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Billet de blog 6 janvier 2016

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Pourquoi l'écologie ne peut-elle pas être de droite ?

Des milieux naturels et de la façon d'y vivre jusqu'aux impératifs de production, l'écologie politique intéresse une poignée de « bourgeois » (définis comme habitants des villes, ayant un certain niveau intellectuel). Ce n'est pas au politique à penser à l'écologie, mais à l'écologie à repenser le politique.

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La pensée écologiste en tant qu'écologie politique est encore récente, on le sait : elle s'impose dans les années 701. Son principal défaut est d'être rentrée en politique pour mettre en avant non pas une problématique « politique », mais une problématique éthique : la question qu'elle soulève n'est pas d'abord « comment mieux vivre ensemble ? », mais « comment sauver la planète ? »

C'est présupposer que le commun des mortels a déjà tout (le minimum) pour vivre et qu'il peut s'adonner à des projections et des spéculations intellectuelles (aussi importantes et légitimes soient-elles, là n'est pas le problème). C'est, si l'on veut, mettre la charrue avant les bœufs... Comme, évidemment, les partis écologistes ont pris rapidement conscience de cette difficulté, ils se sont mis à lutter non pas pour s'imposer, mais pour infiltrer et orienter la politique de partis plus importants, ce qui est toujours aussi problématique (d'où la question récurrente : faut-il participer à un gouvernement, en sachant que nous serons toujours les dindons de la farce ?). De là à conclure que l'écologie politique est dans une impasse – voire même une aporie – le pas n'est pas difficile à faire. Car si sauver la planète ne nous fera pas nécessairement mieux vivre ensemble (position philosophique idéaliste), en revanche mieux vivre ensemble nécessite coûte que coûte de « sauver la planète » (pragmatisme). Sans quoi, il est probable que la vie humaine disparaisse, comme les dinosaures (à peu près) se sont éteints2.

La question du « mieux vivre ensemble » est la question politique par excellence, et arrive avant celle de la sauvegarde de la planète. L'écologie ne devrait pas être le principe (étymologiquement ce qui est en premier) d'une politique – ni même une fin (finalité), mais bien un moyen.

Il y a même un effet pervers à poser en principe l'écologie : elle devient alors un fantôme de la structure spectaculaire-marchande, comme on peut le voir (et le regretter) à chaque élection, et de manière flagrante à chaque COP...

L'écologie comme critique de la modernité

La pensée écologiste marque le point de rupture avec la modernité. Cette modernité définie comme la certitude de la possibilité de toute puissance de l'humain.

En quoi consiste cette « toute puissance » ?

Par les sciences (savoirs et savoir-faire), l'humain a considéré comme naturelle (« innée ») cette certitude de pouvoir contrôler et améliorer la nature. Si la science a des effets néfastes, c'est à la science de les corriger (c'est en sens qu'il faut remettre en question l'idée de « progrès » en science). Historiquement, nous pouvons déconstruire l'opinion d'une « toute-puissance » humaine en l'analysant comme un transfert de la conception divine vers l'individu, comme cela a été le cas (grosso modo : nous pourrions évidemment affiner cette analyse) à la Renaissance, quand l'Homme a été mis (et non « remis ») au centre de l'univers. « L'Homme, mesure de toute chose », comme on le prétend dans le Gorgias de Platon... Déplacement symbolique (révolution copernicienne) : l'Homme, déjà perfectible (c'est une des conditions de la possibilité de salut), devient en plus maître de l'univers.Les Lumières, la Révolution française, le Positivisme (qui a abouti à la loi de 1905) dont on trouve encore des relents dans l'existentialisme sartrien (« l'existentialisme est un humanisme »), étaient fondés sur les mêmes principes. Mais à partir des années 70, la conscience collective des limites du « progressisme » s'élargit. Conscience qu'on pourrait croire tardive alors que l'industrie a transformé les villes anglaises en mouroir depuis le XVIIIe siècle, comme on peut le voir chez Walter Scott par exemple. En 1952, pour prendre un autre exemple fameux, le Grand Smog fait 4000 morts (peut-être 10 000 morts en tout, en incluant les mois qui ont suivi). Pourtant la certitude en la science et ses capacités illimitées avaient retardé une prise de conscience populaire : ne lui devait-on pas d'avoir éradiqué de graves maladies, d'avoir fait reculer la mortalité, notamment infantile, d'avoir amélioré le quotidien, apporté le confort, offert le loisir, et cela de mémoire d'homme ?). L'argument avait même justifié – moralement – le colonialisme de Jules Ferry (« apporter le progrès » comme osent encore le soutenir quelques politiciens aujourd'hui, en sous-entendant donc « à des peuples encore attardés »).

