Roland LAURETTE

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Billet de blog 3 mars 2011

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QUI A FAIT MAIN BASSE SUR CETTE ÎLE ,

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QUIA FAIT MAIN BASSE SUR CETTE ÎLE ?

Arte a diffusé le 24février un téléfilm d'Antoine Santana et Jean-Paul Brighelli :« Main Basse sur une Île ». J'en suis encore stupéfait.

Sous couvert de réaliserun thriller qui mêle abondamment les ingrédients propres au genre(violence, sexe, hémoglobine, cynisme, coups tordus et j'enpasse...) les auteurs nous assènent une théorie sur l'affaireErignac qui n'a rien à voir avec ce qui a été dit jusqu'ici.

Quelle est donc lathèse des auteurs mêmes s'ils ont l'air de s'en défendre(Antoine Santana affirme que « les personnages sont totalementfictifs » mais, de son côté,Brighelli reconnaît « oui, nousavons pensé à l'affaire Erignac ») ?

L'attentat contre leClaude Erignac, préfet arc-bouté sur la loi républicaine pours'opposer à la spéculation immobilière en Corse ne serait pas,pour l'essentiel, le fait de quelques « têtes brûlées » nationalistes qui n'auraient eu pour réfléchir « qu'un neurone »à se partager. Ceux-ci n'auraient été que de pâles exécutantsmanipulés sur ordre d'une personnalité autrement coriace : unancien ministre d'origine corse et fin connaisseur de l'île. Ilaurait souhaité démontrer par un vrai-faux attentat à quel pointl'État était vulnérable dans l'île si on ne faisait pas revenirau pouvoir de toute urgence cet ancien ministre des qualités duquella république ne pourrait décidément pas se passer. Intriguespolitiques donc. Mais la thèse du téléfilm ne s'arrête par la,tant s'en faut. Les fils de l'intrigue politique seraient, à leurtour, tirés par des affairistes. Ceux-ci auraient voulu faire de laCorse une lessiveuse à nettoyer de cet argent sale qui provient enénormes quantités du trafic d'armes, du pétrole africain ou del'organisation des jeux clandestins. Politique et affairisme sontdonc étroitement mêlés dans un emboîtement de poupées russesgrimaçantes. Dans ce jeu sordide où les cadavres sont jetés enpâture aux cochons dans les décharges sauvages, le cynisme ledispute à la perversité et la gauche ne vaut pas mieux que ladroite.

La thèse esttroublante.

D'abord parce que lesresponsables désignés, si l'on fait abstraction de personnages defiction qui sont là pour la commodité de la démonstration, sontfacilement identifiables. Quand on parle d'un ancien ministre trèsconcerné par la Corse et qui actionne des réseaux touchant à lafois au pétrole africain, au trafic des armes, à l'organisation desjeux clandestins et qui reste très introduit dans les rouages del'État notamment par les services spéciaux, tout le monde comprendde qui il s'agit.

Alors, pourquoi choisirla Corse ? Elle est d'abord un terrain vierge sans infrastructures.L'internationale du crime qui vit dans un mouchoir de poche serait àmoins d'une heure d'avion de Nice ou de Marseille, à 2 heures debateau de l'Italie, à 3 heures du Maghreb. Beaucoup d'affairistesqui la composent sont corses et ce serait pour eux un moyen deréinvestir dans leur ville natale.

Mais on pouvait sedébarrasser du préfet plus facilement. Pourquoi choisir ce modusoperandi ? Il fallait montrer que les factieux pouvaient agir enpleine ville, au nez et à la barbe des policiers : ils font cequ'ils veulent où ils veulent. C'était en même temps un moyen dedresser l'opinion contre les nationalistes.

La thèse est-ellecrédible ? Elle éclaire tant de choses. Par exemple : pourquoiChevènement a-t-il viré immédiatement Dragacci (qui avait eu desintuitions capitales dès le premier soir) pour le remplacer parRoger Marion (qui va se fourvoyer longuement soit parce qu'il est unimbécile prétentieux, soit parce qu'il est le complice de laraison d'État) ; pourquoi les enquêteurs et les juges d'instructions'entêtent à refuser tout autre piste que la piste officielle ;pourquoi il refuse tous les actes de justice (la reconstitution...)qui prouveraient immédiatement l'inanité de la thèse officielle ;pourquoi les ministres de l'intérieur successifs ont déclaré YvanColonna coupable avant même qu'il ait été jugé ; pourquoi ladirection du parti socialiste est restée muette sur une affaire quiconcernait pourtant de si près l'un de ses responsables, etc.

Cette thèse courtdans toutes les rumeurs. Mais on ne la trouve exposée nullepart. Pas dans la presse. Encore moins sur les pistes suivies par lesenquêteurs ou dans les cours d'assises.

Mais ce qui est encoreplus stupéfiant c'est le silence des médias après la diffusion dufilm. Personne pour en dire quoi que ce soit. Personne pour approuverou se scandaliser. Cela nous renvoie au leitmotif de la cour auprocès Zola : « la question ne sera pas posée ».

Et Yvan Colonna ?

Jean-Paul Brighellisemble convaincu, si on lit certaines de ses déclarations, qu'YvanColonna est victime de procès inéquitables et d'une machination quil'a utilisé comme un leurre.

Le film est plus ambiguet ce sera le reproche majeur que je formulerai.

Certes, dans l'évocationà deux reprises de l'assassinat de Claude Erignac, il n'y a que deuxhommes qui approchent le préfet et commettent le crime. Or, on saitque la police a besoin de trois assassins sur place pour pouvoir ymettre Yvan Colonna. Mais par ailleurs, il est question d'un compliceen cavale et, dans les dernières images, on nous montre un grostitre de journal qui annonce « l'arrestation du dernier de labande ».

À cette réserve près,on retiendra donc que ce film est un pavé dans la mare. En ce jouroù, par son mariage en prison, Yvan Colonna tente de sauver ce qu'ilpeut de la vie qui lui a été volée, on retiendra un scénario trèséloigné du schéma officiel dont les enquêteurs et magistratsantiterroristes ne veulent pas démordre au risque de paraîtrecomplice de tous ceux, si puissants, que le film dénonce.

Une question m'estsouvent posée dans les conférences débat que j'anime : pourquoiColonna ? « Main basse sur une île » ne répond pas à la questionmais laisse entrevoir une piste. Il nous est dit que l'internationaledu crime vit dans un mouchoir de poche. Et on évoque Marseille ouNice... Nice précisément, tellement aimée des affairistes dontJacques Médecin a été en son temps l'un des fleurons. Qui a faittomber Médecin ? Jean-Hugues Colonna. Certains aux longues rancunesne cherchent-il pas à punir le père par le malheur du fils ? Quandles enquêteurs de tout poil voudront bien pousser réellementl'investigation sur tous les protagonistes de cette tragédie, ilsauront certainement beaucoup de choses à découvrir.

Une dernière chose. Lefilm d'Antoine Santana a soigneusement évité de tomber dans ledépliant touristique. Mais les paysages qui nous sont inévitablementmontrés donnent à cette histoire sordide et tragique le contrepointd'une beauté toute virgilienne. On y est violemment ému par ceschamps d'asphodèle qui font écho comme sans y penser aux vergeturesde neige et de glace qui nervurent les pentes.

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