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Billet de blog 21 février 2011

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Yvan COLONNA : QUI SE MOQUE DE LA JUSTICE (II)

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YvanCOLONNA : QUI SE MOQUE DE LA JUSTICE (II)

Dans le précédent billet, nousavons examiné la façon dont ont fonctionné les jugesd'instruction. Voyons maintenant les avocats généraux et lesprésidents de cour.

LES PROCES

Du 2 juin au 11 juillet 2003 alieu le procès de ce qu'on a appelé le commando Erignac au termeduquel des peines lourdes ont été appliquées (de 15 ans à laperpétuité). Le 4 juillet, donc avant la fin, Yvan Colonna estarrêté à Olmetu. Puisqu'il était accusé d'être le tueur dupréfet, la logique aurait voulu qu'il soit placé dans le même boxque les autres accusés afin d'être jugé avec ses supposéscomplices. Et si son dossier n'était pas prêt, il suffisait desuspendre le temps nécessaire le procès en cours. Qu'on ne l'aitpas fait est significatif en soi. Pour en comprendre la portée, ilfaut se souvenir (voir plus haut) de la répugnance avec laquelle lesjuges d'instruction ont accepté d'organiser les confrontations avecses accusateurs de la première heure qu'Yvan demandait. On nevoulait pas que ces hommes-là se rencontrent publiquement. Pourquoi? A l'évidence parce que cette confrontation aurait fait sauter enéclats l'image négative que les enquêteurs avaient donnée d'Yvanet que sa cavale avait contribué à renforcer.

Le supposé membre principal ducommando sera donc jugé à part. Quatre années plus tard ! Quatreannées passées en prison préventive. Le procès aurait pu avoirlieu un an plus tôt, les dossiers étaient bouclés. Mais il estvrai qu'entre temps se déroulait une certaine campagneprésidentielle... Allait-on risquer de la polluer avec ce procès ?

Le procès en première instanceaura donc lieu du 12 novembre au 13 décembre 2007 devant une courd'assises spécialement constituée (le jury est composé de 7 jugesprofessionnels désignés et non de citoyens ordinaires tirés ausort). La Cour est présidée par Dominique Coujard.

Auparavant, en mars 2007, sedéroule le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contreNicolas Sarkozy pour viol de la présomption d'innocence (rappelonsqu'au soir de l'arrestation d'Yvan, N.Sarkozy avait déclaré dans unmeeting : « la police française vient d'arrêter l'assassin dupréfet Erignac, Yvan Colonna). Au terme du procès, le plaignant estdébouté. Les juges estiment que les propos de Nicolas Sarkozy« suscitent une impression certaine de culpabilité »mais qu'ils ne présentent pas Colonna comme l'auteur du crime. Sanscommentaire.

Le procès en appel se déroule,lui aussi, devant une cour d'assises spécialement constituée du 9février au 27 mars. Il est présidé par Didier Wacogne.

Dans les deux procès où Yvan estl'accusé, les avocats généraux et les présidents de courincarnent l'appareil judiciaire. Examinons-les.

1– LES AVOCATS GENERAUX

Onne leur reprochera pas d'avoir requis contre l'accusé : c'est leurfonction. Ils sont même là, au nom de la société, pour tenter demettre en lumière ce qui fait tomber le prévenu sous le coup de laloi. Cela dit, voici quelques remarques et interrogations.

Aupremier procès,on a pu noter l'absence de réaction des deux avocats généraux toutau long des débats. Ils n'ont quasiment jamais de question à poser.C'est au point que le président lui-même semble s'en étonner : dixjours après le début du procès, il les interpelle : « Leministère public, toujours pas de question ? ». Ce silencepose problème dans la mesure où tout se passe comme si les débatsn'avaient pas lieu, comme si la position des avocats généraux avaitété établie àl'avance. Dansleurs réquisitoires, ils parleront comme si rien n'avait été ditau cours des débats. Ainsi, par exemple, l'avocat général YvesJannierdira-t-il dans son réquisitoire : « Monsieur Colonna, si vousn'avez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas nous dire ce que vousfaisiez les 5 et 6 février 1998 ? » C'est proprementincroyable : Yvan Colonna s'est expliqué avec précision sur sonemploi du temps. On a vu qu'il y a de nombreux témoins pour lecorroborer. Yves Jannier ne les a pas entendus.

