Pardonnez-moi j’ai du rompre 8000 minutes de silence à observer. Le chaos incessant du monde entrave mon deuil et empêche mon cœur de se recueillir en paix.
Notre mission d’artistes, et donc d’hommes au sens humains du terme, nous demande à la fin du chemin d’absoudre plutôt que de condamner. Mais comment pardonner à la foudre de dépecer des nuits sans sommeil d’étoiles agonisantes, où les oliviers s’égosillent au cœur même des maisons en ruines et du sort hideux. Ces nuits de cauchemars-falastinocide où même la lune s’est éteinte, où la raison est morte, où l’espoir est éborgné, où il ne reste que l’absurdité en guise d’étreinte.
J’aimerais tant offrir de quoi apaiser. Un cantique, un verset, un psaume, tout au long de l’aune sous halo de lune tel un baume une ode à l’aube qui se lève et l’horreur qui s’achève enfin. Crimes de guerre à la cime de notre ère, au nom de l’homme civilisé. Qu’en penseraient Adam et Eve ? Eux qui se souviennent de la poussière de leur argile, de voir ces femmes et enfants martyrisés. À quoi bon les croisades humanistes qui nous animent si nous oublions d’être magnanimes. Animaux vous dites ? Même les bêtes respectent leurs semblables et n’urinent pas sur leurs défunts. Si c’est bien cela être civilisé, alors laissez-nous être rustres, primitifs, instinctifs pour garder à jamais cette liberté de créer, crier notre présence au monde poser la paix de nos pierre à l’édifice, exaucer les prières de nos destinées sans compromis ni sacrifice.
À quoi bon ces postures et ces lignes diplomatiques qui tracent dans la solitude du pouvoir les contours de l’unité sans équivoque, mais sans justice ni équité et qui raturent tous les efforts de celles et ceux qui oeuvrent avec humilité ? On peut soutenir inconditionnellement des humains en deuil, des âmes en peine et parfois même égarées. « Oui mais » soutenir inconditionnellement un gouvernement extrême révèle et relève de la folie morale, du déni confortable, d’un oubli de l’Histoire, ou de convictions déraisonnables, après tout qui sommes-nous pour juger ? À quoi bon s’acquitter de notre humanité au détriment même de la tempérance, du bon sens et de la réciprocité ?
Il n’a jamais été question de religion car vous savez, ceux qui s’élèvent vers Dieu ont déjà oublié toutes ces douleurs. De plus, nous nous connaissons que trop bien depuis la nuit des temps et nos cœurs sont capables d’accueillir toutes formes. Pâturage pour gazelle, abbaye pour moines, temple pour idoles, Kaaba pour qui en fait le tour, Tables de la Thora et feuillets du Coran. À quoi sert un Grand Djihad sans abolir l’orgueil en nos cœurs déjà meurtris. À quoi sert Yum Kippour si en nos âmes le Grand Pardon n’est point érigé en mère-patrie ?
Nous qui avons choisi d’habiter poétiquement la Terre. Le temps d’une trêve, d’un cessez-le-feu, malgré le sort, les blocus, les séismes et même un état de siège total, où le temps devient espace pétrifié dans son éternité.
Pourquoi avoir morcelé un pays, séparé les peuples et nous soumettre des frontières de béton. Armé.
Nous ne céderons rien aux vertiges de l’époque obscène. Nous ne suivrons plus les vestiges coupables des tyrans, des oppresseurs et des instigateurs de haine.
Nous ne céderons rien à la décadence morale d’enfants terribles devenus adultes-chimères se complaisant au non-sens d’une danse mortifère sur la scène internationale.
Nous ne céderons rien. Aux mensonges d’États… D’âme qui imposent un silence définitif par cette violence fissurant les colonnes du temple de nos valeurs communes. Asphyxiées, agrippées aux derniers rameaux d’olivier sur une bande de Gaza-d’écume, susurrant les derniers appels au secours aux confins de la conscience humaine.
Nous céderons tout à nos enfants.
Eux dont les sourires sont des traités de paix en ribambelle. Nous leur céderons tout ce qu’il nous reste d’humanité. Afin qu’ils puissent cultiver l’Eden de leurs rêves, déployer leurs allèles dans des hélices d’ADN, sans séquelles mémorielles, de rives en rives jouer avec des cerfs-volant sans jamais avoir à périr sous les bombes, les décombres, la servitude ni à reconnaître les dépouilles poussiéreuses de leurs propres parents.
En ces temps d’incertitude, juste ou désinvolte, je me révolte, donc nous sommes. De Camus à Darwich, je me console à peine et peine à retrouver un sens dans tout ce capharnaüm. Et si vous aviez contemplé nos visages, vous vous seriez souvenus de vos grands-parents au seuil des fosses communes et des chambres à gaz. Vous vous seriez libéré de la raison des bombes et des fusils et vous auriez changé d’avis, car ce n’est pas ainsi que l’on retrouve une identité.
Peut-être que ces jours-ci la poésie est inutile. Peut-être que bien au contraire, elle et la beauté sont désormais essentielles et vitales. Pour le salut des hommes et le salam des âmes, le shal-om mani padme hum. Pour revenir à l’air libre, au souffle primordial depuis les abysses du vice et des vicissitudes de la guerre. Nonobstant les failles structurelles qui les atteignent quand obstinément, une terre où naquit la civilisation est devenu un cimetière d’enfants sans sépultures, sans tombeaux ni lucioles. Au nom même de la civilisation.
Lorsqu’en Orient renaîtra la lune, les blanches terrasses ne s’assombriront plus jamais. Pendant les nuits d’Orient, où pleine lune deviendra le croissant, je ne cesserai de t’offrir le hummus, le zaatar, le miel d’une figue rebelle et les rubis de la grenade pacifique. La polémologie des pomelos pulpeux et des esthètes pastèques. La tendresse du oud, les plaintes du qanun, les confettis du jasmin amoureux disséminés dans la mélancolie de nos étés invincibles. L’affection du café, les bénédictions de son marc et d’une graine de cardamome, le chant des pailles du maté-mythe de Sisyphe et l’or limpide d’une huile qui exalte nos coeurs vibrants. Et toujours vivants. Car avant de disparaître dans le phosphore des jours, nous sommes et resterons dignement, noblement, sempiternellement
Ces filles et ces fils
d’Orient.
Ces filles et ces fils
d’Orient.
Ces filles et ces fils
d’Orient.

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