UNE RÉPUBLIQUE DU COMMUN DE L’AVENTURE DES PEUPLES.
Peu avant la dernière élection présidentielle, nous avions affirmé que cette dernière ne pouvait, quel qu’en soit le résultat, répondre à elle seule aux défis de notre époque. Les partis dits de gauche ont échoué quand ils sont parvenus au pouvoir. Quand ils ont voulu l’imposer par la force y compris au nom du communisme, ils ont évolué vers des totalitarismes essentiellement au service des pouvoirs autoritaires. Quand ils ont accédé au gouvernement par voie électorale, ils se sont assez rapidement réfugiés dans le renoncement, voire dans la trahison en défaisant des acquis sociaux auxquels la droite traditionnelle n’avait pas encore osé s’attaquer.
Où en sommes-nous en cette rentrée ?
Notre scepticisme pré-électoral ne s’est pas dissipé. L’Assemblée Nationale, lieu de la « représentation » populaire est de plus en plus une devanture masquant des décisions décidées dans des cercles restreints, rendant toujours plus les citoyens spectateurs de la vie politique qu’on leur impose. Le terme de République est mis à toutes les sauces, celles de nos États démocratiques sont sous la coupe de la montée en puissance de nombreux et complexes produits financiers évoluant par crises que les peuples doivent subir à cela s’ajoute la mise en péril de notre planète.
Les citoyens du 21ème siècle ne sont pas ceux du 20ème, ils ne croient plus aux programmes politiques construits dans les arrière-boutiques des partis. L’indécence des stades climatisés est un déni qui en dit long sur la crise de la valeur liée au pouvoir de l’accumulation monétaire. L’anthropocène est avant tout celui de la mondialisation financière poussée à la caricature jusque dans les dictatures autoritaires, « communistes » ou post-coloniales.
Nous sommes devant un fait anthropologique nouveau, hermétique aux recettes politiques usuelles. Comment comprendre la proposition de 6ème République et la montée des abstentions au sein même du peuple de gauche ? Comment comprendre les propositions de salaire universel, d’une valeur « travail » opposable aux allocations ou encore cette limitation des revenus : « au-dessus de 4000 €, je prends tout », alors qu’une vague qualifiée de « la grande démission » se forme sous nos yeux. L’impératif de recourir à de nouvelles aspirations, à de nouvelles valeurs, à une nouvelle culture de nous-mêmes, à de nouvelles pratiques politiques ne cesse de se faire jour. N’est-ce pas ce que nous dit Jacques Rancière dans « Penser l’émancipation » quand il interroge, « Ou bien on pense la politique comme une science de la manière de diriger le troupeau humain, ou bien on pense à l’inverse que la politique existe justement parce que cette science n’existe pas, parce qu’il n’y a pas de pasteur ».
Nous sommes tous concernés par la monstruosité de nos mises en scène dominantes de la question de la valeur.
Ce que le collectif refuse de voir fait souvent retour dans les "impensés" en acte de chacun. À côté de la « grande démission », des nations peuvent se précipiter dans les bras du premier bonimenteur en simplification des problèmes avec désignation des coupables sur fond d’augmentation d’abstention et de détresse sociale.
Nous ne pouvons pas oublier que, par quelque bout qu’on la prenne, la politique a quand même pour finalité le vivre ensemble. Tout le reste relève de la gestion de quelques-uns sur la vie de tous les autres.
Notre langage nous a laissés croire qu’il était d’une telle puissance d’analyse, qu’il permettait à certains d’entre nous de se prendre pour des « parvenus du vivant ». Toute notre histoire est infiltrée par un imaginaire d’une instance supérieure attestant de notre supériorité sur le vivant. Nos dispositifs de représentation en sont profondément infiltrés tout autant que l’idée d’avant-garde éclairée, ou encore celle des dogmes d’une vérité économique imposant son « parvenu métapolitique ».
