et des panneaux publicitaires ont été placés dans les villes slovènes avec l'image de l'artiste slovène Maja Smrekar allaitant un chien, accompagnée du slogan : « Le changement pour le peuple, le prestige pour l'élite ».
Smrekar, 47 ans, a déclaré que cette image était utilisée sans son autorisation et qu'elle était sortie de son contexte, puisqu'elle faisait partie d'un projet plus vaste intitulé K-9 Topology, qui explore les liens entre les humains et les chiens.
Au cours d'une résidence de quatre mois au Freies Museum de Berlin en 2015-2016, l'artiste née à Brežice a suivi une formation psycho-endocrinologique pour induire la lactation et a allaité un chiot berger, comme « une forme de solidarité et de soins entre espèces ». En 2017, K-9 Topology de Smrekar a remporté le trophée Golden Nica au Prix Ars Electronica en Autriche, le prix le plus prestigieux de l'un des plus anciens concours d'art média au monde, suivi du prix de la Fondation Prešeren en Slovénie en 2018.
Selon les nouveaux critères proposés par le gouvernement, la combinaison de ces récompenses donnerait droit à Smrekar à une pension complémentaire équivalente à 50 % de la différence entre sa pension actuelle et la pension la plus élevée calculée sur la base de 40 ans de service.
« Depuis les quatre semaines de collecte de signatures pour le référendum, j'ai reçu de nombreuses menaces et des messages très offensants via divers canaux de communication », a-t-elle déclaré au Guardian. « Lorsque la politique décide ce qui est de l'art et ce qui n'en serait pas, c'est la démocratie qui s'effondre. »
Le SDS de Janša, qui a gouverné la Slovénie pendant près de neuf des vingt dernières années et a octroyé sept « pensions spéciales » pour mérite culturel en 2022, affirme que les nouvelles règles proposées entraîneraient une augmentation de la part des fonds publics alloués à des personnes « privilégiées », notamment celles « qui ont très peu, voire pas du tout, contribué au fonds de pension ». Un porte-parole du SDS a déclaré : « Pendant ce temps, plus de la moitié des retraités vivent en dessous du seuil de pauvreté. »
Cette campagne référendaire s'inscrit dans le contexte d'une réforme plus large des retraites engagée par le gouvernement du Premier ministre Robert Golob, à la demande de la Commission européenne, qui prévoit de repousser l'âge de la retraite de 60 à 62 ans pour les personnes ayant travaillé 40 ans.
Le gouvernement affirme que si son projet de loi entraînerait dans un premier temps une augmentation des pensions spéciales pour les artistes en attente, la charge globale pour les contribuables finirait par se stabiliser à un coût inférieur à celui prévu par l'ancienne loi.
Sur les 83 artistes bénéficiant d'une pension spéciale en Slovénie, 33 sont des proches qui en ont hérité du bénéficiaire initial en vertu de la loi de 1974. Le projet de loi révisé supprimerait la règle de l'héritage.
La commission électorale nationale slovène a estimé que le coût du référendum sur le projet de loi pourrait s'élever à environ 6,6 millions d'euros. « Le référendum est utilisé à mauvais escient comme une campagne électorale, qui plus est très coûteuse », a déclaré Mme Vrečko, la ministre de la Culture, au Guardian.
Golob, nouveau venu aux élections de 2022, a appelé les électeurs à boycotter le scrutin, s'attirant les foudres de l'opposition. Lors des élections slovènes de 2022, son Mouvement de la liberté a créé la surprise en remportant la victoire, à contre-courant d'une tendance électorale favorable à un gouvernement populiste de droite dans les pays d'Europe centrale et orientale tels que la Hongrie et la Serbie.
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Addendum
Le "non" l'a emporté lors du référendum du 11 mai. Plus de 92 % des votants se sont prononcés contre le projet de loi du gouvernement, avec un taux de participation de 26 % (soit environ 400 000 personnes).
Maja Smrekar a porté plainte contre le SDS pour l'utilisation frauduleuse de son image. Une campagne de soutien et de dons pour l'aider à payer les frais de justice va être lancée dans les prochains jours.