C'est justement au moment de la décolonisation3 que la pensée écologiste fait son apparition dans la sphère politique. Quand la remise en cause de l'idée de supériorité occidentale accompagne la reconnaissance de l'indépendance d'autres peuples (évidemment, qu'on ne nous parle pas ici de « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes »...). C'est l'échec à la fois de la pensée universaliste imposée aux non-occidentaux (dont l'architecture de Le Corbusier est un triste symbole) et la prise de conscience que derrière des discours – qui ne sont même pas « beaux » mais qui peuvent le paraître4 – se dissimule l'intérêt économique qui n'a aucun rapport avec l'homme5. C'est autour de mai 68 et bientôt de la crise pétrolière de 1973, puis de l'accident nucléaire de Tchernobyl, qui vont accélérer la diffusion des préceptes de l'écologie politique.

Et c'est ici que réside la difficulté.

Remise en cause des préceptes de l'écologie politique

Qu'est-ce qu'a fait alors l'écologie politique ? Il s'est agi, pour elle, de critiquer la gestion des territoires (sauvegarde, conservation, protection), sans remettre en question les infrastructures économiques elles-mêmes. Ou de manière si timide que cette remise en cause a toujours été malingre. Évidemment la peur de subir les foudres des acteurs du système critiqué a été la cause de cette sourdine (puisque l'objectif n'était pas là). Ce qui a fait qu'en Allemagne – où, on le sait, l'écologie politique est pionnière – il y a eu une écologie de droite et une écologie de gauche. C'est aussi que la pensée écologiste elle-même est issue – ou a été rendue possible – par les politiques économiques qui ont modelé la société dans laquelle elle est née. Pour le dire autrement : c'est l'essor de l'Allemagne de l'ouest qui a permis à une certaine bourgeoisie de développer une pensée écologiste6 : c'était aussi dévier la dissidence, traditionnellement (et instinctivement si l'on peut dire) tournée vers l'économie, la canaliser vers l'écologie. Toujours question d'éco, la « maison » en grec, c'est-à-dire la propriété.

En effet, il y a un détournement de la notion de propriété dans le discours écologiste.

Essayons d'analyser (déconstruire) la pensée écologiste à travers son discours.

Qu'on nous permette d'être synthétique : « Il faut sauver la planète, nous fait dire cette pensée écologiste, car nous la léguons à nos enfants. Et pour eux, nous ne pouvons pas la léguer détériorée. La planète appartient à nos enfants, pas à nous : nous n'avons pas le droit de la détruire, nous sommes responsables. »

Il y a un flou autour la notion de « possession » : « notre » planète. Malgré l'affirmation, selon la logique même de ce discours, la planète n'appartient pas plus à nos enfants qu'à nous, puisque nos enfants diront la même chose (qu'elle appartient à leurs enfants, etc). Cet avenir jamais retrouvé (une « recherche du temps à venir ») invalide la légitimité de l'éthique qui se dégage du discours : si c'est pour nos enfants qu'on doit agir, pourquoi alors devrait-on encore agir si ce n'est en fait pour personne ?

Mais ce n'est pas le plus gênant : que la planète soit un patrimoine, qu'elle ait un capital, dont la gestion doit être impeccable afin que ce capital ne perde pas de sa valeur, voilà qui compromet, dans ses fondements mêmes, la pensée écologiste. Car ce discours d'écologie politique, non seulement ne diffère en rien du discours structurel de l'économie (inhumaine, nous l'avons dit) capitaliste, mais pire : il la soutient. C'est en s'appuyant sur cette pensée sous-jacente, ces fondements, que certains peuvent affirmer : « l'écologie n'est pas le monopole de la gauche » (référence à la répartie de Giscard d'Estaing à Mitterrand en 1974).

L'écologie est une question d'économie

C'est autant parce qu'elle soutient la droite que parce qu'elle en est profondément issue, que cette pensée (et d'abord ce discours) n'est pas recevable. L'écologie gagne à être pensée en termes d'économie. Et quel est le principal problème de l'économie ? La répartition des richesses. Admettons cela pour l'instant. C'est ce que soutient Picketty dans le Capital du XXIe siècle, c'est ce que défendait justement Mitterrand (avec l'honnêteté que l'on sait...) face à Giscard d'Estaing quand celui-ci botta si joliment en touche (la répartition des richesses, « c'est presque une question d'intelligence, c'est aussi une affaire de cœur » avait lancé le candidat malheureux).

Pour Picketty, la répartition des richesses est la question économique, qu'il faut replacer au centre des débats. Ce qu'il avait tenté de faire en rédigeant le programme économique du candidat Hollande (car il est toujours confortable de retomber dans le giron de l'illusion du pouvoir). Mais c'est encore se positionner sur des fondements productivistes. Car avant la répartition des richesses – et de manière qui nous touche tous encore plus directement – l'enjeu est bien la production elle-même. Qu'est-ce que cela veut dire ? La question revient à établir le meilleur ratio entre la production et notre bien-être (en présupposant ici que les bien-êtres individuels et collectifs sont inextricables).