L’explication en conscience, que certains détiendraient avec assez d’évidence qu’il suffirait de bien expliquer aux populations en attente de conscientisation, n’a abouti à rien d’autre qu’à une course entre l’obtention de quelques subsides et l’adaptation des possédants pour les reprendre. Cette idée de pouvoir répondre aux défis actuels par le rétablissement d’une vérité politique, qui attendrait depuis des lustres dans les tiroirs des penseurs de notre bien-être n’a cessé d’être battue en brèche par l’histoire. Il n’est pas sûr que cette réduction de la pensée politique à la diffusion de la vérité des plus éclairés ne réapparaissent pas vêtu de neuf dans bien d’autres domaines, en particulier celui de la lutte contre les atteintes à notre environnement, à nos écosystèmes où les « sachant » détiendraient l’ensemble des réponses qu’il suffirait alors de mettre en place. Nous reconnaissons le caractère positif et nécessaire de nombreuses luttes qui ont permis de limiter les dégâts, jusqu’à sauver des vies, mais cela ne saurait suffire. Nous apprenons des scientifiques, ceux qui se coltinent aux énigmes de la matière, de l’infiniment petit et de l’infiniment grand qu’il n’y a pas de sciences de la vérité, mais dépassement par à-coups d’une preuve partagée de nos erreurs, bien loin du triste combat des intérêts et des égos de nos arrivistes du vivant.
Il nous faut quitter la politique du prêt-à-porter des réponses pour tous pour oser faire nôtre la complexité. Nous ne rêvons pas de la complexité pour la complexité, elle est là sous nos yeux, elle ne cesse de prendre en défaut nos certitudes, il suffit de regarder la complexité mobilisée par l’idée de laïcité, par la question de la valeur du travail, par la notion de juste rétribution... Nietzsche allait jusqu’à dire que la réponse était le meurtre de la question, remarque salutaire si l’on entend par là que les réponses doivent naître d’un travail toujours à remettre sur les différentes mises en forme possibles des problématiques. C’est ce travail sur la complexité qui peut nous relier les uns autres et nous protéger contre l’uniformisation de la pensée qui, même dans le meilleur des cas au nom du bien, finit toujours par imposer la figure du bon pasteur, sauveur suprême, de ses bons moutons. La gestion des hommes regroupés en cohorte s’est substituée au débat politique, nos démocraties en sont venues à sous-traiter la politique auprès d’agences publiques ou privées, le parti politique dominant devenant celui de l’abstention. Notre commun ne relève pas de l’uniformisation d’une même réponse pour tous inscrite dans le code qui délimite le permis et l’interdit comme celui de la route. Notre commun réside dans la politisation de ce qui nous unit au sein de nos diversités. Notre commun ne peut se limiter à un meilleur partage du fromage, il est nécessaire de lutter contre les 90% détenus par 10% d’entre nous, mais il nous faut aussi discuter de sa qualité, de ce qu’il porte en lui au-delà de sa réduction, voire de son inadéquation pour satisfaire nos saveurs et besoins, pour donner de l’horizon au sens de nos existences.
Nous pouvons facilement établir un certain nombre de choses qui pourraient nous être communes, mais il nous faut aussi accepter que ce qui nous est le plus commun le sens de notre rapport au monde, au plaisir, à la satisfaction, à la déception, à la tristesse, à la colère, à la soumission, à la révolte concerne en chacun ce qu’il y a de plus difficile à échanger avec les autres. Les délires de richesse sans limites, autre que la fabrique d’une multitude de démunis chez lesquels il suffirait d’aller se nourrir de ce qui leur manque pour donner du sens à l’accumulation de richesse insensée, est en train de détruire notre planète et porte gravement atteinte à l’ensemble des vivants bien au-delà de notre espèce.
Il y a urgence à renverser la table soutenant la catastrophe annoncée, et pour ce faire, il nous faut construire de nouveaux modes de vie, inscrire notre espèce dans le partage possible d’un nouveau style.
