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Billet de blog 3 juin 2011

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YVAN COLONNA : AU PIED DE LA LETTRE

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Sainte Chronologie

Pour éviter les erreurs d'analyse, mon maître Escarpit évoquait toujours en matière de critique littéraire, Sainte Chronologie dont le nom, naturellement, n'existe pas au registre des saints patentés. Je prie Sainte Chronologie de veiller sur nous. Et sur la Cour d'appel spécialement composée qui juge Yvan Colonna pour la troisième fois.

Jeudi 26 mai, l'audition de Pierre Alessandri est très attendue. On sait qu'elle peut être décisive. Ce qui s'est dit entre Y.C. et Alain Ferrandi, la veille, a préparé le terrain : pour la première fois, le berger a dit qu'il avait été invité en 1997 par Alessandri à participer au groupe dit des Anonymes en vue d'une action importante. A la barre, Alessandri, confirme cette affirmation. Et il dit explicitement que l'accusation de son copain d'enfance reposait sur la rancune haineuse provoquée par son refus d'être des leurs. Y.C. s'exclame : "c'est la première fois, enfin, qu'un membre du commando s'exprime et cela me satisfait." Dans un échange vif avec le témoin, il a l'occasion de s'expliquer sur ce départ en cavale qu'Alessandri lui reproche et qui l'a tant desservi dans l'opinion. "Je te rappelle, dit-il, que Marion avait dit "mort ou vif", alors moi, la seule chose que je pouvais faire, c'était me cacher, me cacher et encore me cacher". Il ajoute, parlant de la durée de sa cavale, "quatre ans pendant lesquels j'ai craint pour ma vie". Cela confirme ce que j'ai écrit ailleurs : Y.C. s'est enfui pour sauver sa peau. Qui, de bonne foi, pourrait assurer qu'il ne courait aucun risque à se rendre ? Qu'aucun policier antiterroriste n'aurait eu la gâchette sensible ? Ou qu'un complice de ce commando qui venait de tuer un préfet n'aurait pu trouver dans la mort de celui qu'ils n'hésitaient pas à accuser, la solution à un certain nombre de leurs problèmes ?

Cette journée du 26 mai aura bien été un moment important dans ce processus qui, touche par touche, éclaire son innocence.

Et voilà que le lendemain sort une lettre qui lui est attribuée et dans laquelle il est censé menacer Alessandri pour qu'il l'innocente enfin.

Nous reviendrons sur le fond de ce document tel qu'il a été rendu public. Voyons d'abord, pour nous en étonner, la chronologie des faits.

Donc, dès le lendemain du passage à la barre d'Alessandri qui a été un coup de Trafalgar pour l'accusation, paraît un document qui discrédite son témoignage. Voilà un hasard qui fait bien les choses. Un hasard servi pas par n'importe qui : le directeur général de la police judiciaire soi-même. Le N° 2 de la police en France. Diable ! L'importance du porteur suffirait à elle seule à accréditer le message dont il se fait le modeste coursier. Mais un coursier plein de zèle. Vers 9 h du matin, ce vendredi 27, quelqu'un que Christian Lothion "tutoie mais qui n'est pas tutoyé par lui" le demande au téléphone. Le quelqu'un obtient la communication. Et il lui suffit de demander un rendez-vous pour l'obtenir pratiquement sur l'heure. Pas au ministère de la place Beauvau ou C. Lothion a son bureau mais dans les environs. Où ça ? Sous un pont ? a demandé plaisamment un avocat de la défense. Les ponts sont loin de la place Beauvau. En revanche, tout près, se dresse un important palais de la République.

Donc, dans la matinée, Lothion rencontre cette personne, un civil, qu'il connaît professionnellement et dont il ne sait pas ce qu'il doit lui remettre. Qu'à cela ne tienne, toutes affaires cessantes, il a couru au rendez-vous clandestin. Là, il lui est remis la photocopie d'une lettre manuscrite de 4 feuillets écrits en langue corse, et dont il ne sait pas si elle est importante ou non. Entre 12 et 14 heures, il n'hésite pas à prendre contact avec le président de la Cour d'assises qui juge Yvan Colonna. La photocopie est portée au Palais de Justice vers 18 heures. Le président Stéphan qui ne lit pas davantage le corse en fait état à 22 h 15. Il annonce que l'audience du lundi suivant débutera par l'examen de cette lettre. Les tribunaux français n'acceptent pas - et c'est heureux - les photocopies comme pièce à conviction. Le président Stéphan le sait mieux que quiconque. Il n'hésite pourtant pas à bouleverser l'agenda du procès qu'il conduit pour cette photocopie. Il sait, inévitablement, que la défense démolira ce document et le fera retirer de la procédure. Pourquoi, dès lors, le produire ? Voyons la suite. Une "fuite" permet à RTL et à Europe 1 de faire état d'une lettre d'Yvan Colonna à Pierre Alessandri dans laquelle le premier menace le second de "la guerre à l'intérieur et à l'extérieur" s'il n'est pas innocenté au cours de ce troisième procès. Les conditionnels de rigueur s'entendent comme des indicatifs sonnants et trébuchants bien qu'on n'ait pas encore de traduction officielle du document. Durant le week-end, la presse qui a jusque-là très peu couvert le procès, s'en donne à coeur joie. Et, hélas, même dans les milieux proches de l'accusé on n'a pas le sang-froid élémentaire de dire "attendons de voir la lettre en question avant d'en dire quoi que ce soit". Il faudra attendre le lundi pour que chacun se ressaisisse quand on apprend ce détail essentiel mais tu jusque-là : le document n'est qu'une photocopie. On aura la traduction le lundi soir. Elle est incomplète, certains mots n'ayant pu être déchiffrés par le traducteur. Traduttore, tradittore. D'ailleurs, il circule désormais d'autres traductions (http://infurmazione.unita-naziunale.org/2623/france-3-corse-publie-la-lettre-traduite-dyvan-colonna-a-pierre-alessandri/2011/). Alessandri, concerné au premier chef, fait savoir qu'il n'a jamais reçu une pareille lettre. Il se déclare prêt à revenir à la barre à ce sujet.

