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Billet de blog 6 avril 2013

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YVAN COLONNA ET LES ORFRAIES

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

YVAN COLONNA ET LES ORFRAIES 

Ces jours derniers et encore aujourd'hui, le monde des-princes-qui-nous-gouvernent et celui des- 

princes-qui-ne-nous-gouvernent-plus augmenté de celui des-princes-qui-voudraient-bien, le monde 

des puissants, des bien en cour, des qui font la pluie et le beau temps, des pythies gazetières, des 

partisans d'ici et des partisans de là, des affidés des premiers, des obligés des seconds, tout ce beau 

monde qui au premier frisson se rue à hue, et au second se réfugie à dia, toute cette gent oublieuse 

et versatile, caquetière et  frivole, n'ayant de constance et en commun que le sens aigu de son propre 

intérêt, et dont l'effet sur le réel n'est le plus souvent et tout au plus qu'une irisation sur la bulle des 

illusions,  tout ce monde, dis-je, tourneboulé par l'affaire Cahuzac et, il y a peu, par la mise en 

examen de l'ancien président Sarkozy, laquelle suivait l'affaire Woerth ou l'affaire DSK et précède 

l'affaire trucmuche ou machinchose qui seront tout aussi retentissantes, tout aussi scandaleuses et 

dégoûtantes, y voit l'occasion de pousser des cris d'orfraie pour les uns, pour les autres de mettre 

leurs mains sur des coeurs purs de toute arrière-pensée et pour les troisièmes, lancés dans une 

frénétique danse du scalp, de hululer des « Je l'avais bien dit ». 

Aucun doute : du strict point de vue de chacun de ces protagonistes ou comparses de la scène 

publique, ils ont tous raison. 

Oui, Jérôme Cahuzac est bien coupable d'avoir profité de sa fonction pour se faire graisser la patte 

par l'industrie pharmaceutique ( au fait : le corrupteur sera-t-il poursuivi lui aussi ?), d'avoir fui le 

fisc dans des paradis fiscaux ( au fait : va-t-on laisser longtemps encore prospérer ces fumiers où 

croissent les intérêts des fortunes détournées ?), d'avoir trompé la nation et ses élus ( au fait : qu'il 

ne soit ni le premier – souvenons-nous entre mille autres de ces affaires « abracadabrantesques » - 

ni le dernier ne sera d'aucune consolation).  

Oui, il faut que la Justice soit indépendante et qu'elle puisse faire son travail. Même contre d'anciens 

présidents de la République. 

Oui, tout accusé a droit à la présomption d'innocence. Même Eric Woerth. 

Oui, la presse doit pouvoir mener ses investigations à sa guise sans qu'on lui oppose sans cesse le 

secret défense ou qu'on échafaude contre ses meilleurs limiers des traquenards et des embûches. 

D'où vient pourtant le profond sentiment de malaise que je ressens  ? Et je ne crois pas être le seul. 

L'orfraie est un rapace qui pêche entre deux eaux. Il y a belle lurette  que Tartuffe nous a appris que 

le fourbe connaît l'art de retomber sur ses pieds et de retourner les difficultés en avantages. 

On peut redouter que l'affaire Cahuzac ne redonne à l'appareil judiciaire un lustre et une réputation 

d'intégrité qu'il ne mérite pas toujours. 

Et surtout, le principe si important de la présomption d'innocence n'est brandi par ceux qui ont 

quelque pouvoir en la matière que lorsqu'ils sont directement concernés. 

Droit à la présomption d'innocence ? Instructions à charge et à décharge ? Droit à une justice 

équitable ? Que voilà de bons principes républicains ! Il en est d'autres tout aussi importants : c'est à 

l'accusation d'apporter la preuve que le prévenu est coupable et non le contraire ; s'il y a doute, il 

doit bénéficier à l'accusé. 

Liberté de la presse ? On en redemande. 

En d'autres termes, Henri Guaino, Marine Le Pen ou Jean-François Coppé, François Hollande ou 

Jean-Marc Ayrault, les journalistes de Médiapart ou du Figaro seraient plus crédibles dans leurs 

colères, leurs indignations, leurs anathèmes, leurs dénégations ou leurs proclamations de bonne foi 

s'ils ne restaient pas aveugles, sourds et muets dans tant de cas où il faudrait réagir haut et fort. S'ils 

avaient fait preuve par exemple de la même passion justicière quand Nicolas Sarkozy a déclaré le 4 

juillet 2003 : « La police française vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna ! » et 

quand il a violé encore et encore la présomption d'innocence. Mais il n'était pas seul pour ce forfait. 

On pourrait même dire que le viol a été collectif. Il y avait dans la bande les plus hautes instances 

du pouvoir judiciaire – Jean-Pierre-Dintilhac, Procureur de Paris – du pouvoir législatif – la 

commission sénatoriale de 1999 -  ou du pouvoir exécutif – J.P. Chevènement, ministre de 

l'intérieur. Quant au quatrième pouvoir, il n'a pas été en reste. Rappelons-nous la sinistre « une » de 

France-Soir avec son fameux « WANTED TUEUR DE PRÉFET » au-dessus de la photo du fugitif. 

Il n'y manquait plus que le montant de la prime avec la mention « mort ou vif ». Tous, avant qu'il ne 

soit jugé, ont, au mépris de la loi, explicitement adopté le postulat de la culpabilité d'Yvan Colonna. 

Combien il eût été bon alors, que la même ardeur soit mise à traquer la vérité sur l'assassinat du 

préfet Erignac, sur les tenants qui ont abouti à la disparition de cet homme honnête, sur les 

constructions aussi incroyables qu'artificieuses qui ont conduit à la condamnation d'un berger. Où 

étaient-ils donc nos justiciers, nos lyncheurs et autres chasseurs de primes ? « On apprend à hurler, 

dit l'autre avec les loups »... Il aurait fallu s'émouvoir quand on a mis en place en 1986 et maintenu 

depuis cette justice antiterroriste qui, par nature, ne saurait être qu'une justice aux ordres. Cette 

justice d'exception qui ne sait pas enquêter à charge et à décharge, qui ne sait pas admettre qu'elle a 

fait fausse route, qui couvre les turpitudes de certains de ses enquêteurs, qui ferme les yeux sur ses 

erreurs et recourt même à des actes frauduleux et illicites, qui n'hésite pas à condamner quelqu'un à 

la perpétuité alors qu'elle ne détient aucune preuve contre lui. 

Il m'est arrivé, dans un salon du livre, de discuter avec un chroniqueur judiciaire fameux. Le 

contenu de sa conversation m'a conduit à constater : « Vous aussi, vous pensez qu'Yvan Colonna est 

innocent ». Voici sa réponse : «  Je ne mettrais pas ma main au feu qu'il est coupable ». Litote 

d'habile homme. Néfaste dérobade. 

Tous ces indignés sont tonitruants quant ils le jugent utile et cois dans le cas contraire : ce sont des 

orfraies aux clameurs sélectives. 

Il y a bien longtemps déjà La fontaine nous avait donné le mot de cette énigme : « Selon que vous 

serez puissant ou misérable... ». Le berger ? «  Étant de ces gens-là... », il n'a pas volé son sort. 

L'âne ?  « ce pelé, ce galeux... » 

Cris d'orfraie, faux semblants et bonnes consciences... 

Roland LAURETTE

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