Il y a plus grave : Yves Jannierappuie son argumentation sur des contre-vérités. A propos ducommando Erignac, il affirme le 12 décembre 2007 : « six decette armée des ombres ont mis en cause le septième. Ils ont tousbalancé Yvan Colonna ». Sur la réalité des accusations,qu'on relise ce que j'écris dans la rubrique « Accusations ».Bien sûr, l'avocat général préfèrerait, pour sa démonstration,qu'il y ait unanimité contre Yvan Colonna. Seulement, ce n'est pasle cas. Et ce détail n'est pas indifférent. Voilà pourquoi iléprouve le besoin de distordre la vérité.

Ajoutons pour mémoire, mais enadmettant que c'est de bonne guerre, qu'il fait comme si lesassassins avérés étaient des êtres loyaux et fiables et l'accuséle dernier des pervers. Il fait mine de s'étonner qu'aucun desmembres du commando ne se soit levé pour laver Yvan de l'accusationdes autres (ce qui par parenthèse revient à admettre qu'ils nel'ont pas tous accusé et que lui, l'avocat général, n'a pas dit lavérité quand il a prétendu le contraire).

Un dernier mot sur Yves Jannier.Huit jours après le procès, il reçoit la promotion qu'il demandait: il est nommé à la tête de la section antiterroriste du Parquetsur proposition de Rachida Dati, garde des sceaux. Aujourd'hui, (juin2010), toujours à ce poste, il « ne croit pas à la thèsed'un mobile financier pour expliquer l'attentat » de Karachi eta, par conséquent, « décidé de ne pas travailler sur cettethèse ».

Jean-ClaudeKross.Il est l'un des deux avocats généraux du procès en appel. Quelquesmois plus tard, prenant sa retraite, il publie ses mémoires. A cetteoccasion il est interviewé par Adrien Cadorel, un journaliste deMétro qui lui parle du procès Colonna et lui fait observer que ledossier ne contenait aucune preuve contre l'accusé. Réponse deJean-Claude Kross, avocat général : « C'estvrai. Mais j'avais l'intime conviction de sa culpabilité ».On peut, à l'extrême rigueur, admettre que les membres du jury seprononcent sur la base de leur intime conviction (encore ques'agissant de la peine maximale on puisse s'interroger sur lebien-fondé de ce fonctionnement) mais l'avocat général ? N'est-ilpas là pour montrer que l'accusé est coupable ? S'il n'en a pas lesmoyens, comment peut-il requérir la peine maximale ?

2 – LES PRESIDENTS DE COUR

LePrésident Coujardpréside la Cour d'Assises spécialement constituée. Il apparaîtcomme un homme courtois à l'égard de l'accusé. C'est bien, mais...

Onva s'apercevoir rapidement qu'il ne tient pas la balance égale entrela défense et l'accusation, loin de là. A aucun moment il ne pousseles enquêteurs dans leurs retranchements. A aucun moment, il ne leurdemande les preuves qui fondent leurs accusations. Aaucun moment il ne rappelle que c'est à l'accusation d'apporter lapreuve de la culpabilité. En revanche, il demande à Y.Colonna deprouver son innocence: « il faut nous apporter des éléments », lui dit-il.

Acontrario, ils'efforce de jeter le discrédit sur les témoins à décharge.Le cas le plus grave concerne Paul Donzella, ce restaurateur deCargèse qui affirme que Yvan Colonna dînait dans sa pizzeria lesoir de l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. C'est untémoignage capital. Car si Y. Colonna n'était pas à Pietrosella,on ne voit pas pourquoi il aurait été à Ajaccio pour tuer lepréfet. Donzella à lui tout seul jette à terre toute la mécaniqueimaginée par l'accusation. Donzella passe à la fin du procès, toutà fait en fin de journée. Il a résisté aux banderilles del'accusation et de la partie civile. C'est alors que le présidentCoujard laisse filer un fou rire qui va gagner progressivement lacour puis la salle. Cela va durer suffisamment de temps pour que, dutémoignage de Donzella, on ne retienne que cet incident de séanceet non pas le contenu. C'est proprement scandaleux et indigne d'unjuge équitable.

Maisfaut-il s'en étonner ? Le président Coujard a déjà laisséparaître son parti-pris contre Y.Colonna. Dix jours avant la fin duprocès, il dit à l'accusé : « Nousfondons notre intime conviction à partir de la raison ».Tout est à critiquer dans cette affirmation. Le « nous »d'abord qui implique que le Président se sent appartenir au clan del'accusation et n'est pas au-dessus des parties entre lesquelles ildevrait tenir la balance égale. Ensuite, la « raison »invoquée montre qu'il s'agit bien de raisonnements qui ont servi àéchafauder une théorie et non pas d'une réalité objective étayéepar des faits. Il en fait d'ailleurs à plusieurs reprises l'aveuinvolontaire en utilisant le terme de « scénario » quiévoque bien une fiction. « L'intimeconviction »,enfin. Dix jours avant la fin du procès, le président avoue avoirune intime conviction défavorable à l'accusé. Commentpourrait-il donc avoir une attitude équitable ?