Le lendemain mardi, Christian Lothion, est convoqué à l'audience. Il dit qu'il ne veut pas désigner son informateur et qu'il n'a jamais vu l'original de la lettre. Il admet qu'elle peut être un faux ou qu'elle peut avoir été trafiquée. La cause est entendue. Les avocats de la défense demandent au président de la Cour de ne pas verser au dossier ce pseudo document de dernière minute. Il est vraisemblable qu'ils obtiennent satisfaction sur ce point. Car l'objectif de cette affaire n'était pas d'apporter une preuve tangible. L'objectif évident était de semer le trouble dans l'opinion.

L'esprit de la lettre

Même si le déroulement du procès confirme jour après jour la plupart de choses que j'ai écrites sur cette affaire jusqu'ici, je n'ai pas les moyens de dire si Yvan Colonna a, oui ou non, écrit en totalité ou en partie la lettre qui lui est attribuée. Mais il n'est pas interdit de réfléchir.

Disons en préalable que je m'interdis depuis que je m'intéresse à cette histoire - cela fait maintenant quatre années que je la suis au plus près - de jauger le comportement de deux des protagonistes : Madame Erignac et Yvan Colonna. Pourquoi ? Parce que nul ne peut dire ce qu'il ferait ou penserait dans le maelström de la tragédie qui les emporte. Mais imaginez un instant que des amis proches vous accusent d'un crime abominable dont il savent bien que vous ne l'avez pas commis et que leurs accusations vous condamnent à la prison à vie...

Deuxième remarque. Les parties civiles font observer que, dans cette lettre dont ils disent qu'ils sont assurés - mais sur quoi fondent-ils cette certitude ? - qu' elle est bien d' Yvan Colonna, celui-ci ne fait nulle part état de son innocence. C'est donc bien qu'il est coupable. Et voilà pourquoi votre fille est muette ! Quand j'écris à des proches, je ne leur rappelle pas que je suis français ou quel est le nom de mon épouse. Alessandri sait fort bien qu'Yvan Colonna est innocent, et pour cause.

Troisième remarque. Il y a trois possibilité : la lettre est un faux intégral réalisé soit par imitation d'écriture soit par collage de fragments de lettres antérieures passées au contrôle de Fresnes ; elle est un faux partiel résultant soit de l'amputation de passages de l'original afin d'en modifier le sens soit par adjonction de passages jugés compromettants ; elle a été réellement écrite par Yvan Colonna. En l'absence d'aveux de celui-ci ou de preuves résultant d'une expertise incontestable, il est impossible de savoir avec certitude ce qu'il en est. Raisonnons par le cas limite et supposons un instant qu'Yvan Colonna soit bien l'auteur de cette lettre à Alessandri. On trouve dans les traductions intégrales qui ont été faites de la lettre, des formulations telles que celles-ci :

- Après ma condamnation à perpétuité (...), je m'attendais à ce que tu fasses une lettre, que tu hurles d'une manière ou d'une autre pour dire que j'étais innocent. Mais rien ! (...) Et si nous n'avions pas arraché cette cassation, peut-être aurais-tu été très content ?

- Mais j'ai fini par prendre sur moi toutes VOS (c'est moi qui souligne. R.L.) conneries, VOS responsabilités à tous.

- Rien ne t'obligeait à balancer mon nom, au contraire.

- Tu m'as balancé, tu m'as sacrifié ! Je pense même que tu aurais aimé qu'ils me tuent les premiers temps où j'étais recherché puisque Marion avait dit "mort ou vif".

- "Lui", avec 22 ans de sûreté, "lui", considéré comme le "bourreau"... il serait le dernier à sortir... et moi (Alessandri. R.L.)je pourrai sortir plus vite en "conditionnelle"... Je l'ai pensé et plus que pensé.

- Malgré le fait que je te l'ai demandé, tu as continué à ne pas vouloir répondre aux questions du procureur. C'est incroyable !

