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Billet de blog 2 juin 2015

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Pourquoi les (grandes) entreprises ne créent pas d'emplois

C’est en tant que salarié d’un grand groupe industriel que je m’exprime cette fois, car après une nième annonce d’un chômage qui décidément ne cesse d’augmenter malgré une soi-disant remontée de la croissance, ce que je vois au sein de mon entreprise n’est pas très joli-joli.

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C’est en tant que salarié d’un grand groupe industriel que je m’exprime cette fois, car après une nième annonce d’un chômage qui décidément ne cesse d’augmenter malgré une soi-disant remontée de la croissance, ce que je vois au sein de mon entreprise n’est pas très joli-joli.

Je ne nommerai pas l’entreprise à laquelle je vends ma force de travail (puisque nous sommes des marchandises sur un « marché de l’emploi » et qu’il faut s’y (bien) vendre, paraît-il). Cela ne sert à rien. Je pars de l’hypothèse que cela fonctionne de la même manière dans toutes les entreprises, enfin en tout cas pour celles que je connais, c’est-à-dire les plutôt grosses organisations.

Dans ces entreprises, les charges de travail des salariés ne cessent d’augmenter pour des lignes budgétaires qui elles se font peau de chagrin. Pourtant, les entreprises reçoivent pléthores, d’aides, d’exonérations fiscales, réductions de « charges », Crédit Impôt Recherche (CIR), Crédit Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), Co-financements Européens pour les programmes de recherche (voir Horizon 2020 pour un financement - en partie issu des fonds de la commission Européenne - total de 80 Milliards d’Euros sur la période 2014-2020), n’en jetez plus. Dans le même temps, nombre de salariés, ingénieurs, cadres, techniciens s’entendent répondre lorsqu’ils contestent le manque de budget pour leurs activités que « L’entreprise doit réduire ses couts ». Toutes les entreprises « modernes » ont désormais un plan dit « compétitivité » ou « cost tracking » en bon anglais, c’est-à-dire qu’elles ne recrutent plus à hauteur de la croissance de leur chiffre d’affaire, de leur carnet de commande (en tout cas, loin d’un rapport un pour un) en demandant aux « ressources » présentes de supporter plus de charges et tout en leur demandant également de justifier auprès des institutions distribuant aides et crédits d’impôts de justifier des activités qu’elles sont censées mener. Ainsi les plans de charge sont « bidouillés » pour masquer ces multi-activités menées par les mêmes salariés « multi-cartes ». Objectif des directions : rentrer le maximum de recettes et réduire leurs charges au maximum en jouant sur une masse salariale à l’identique voir à la baisse car qu’est-ce que la charge la plus importante d’une entreprise bien sûr : sa masse salariale, disent tous ceux qui ont tendance à oublier qu’il s’agit de la force de production (d’ailleurs composée de moins de moins de « vrais » productifs qui comme par hasard sont les plus mal payés … cherchez l’erreur).

Mais quelle est la raison d’une telle mode qui ne date pas d’hier mais qui s’est intensifiée dans des proportions particulièrement inquiétantes ces dernières années ? La course au taux de profit à deux chiffres et des versements toujours plus importants versés aux actionnaires. Ainsi Airbus en 2014 a obtenu un bénéfice net de plus de 2 milliards. Ce qui ne l’a pas empêché de tenter une augmentation du temps de travail de ses cadres sous prétexte d’un gain de compétitivité nécessaire face à la concurrence. Devant la fronde des syndicats et d’une bonne partie des cadres, ce plan a été retiré. La résistance paye encore face à la stratégie du jusqu’où-aller-trop-loin. Le président d’Airbus, Tom Enders, n’a pas non plus attendu pour annoncer qu’en 2015, il faudrait obtenir un meilleur bénéfice net encore. En effet, l’appétit des actionnaires n’est jamais assouvi et un actionnaire mécontent est comme un contribuable (riche) mécontent, il va voir ailleurs. Alors derrière les messages d’amour adressés aux entreprises, se cache le merveilleux message d’amour adressé au capital qui vous l’aurez compris ne rime en rien avec création d’emplois, citoyenneté, démocratie, respect de la vie humaine (et de la construction de sa résistance à la mécanique globale d’asservissement), bref n’a de lien avec le bien commun des peuples et la société dans son ensemble que pour toujours plus exploiter son capital humain comme l’a si bien démontré Karl Polanyi. L’entreprise la grande, la trop grand entreprise ne crée pas ou plus d’emplois, elle ne sert qu’à broyer la vie de ses salariés en leur demandant de rester cool.

