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Billet de blog 22 avril 2018

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Contre la censure par une science d'Etat.

Réponse à la demande de censure d'un documentaire diffusé par la Chaine LCP de la part de deux députés. Ou du risque d'un fanatisme témoignant de la promotion d'un scientisme religieux.

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lettre des deux députés (pdf, 59.6 kB) Lettre de Roger FERRERI contre la censure © Roger FERRERI (pdf, 264.1 kB)


                                                                                                                                                Le 16 04 2018

                                                                                              A Monsieur François De RUGY

                                                                                              Président de l’Assemblée nationale.

Monsieur le Président,

J’ai reçu copie d’une lettre que vous ont adressée M. Daniel FASQUELLE, député du Pas-de-Calais et Mme Carole GRANDJEAN, député de Meurthe-et-Moselle, co-présidents du groupe d’études autisme à l’Assemblée nationale quant à la diffusion d’un documentaire réalisé par Mme Catalina VILLAR et M. Yves De PERETTI dans lequel j’apparais parmi d’autres membres du service où j’exerce.

Le contenu de cette lettre m’apparaît très inquiétant pour une raison majeure qui concerne les éléments minimums d’un débat démocratique tel que l’Assemblée nationale en organise l’offre institutionnelle la plus élevée.

Que ces deux députés apparaissent avoir pris en sainte horreur l’idée même de psychanalyse alors même que cette dernière, comme toute offre culturelle, est loin d’être uniforme et homogène, est tout à fait leur droit, même si l’on peut attendre de ceux qui s’avancent pour représenter la diversité du peuple de France un peu plus de souplesse dans l’établissement de leur jugement, mais qu’ils considèrent que leur position de député leur permettent d’imposer « leur vérité scientifique » au point de demander la censure de ce qui ne correspondrait pas à leur conception est une atteinte grave au fonctionnement démocratique.

La science n’est pas une religion, ce qui veut dire très précisément qu’elle ne relève pas d’un texte indiscutable qui nous serait parvenu par une quelconque révélation. Elle ne s’établit pas non plus sous la pression de tel ou tel rassemblement de personnes.

Il ne saurait y avoir en démocratie de science d’État. Combien même cette science ferait large consensus parmi les scientifiques, j’imagine le tollé des physiciens, si la mécanique quantique leur était imposée dans sa validité actuelle non pas par leurs recherches et expérimentations, mais par une prescription étatique.

La science d’État est l’apanage des États totalitaires, la monstruosité imbécile du lyssenkisme pourrait faire sourire si elle n’avait pas conduit à la mort d’éminents chercheurs en génétique et détruit en son temps l’école de génétique d’Union Soviétique aux avancées prometteuses.

Vous comprendrez bien, Monsieur le Président, que la question ici, n’est pas de discuter de propos qui relèvent d’un analphabétisme de l’histoire psychiatrique et sociale tel qu’il transparaît dans la phrase qui refuse, parce que dépassé, « l’institutionnalisation psychiatrique du handicap cognitif » ! La psychiatrie en a hélas produit dans son histoire de semblables, pour mémoire les théories sur la dégénérescence, il y était alors question d’idiots et d’imbéciles, le terme de handicap cognitif peut apparaître un peu moins brutal, il n’en désigne pas moins chez certains un déficit qu’il conviendrait de rééduquer par des procédés assez datés encore en vogue à la fin du XIXe siècle.

Les personnes présentant des troubles de type autistique ne m’appartiennent pas et je me garderai bien de parler en leur nom, sous prétexte que pour certains l’expression langagière est peu ou pas présente. Je ne détiens aucune vérité absolue et définitive quant à l’expression des troubles psychiques, tout juste des éléments de savoir bien évidemment discutables. Cela m’interdit de répondre en miroir, aveuglement contre aveuglement. Que la psychanalyse me soit d’une aide précieuse pour moi-même ne m’a jamais conduit à l’imposer à qui ce soit. Il est heureux qu’il n’y ait pas de diplôme de psychanalyste et dans ce service je suis psychiatre.

Je ne peux parler que de ce que je connais un peu pour m’y être impliqué pendant plus de 40 ans : le soin en matière de psychisme relève d’une invention culturelle qu’il importe de séparer d’une autre invention culturelle qui relève elle, des pédagogies éducatives. Qu’en chacun cela puisse pour partie s’entremêler ne veut pas dire qu’il faille en maintenir la confusion au niveau des institutions. Les pédagogies éducatives ont quand même un peu évolué depuis le XIXe siècle et si Monsieur Daniel FASQUELLE et Madame Carole GRANDJEAN souhaitent sur leur temps libre s’instruire quelque peu sur ce qu’ils appellent les « stratégies éducatives et comportementales », je crois qu’ils pourraient bénéficier du point de vue de nombre de chercheurs en sciences de l’éducation.

D’être qualifié d’incompétent par des militants de l’incompétence est somme toute à mettre en exergue dans mon curriculum vitae. Tout cela pour dire qu’il n’est pas ici question de faire du contenu de cette lettre une affaire de personnes.

Elle porte gravement atteinte à la liberté de penser et d’exercer son art à quelque titre que ce soit et j’attache une extrême importance dans mon métier aux espaces de travail, domaine dont le maintien est nécessaire à tout engagement soignant.

Je vous laisse, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, le soin de prendre toutes les décisions nécessaires pour que dans un régime démocratique, ce qui pourrait ressembler de près ou de loin aux prémices d’une nouvelle affaire Lyssenko soit vivement combattu par nos institutions républicaines.

Je vous prie, Monsieur le Président, de bien vouloir croire à l'expression de ma considération distinguée.

                                                                                                                              Docteur Roger FERRERI

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