- Il faut que tu suives à la lettre tout ce que je te demanderai de faire. Tu me le dois à moi, tu le dois à mon fils, tu le dois à toute ma famille. Il faut que tu sois (...) prêt (...) à faire une reconstitution.

- Je te préviens aussi de motiver ta femme... parce que dix ans après... et après ce qu'elle m'a fait...elle vient pleurer au tribunal... elle a peur d'"eux" (alors qu'elle ne risque plus rien)... cela me semble incroyable...

Observons que si Yvan Colonna ne dit jamais explicitement qu'il est innocent, il ne dit rien qui puisse laisser entendre qu'il ait participé aux attentats. Rien de ce qui est dit ne peut être assimilé à " Vous avez balancé l'un de vos complices". Au contraire les formules rapportées ici sont celles de quelqu'un qui a été "sacrifié" et s'indigne de ce qu'on "lui a fait". ( Je note aussi cet "eux" mystérieux. De qui la femme d'Alessandri aurait-elle encore peur ? Les flics ? Les juges ? Ou bien les vrais commanditaires "qui ont conçu l'attentat" comme Alessandri l'avait dit en 2009 ?)

En somme : il n'y a rien qui permette de faire de cette lettre la preuve qu'Yvan Colonna serait un assassin. On revient donc à la case départ : qu'est-ce qui fonde finalement la thèse de la culpabilité ou celle de l'innocence ? C'est TOUT le reste du procès qui permet de répondre à cette question : les accusations contradictoires qui s'annulent d'elles-mêmes, la totalité des témoignages qui sont favorables à l'accusé, la façon scandaleuse dont ont été menées l'enquête et l'instruction...

Quatrième remarque. Cet épisode peu glorieux en rappelle d'autres. Il est symptomatique d'une constante des procès contre Yvan Colonna. L'accusation et les parties civiles ne se donnent pas la peine de prouver que la nouvelle "pièce" apparue par miracle est recevable : elles exigent d'Yvan Colonna qu'il se justifie et prouve son innocence.

Cinquième remarque. Si cette lettre était authentique, elle ne serait passée qu'entre les mains de son porteur et celles de son destinataire. Ce dernier nie l'avoir reçue. Reste le porteur. Si Yvan Colonna était le criminel dangereux qu'on nous dit, le porteur aurait-il couru le risque d'une trahison si lourde de conséquences ? Qu'est-ce qui empêche de produire l'original ?

Et pendant ce temps...

Je le répète, cette lettre qui apparaît au moment où le procès évolue si favorablement à Yvan Colonna, n'a pour objet que de semer le trouble et, éventuellement, légitimer un verdict injustifiable. Tout l'émoi médiatique autour d'elle aura permis de passer quasiment sous silence des épisodes du procès particulièrement favorables à l'accusé.

Par exemple le témoignage d'Emile Agnel expert réputé en téléphonie qui montre que l'analyse de la téléphonie le soir de l'assassinat du préfet Erignac jette à terre le scénario "officiel" mis sur pied par la police : Ferrandi n'était pas sur les lieux du crime ! Le même expert évoque un point dont on n'a jamais parlé jusqu'ici : entre le 5 février 98 (veille de l'assassinat) et le 8, 162 communications téléphoniques ont lieu entre Alain Ferrandi et les membres du commando. Il y en a une avec Yvan Colonna (je suppose qu'il s'agit de l'appel auquel je fais un sort particulier dans mon roman). Cela se passe de commentaires.

Par exemple, encore : les témoignages de Sylvie Cortesi et celui - capital - de Paul Donzella qui ont vu Yvan Colonna à Cargèse le soir de l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. Du passage de Donzella à la barre on ne retient que son aspect pittoresque et cette plaisante histoire d'entrecôtes. Et on a pris pour une boutade une question du témoin pourtant essentielle. Il est interrogé sur des communications téléphoniques avec Stéphane, le frère d'Yvan. Il demande : "A quelle heure ce coup de téléphone ?". Il pointe du doigt, sous une question qui semble anodine, le fait que ses entretiens avec Stéphane Colonna sont postérieurs à son interrogatoire à la gendarmerie de Cargèse au cours duquel il a confirmé l'alibi d'Yvan. Si cet entretien est postérieur, le témoignage de Donzella ne peut pas avoir été concerté avec la famille d'Yvan et ses avocats. Contrairement à ce que prétend le juge Thiel qui en profite pour le déclarer irrecevable.

Bref. L'affaire Colonna est bien cette succession de coups fourrés qui visent à faire croire le contraire de ce que les faits s'acharnent à dire. Les détails de l'épisode de la lettre montrent qu'Yvan Colonna a des ennemis puissants installés dans les palais de la République. Se souvient-on qu'à la veille de son passage au procès en première instance - c'était en 2007 - Roger Marion avait été reçu à l'Elysée par Claude Guéant, conseiller du Président ? Aujourd'hui, le même Claude Guéant occupe la fonction de ministre de l'Intérieur. Christian Lothion, le "petit télégraphiste" est directement sous ses ordres.

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