Toutes ces aides versées aux entreprises par un gouvernement socialiste, et instaurant par voie de conséquence, une baisse des dépenses publiques et des dotations aux collectivités territoriales, sous couvert d’un soi-disant pacte de responsabilité est une forfaiture. Nous le savions dès le départ. Et voilà le MEDEF en son illustre, décomplexé et délicieux patron Pierre Gattaz, après dit s’être engagé sur un million d’emploi, finalement se dégager de toute responsabilité quant aux faibles créations d’emploi et en profiter pour dire qu’il faudrait, bien sûr, aller encore plus loin dans les aides ou crédits d’impôts à octroyer. C’est un fait : pour ne pas souffrir lorsqu’on rencontre un mur, il vaut mieux aller très très vite à sa rencontre.

Dans ce contexte, on comprend bien quand dans le journal de 20h de France 2 du lundi 1er juin, l’auto-proclamé spécialiste économique François Lenglet nous explique que le gisement d’emploi est plutôt dans les PME (que le MEDEF ne représente pas) mais on comprend moins bien quand il nous explique, comme tous les bons économistes bien voyants (voyants tout court) et omniprésents, sortes de Mme Irma de l’école néo-libérale – d’autre part très prompts à nous expliquer que pour créer des emplois il faudrait toujours plus baisser, encore et encore les charges mais aussi se débarrasser de toutes ces maudites protections des salariés - qu’il y a un effet retard entre 9 et 12 mois entre la croissance et la baisse du chômage. Ah bon ? Ça doit être ça alors, pourquoi pas 2 ans ou bien 3 ou bien 10 ou bien … jamais. On comprend moins bien aussi quand il compare tout cela à un rallumage « du chauffage dans une vieille maison humide ». Ah ce bon sens commun ! c’est un peu comme quand on nous dit que les états doivent gérer leur dépense comme de bons pères de famille ce qui est évidemment un énorme mensonge – outre le fait que ces expressions du passé sont un poil surannées … - puisque qu’une famille n’a que très peu de marge de manœuvre sur ses recettes. La France, cette « vieille maison humide » donc … continuons … qui refuse de se moderniser, de bouger (dans le sens où va le monde … néo-libéral), de se réformer (au sens où le capital l’entend), cette France « attentiste » quand dans le reportage suivant il est question de ces petits boulots aux conditions dégradées ou à temps partiels, ou bien encore cette France des fraudeurs aux allocations familiales quand on nous montre dans un reportage suivant que désormais grâce aux recoupements de fichiers mis en place à la CAF (vive la surveillance généralisée !) on peut découvrir, Ô suprême horreur, que des personnes ayant déclaré aucune ressource gagnent en réalité … 150 Euros par mois (caméra braquée sur l’écran de l’ordinateur de l’employée de la CAF pour mieux le démontrer). Coluche nous l’avait bien dit : « Salauds de Pauvre !», toute cette crise, c’est un peu de votre faute ? Et la situation dans laquelle vous êtes, aussi, non ? Puisqu’on vous qualifie d’ « attentiste »[1]. Les grandes rédactions des grands médias Français dominants, des machines idéologiques à propagande ? Qui oserait dire cela ?


[1] Confere Le Larousse : se dit d’une attitude individuelle qui consiste à refuser l’initiative et à se déterminer suivant les circonstances.

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