On ne s'étonnera pas dès lors deson refus de procéder à la reconstitution demandée par la défense.Mais comme c'est un homme habile, il biaise : il va accepter untransport sur place qui ne montrera rien du tout et pour cause.

Ici,une remarque à propos du refus de la reconstitution. On le justifieen général par le refus des membres du commando d'y participer. Cen'est une bonne raison qu'en apparence. D'abord parce que ce refus neconcerne que les deux protagonistes du crime : Ferrandi et Alessandri(les autres complices ne sont pas sur place) et qu'en fin du procèsen appel, Alessandri a levé son opposition. Ensuite et surtout parcequ'en pareil cas, on fait intervenir des gens qui se mettent à laplace des accusés (voir à ce sujet les propos du juge Bruguière).En l'occurence, cela aurait largement suffi pour montrer que lescénario (justement !) de l'accusation ne tient pas debout.N'importe qui, sur les lieux du crime, peut comprendre qu'un attentatde cette importance ne peut pas avoir été le fait de deux ou detrois hommes. Si on avait convoqué les très nombreux témoins quiont vu des choses et des gens suspects le soir du drame, on auraitcompris que le scénario de la police est inepte. On aurait comprisqu'il y avait bien plus de complices sur place (voir plus loin) quel'accusation ne veut le reconnaître. Voilà la véritable raisonpour laquelle il fallait à tout prix refuser la reconstitution. LePrésident Coujard a accepté de jouer ce jeu-là.

LePrésident Wacogne :La présidence de Didier Wacogne a été si partiale que le parquets'en est ému : quelques jours après le procès, on apprenait que lemagistrat ne présiderait plus de cour d'assises. En attendant ilavait tout de même accompli le travail pour lequel il avait éténommé par le premier président de la cour d'appel, lui-même nommépar le président de la République.

Les coups de théâtre du procèsen appel étant encore dans les mémoires, on se contentera derappeler ici les principaux reproches que l'on peut adresser auprésident.

-ilne communique pas à la défense toutes les informations qu'ilpossède.Ainsi, il ne révèlera que le 27 février le refus du commandantLebbos de venir à la barre des témoins. Il devait être entendu le4 mars. Lebbos est un témoin capital pour juger de la façon dontl 'enquête a été conduite (voir plus haut). Il a fourni uncertificat médical daté du 4 février (5 jours avant le début duprocès).

De son côté, Didier Vinolas(ancien secrétaire général de la préfecture d'Ajaccio au momentde l'assassinat) dont l'audition va créer un véritable choc, avaitfait savoir au président Wacogne, dès la fin janvier, qu'ilcomptait faire des révélations importantes. Le président gardel'information pour lui. Il prétendra ne pas avoir lu son courrier.

Ces rétentions d'information sontde nature à gêner le travail de la défense.

-Lesrefus du président :

Refus de renvoyer le procèsmalgré le choc des révélations de Vinolas.

Refus de nouvelles investigationssur les deux complices « dans la nature » désignés parces révélations au prétexte que les deux personnes étaient déjàconnues des enquêteurs et qu'elles n'étaient pas intéressantes.Pas intéressantes ? Qu'on en juge. On avait découvert chez l'un desvêtements de gendarmerie dérobés à la gendarmerie de Pietrosella.Et l'autre était propriétaire d'une 205 blanche semblable à cettevoiture qui, garée tout près du lieu du crime, a démarré entrombe dès l'attentat commis...

Refus d'ordonner un supplémentd'enquête.

Refus d'organiser lareconstitution devenue pourtant si nécessaire au dévoilement de lavérité.

On évoquera pour mémoirequelques comportements étranges. A Joseph Colombani (voir lechapitre sur les témoins), il lance un méprisant « Vous vousprésentez donc comme le témoin idéal ». Au moment oùMaranelli va craquer sous le feu des questions des avocats, leprésident intervient pour qu'on change de sujet. Il n'a aucunequestion à poser à Marie-Ange Contart qui a pourtant vu l'assassinà deux mètres. En revanche il accable de questions au autre témoinqui n'a rien vu.

Il n'a rien à dire non plus à MeSimeoni qui prouve en audience que tout ce qui a été dit sur ledossier de la téléphonie était erroné. Un président de coursoucieux de vérité aurait convoqué des experts, ordonné unsupplément d'enquête... Didier Wacogne, lui, passe à une autrequestion.

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