Deux points se posent que nous ne développerons pas ici : en quoi notre consommation personnelle a un impact sur la production collective (ici le substrat éthique est aussi problématique que dans l'affirmation que le vote de chacun inversera une courbe générale) ? Comment simplement « calculer » le bien-être ? (on cite souvent béatement le Bhoutan, mais leur quotient « bonheur » présuppose déjà une définition du « bonheur » ce qui, on l'admettra, est totalement ridicule)

En fait, il faudrait aussi comprendre en quoi la production est liée au « bien-être » ? À quel point permet-elle le confort et la santé ? De quel confort parle-t-on ? De quelle santé même ? On se rappelle que cette question n'est pas d'aujourd'hui : les stoïciens (que reprendront les utilitaristes anglais, puis les pragmatistes américains) avaient longuement développé – et de manière assez réussie – cette question qui est sans conteste centrale.

À propos de l'écologie, une chose est sûre : la production actuelle dégrade notre quotidien. Pollution de l'air, des mers, des campagnes, des montagnes, des rivages, des fleuves. Pollution directe et indirecte des aliments. Les randonneurs savent commme il est difficile de trouver un paysage sans la rumeur de la circulation ; combien de vallées sont devenues des caisses de résonance de la seule route qui les traverse ? Mais avant les transports (on dit que l'alcool est la première cause de mortalité sur la route, mais il est à peu près sûr que ce sont plutôt les camions...), il y a les usines. Que produisent ces usines ? C'est cela qu'il faut savoir. Non pas pour délocaliser afin de pouvoir réhabiliter des friches industrielles en espaces culturels où de braves artistes fonctionnaires et bourgeois dénonceront les excès honteux d'un système qui pourtant leur permet de subsister, mais pour abandonner ces productions : que mange-t-on de surgelé, de déjà cuisiné, de conserves dont on pourrait se passer ? De viande quotidienne qui, de plus, nous empoisonne ? Pourquoi porter des vêtements de marque ? Pourquoi en tirer un certain prestige ? Pourquoi y a-t-il plus de prestige à s'acheter un objet coûteux plutôt qu'à se le fabriquer soi-même, ce qui mettrait en avant notre habilité, notre curiosité, notre créativité, etc ? Tout le monde pourra convenir que c'est absurde. C'est bien sur ces représentations qu'il faut travailler, en même temps que sur des mesures politiques.

En guise de conclusion

La question écologique est d'abord une question économique. En tant qu'elle interroge les modes de production, qu'elle nécessite leur bridage, qu'elle impose la remise en cause du système économique, qu'elle se détache d'une vision téléologique de l'humain, elle ne peut pas être de droite. Ainsi elle ne peut pas être réglée par quelque Conference of Parties que ce soit, et pour preuve : la première des COP a eu lieu, en 1995, à Berlin évidemment...

On ne veut pas nier l'existence de l'écologie de droite. Mais cette écologie de droite est tout simplement inepte.

***

1La pensée écologiste est aussi vieille que l'on monde, si l'on veut, et en tant que « philosophie », elle est forcément politique (qu'on prenne comme exemple les nature writings américains, issus en grande partie de Thoreau), mais nous bornons ici sciemment notre propos.

2Certains diront : « et pourquoi pas ? », mais c'est un autre sujet.

3On pourrait alléguer des raisons industrielles aussi (matières premières, etc).

 4Des « beaux discours »... Les mauvaises volontés utilisent toujours de faux « beaux discours », ceux de la morale, de l'éthique, du bien commun, etc. C'est même un moyen de repérer les concepts problématiques et qu'il faut remettre en cause : si un concept apparaît dans un « beau discours », c'est qu'il est pourri et qu'il faut le reformuler. Car la pire léthargie s'insinue dans un discours qui nous pense. Il faut donc sans cesse produire un effort de déconstruction, de redéfinition, de reformulation...

5Cette idée, qui peut paraître dogmatique, a pourtant été amplement développée, et prouvée, par les penseurs les plus exacts. Citons par exemple Anselm Jappe, dans son essai intitulé Guy Debord : « le développement de l'économie devenue indépendante, quelle que soit sa variante, ne peut qu'être l'ennemi de la vie humaine » (Denoël, 2001, p.20) Il cite alors Lukacs.

6Le détachement et la distanciation ne sont permis que par un certain niveau social et économique : qu'on jette un coup d’œil sur les membres des organisations et des group(uscul)es dissidents, on ne trouvera – à quelques exceptions près – que des fils de « bourgeois » dans le sens large du terme. Julien Coupat, pour prendre un personnage devenu symbolique, est fils de médecin... Nous sommes loin des « intellectuels organiques » voulus par Gramsci.

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