Il n’y a là rien d’abstrait bien au contraire nous parlons du concret de nos vies, de notre « plus commun », celui qui un temps fut dévolu à notre « plus-value ». À ceci près que notre plus-value ne peut plus être limitée à celle qui s’objective dans le travail comme marchandise, mais aussi dans celle qui en dernier ressort nourrit le poids imaginaire que nous donnons à nos vies, celle que nous pouvons partager à l’aide d’un regard qui dit ce que les mots ne parviennent pas à exprimer, celle qui s’enquiert de la déception amoureuse d’un semblable, celle qui donne au minimum vital bien plus qu’un simple chiffrage de la survie, celle qui fait de l’augmentation du SMIC une nécessité conjoncturelle qui ne doit pas masquer que notre « vivre ensemble » ne peut être restreint au seul « survivre ensemble » pour une majorité des peuples.
Nous le constatons tous les jours, nous avons un besoin de mise en commun qui dépasse le partage quantifiable des objets consommables ou plutôt qui font que l’importance du partage des objets consommables ne se fasse pas au détriment de la part imaginaire qui les investit afin de redonner à la politique toute sa portée.
Notre « plus commun » tient au nécessaire partage de la complexité de nos diversités, ce n’est pas un vœu pieux, c’est accepter de nous affronter à une repolitisation de la vie quotidienne, contre celle qui fait de nous les obligés d’une économie de la dette. Dette qui nous contraindrait à devoir plier nos vies à un pourcentage maximum à ne pas dépasser.
Arrêtons-nous un instant sur cette dette que nous aurions contractée même si nous ne le savions pas pour tenter d’en faire un débat commun. Nous avons la chance comme le plus grand nombre de ne pas être experts en économie, de ne pas être de ces experts qui nous expliquent que nous vivons au-dessus de nos moyens, nous bien sûr, le peuple ordinaire qui vit plus ou moins de sa force de travail…
Servons-nous de cet exemple pour en faire un débat sur notre commun et posons la première question :
- Y aurait-il deux économies une, pour la plus grande majorité d’entre nous, qui affirme cette « vérité » économique : nous ne pouvons plus continuer à vivre au-dessus de nos moyens et une autre qui affirmerait que les plus riches, eux ne seraient en aucun cas concernés par ce constat ? Réfléchir sur notre commun ne consiste pas à y répondre, mais à se donner les moyens de rendre cette question populaire.
Il en va de même pour la dette :
- Quand nous empruntons l’escabeau de notre voisin, il y a une condition minimum au-delà de sa gentillesse : il possède la chose que nous voulons lui emprunter. Quand nous empruntons de l’argent à une banque, la banque ne le possède pas, elle va le créer par un jeu d’écriture comptable, les économistes classiques ne s’y trompent pas, quand vous empruntez vous participez à la création monétaire, quand vous remboursez votre emprunt vous participez à la destruction monétaire, ce sont eux qui le disent. La question qui nous est posée : la création monétaire serait-elle illimitée, fictive en quelque sorte ? Mais cette création doit être remboursée, elle ne servirait donc qu’à mettre à disposition un média de l’échange, mais alors qui fixe les prix ? L’offre et la demande nous dit-on, soit, mais l’offre d’emprunt est illimitée et ne tiendrait qu’à la potentialité de l’emprunteur pour pouvoir rembourser, pourquoi ne serions-nous pas tous banquiers ? Certains vous diront qu'il existe des banques centrales qui décident des masses monétaires en circulation, sur quels critères ?
- Autre question fut un temps où les monnaies étaient indexées sur la parité or. On pouvait imprimer des billets à la condition que leur valeur garde un lointain souvenir avec quelques lingots d’or détenus par la banque de France. Pour quelles raisons a-t -on mit fin à ce système de « contrôle » par les États ?
- Le média, la monnaie devait être rare pour éviter que chacun en fabrique à volonté. Cette impossibilité de produire de la monnaie par sa rareté existerait-elle encore ? Où se situerait-elle ? Dans l’obligation de rembourser, semble-t-il ? Est-ce que payer le moins possible le travail constituerait la nouvelle parité or ? La rareté reviendrait-elle sous l’aspect d’une masse contrôlée et limitée de monnaie pour payer la force de travail ?
- En ce qui concerne la monnaie pour notre commun pour les services publics cette rareté serait-elle imposée par la règle des 3% en Europe ?
Simple exemple qui concerne le contrôle de nos productions par le pouvoir de ceux qui détiennent la fabrique monétaire. Ce débat nous concerne tous, c’est en cela que nous parlons de popularisation des problématiques contre un populisme des réponses. Il y a dans les vérités économiques imposées une destruction de la liberté de penser nos existences en valeur non opposable.
La mondialisation de notre économie se soutient d’une universalisation de la dette, ils soumettent ainsi notre imaginaire de la valeur à l’impérialisme de la dette qui nous est imposé.
Gardons l’idée d’une «Res Publica" d’une chose en commun, cette chose n’a aucune existence en soi autre que le poids qu’on s’autorise à lui donner, c’est un projet offert à la réalisation politique. Ce projet relève d’une donne, d’une mise en commun d’origine, sans vouloir trop jouer sur les mots c’est un parti pris politique qui relève d'une République à construire, une « République de l’aventure du commun des peuples ». Donner de l’avenir à ce parti pris relève par contre, lui, d'une pratique : la démocratie. Une république du commun de l'aventure des peuples propre à soutenir une Démocratie de la réalisation de nos imaginaires de vie qui nous permette de nous réapproprier nos échanges en valeur de reconnaissances mutuelles des uns par les autres sans avoir besoin de gommer à l’excès nos diversités.
L’urgence des défis qui s’imposent à nous, nous oblige à nous départir de notre assujettissement aux pouvoirs destructeurs en particulier à la folie des superprofits et à son fonds de commerce : l’universalisation du pouvoir de la dette.
Il nous faut reprendre la question de la valeur, là où elle finit par s’exprimer dans la vie quotidienne, et quoi de plus proche de la vie quotidienne que l’échelon municipal.
La question des valeurs est au centre de la vie municipale et pourtant les politiques de décentralisation en ont surtout fait des lieus de gestion administrative.
Les politiques actuels sont des politiques d’influenceurs et cela envahit les partis politiques qui pensent pouvoir combattre sur ce terrain, alors qu’ils sont utilisés pour faire le spectacle pendant que les plus grands influenceurs disposent des puissants moyens de la finance et de l’information, laissant croire que la politique ruisselle d’en haut.
La question n’est-elle pas de mettre en place des pratiques d’une autre culture du local, d’autres façons de vivre ensemble, au point que petit à petit le style « libéral parvenu » dépérisse ?
Cela peut paraître simple, mais nous n’en appelons à rien de moins qu’une véritable révolution culturelle des imaginaires de nos valeurs. Une révolution culturelle qui nous empêche encore une fois de faire qu’au nom de la destruction de la planète certains savent, comme d’autres l’ont su pour la cohorte des prolétaires, ce qui est bon et ce qui est mauvais. Cela ne sera pas facile, les plus fous d’entre nous détiennent la fabrique de la monnaie, les médias, la police et les armées. N’ayons pas peur de nos diversités, donnons-leur la possibilité de s’instruire les unes des autres, offrons-nous l’espérance de pouvoir reprendre en main notre destin.
Il nous faut dépasser une religion de la science des comportements humains, une « scientasmatique », qu’elle soit économico-financière ou révolutionnaire.
Une « Res Publica » du partage, à l’opposé d’une République de la vérité instituée.
La chose publique est la première chose que nous devons nous réapproprier et pour cela en débattre. Il est urgent de partager nos imaginaires et nos expériences sur tous les sujets : notre rapport au travail, notre système d’éducation nationale, une médecine publique débarrassée de son intendance gestionnaire destructrice, des transports au service des habitants, une justice digne de ce nom, un grand débat sur l’énergie permettant que ceux qui ont réponse à tout n’empêchent pas ceux qui se posent des questions d’y prendre part. Bref, une révolution dans la culture de nos valeurs qui ne fasse pas de la destruction de l’individuel la fabrique de troupeaux conçus dans des bureaux sans fenêtre. Le commun est une maison ouverte. Elle n’existe que par les paroles de ceux qui y ont élu demeure.
La politique doit reprendre non pas ses droits, mais toute sa force.
ROGER FERRERI BRUNO PIRIOU
Psychiatre Maire de Corbeil-Essonnes