Le recul du PS (ainsi qu’une percée du FN, même si toute relative à l’échelle du pays), lors de ce premier tour des municipales, était prévisible mais ce qui est intéressant c’est d’étudier le comportement et les réactions de ses élites.
A plusieurs titres, ils témoignent d’une faillite politique dont hélas, à y regarder de plus près, on s’aperçoit qu’elle opère hors du champ de conscience de ses cadres au pouvoir (ne parlons pas de la base militante ni du bureau national qui n’ont plus aucune espèce d’influence sur ceux qui détiennent le pouvoir).
Tout d’abord, les éléments de langage (puisqu’il y en a aussi au PS, c’est devenu, semble-t-il une mode de gouvernance, détestable) se concentrent sur l’exigence faite à l’UMP d’adhérer à un front républicain. Faut-il donc à ce point souffrir d’une cécité qu’on pourrait qualifier de morale pour oser demander à un parti qui a manié la xénophobie à outrance (n’oublions jamais la campagne du second tour des présidentielles de 2012), le racisme anti-gay et anti-lesbien (puisqu’il fallait bien des arguments contre le mariage pour tous), les symboles discriminatoires en tout genre (comme les apéros saucisson-pinard), le recours à tout va et sans complexe aux valeurs traditionnelles de l’église (comme lors de la polémique entretenue sur la théorie du genre)[1] de faire front républicain. C’est la faiblesse de cette social-démocratie-là de croire qu’elle reste du côté de la vertu quelle que soit la politique mise en œuvre, qu’elle que soit ses échecs électoraux. Il suffira d’appeler au « ressaisissement » pour que peuple Français mette fin à son caprice d’enfant gâté et qu’il reprenne le chemin de la raison.
Manque de chance, la gravité du mal se mesure à l’incapacité qu’a le fou de reconnaître qu’il a perdu la raison. Et la raison, il faut croire que le PS l’a perdu désormais définitivement. Avec la raison, la lucidité, la capacité d’écoute et d’analyse comme celle Jean-Marc Ayrault expliquant la chute du nombre de voix de son parti par le doute et l’incompréhension des Français. Fort de sa conviction, chevillée au corps pourrait-on dire, lui ne doute pas et au « Je vous ai compris » du général, il y va d’un sidérant « Vous m’avez mal compris » ! Le problème c’est que le peuple de gauche l’a très bien compris et si bien compris que toutes ces voix perdues sont allées à l’abstention pour une bonne part, pour une autre part au FN (selon une trajectoire politique qui n’a jamais cessé d’étonner) et même si une bonne part a conservé sa préférence au Front de Gauche ou l’a rejoint[2].
Lorsqu’enfin, il n’aura pas fallu 24 heures pour constater que le PS ne s’appliquera pas à lui-même, la règle qu’il exige presque hystériquement à l’UMP comme à Marseille où Patrick Mennucci n’a nullement l’intention de se désister pour assurer la victoire à Jean-Claude Gaudin alors il ne nous reste qu’une seule explication (sauf à nous même sombrer dans la folie devant tant de perte de sens).
L’explication, nous pouvons la trouver dans un petit encart du Canard Enchaîné[3]. On peut y lire ce qu’on savait déjà : que le PS avait délaissé les milieux ouvriers pour se concentrer sur sa nouvelle clientèle électorale, à savoir les classes moyennes et supérieures intellectuelles dans les grandes agglomérations urbaines d’une part et les milieux populaires à forte proportion de Français d’origine étrangère d’autre part. Une riche idée, certainement progressiste du Think Tank Terra Nova. Or on peut y lire qu’ « une fraction significative des milieux populaires [a] basculé à droite, notamment des ouvriers des zones périurbaines et rurales, particulièrement sensibles aux thèmes de l’immigration et de l’insécurité ».
Si on regarde l’adhésion forte des milieux populaires aux forces de coalition du Front populaire durant le 1er semestre 1936, on ne peut qu’être frappé par cette différence de comportement des milieux populaires à presque 80 ans d’écart si ce n’est (pour leur rendre justice) un nombre malgré tout conséquent encore de militants, d’hommes et de femmes inscrits dans les luttes sociales (soit que les effets du capitalisme sauvage mondialisé les touchent directement ou bien un de leurs proches) au regard des scores honorables du Front de gauche dans un certain nombre de municipalités.
Mais tout de même les milieux populaires ont désisté la gauche (nous ne parlons pas ici de la droite complexée[4] au gouvernement). Que s’est-il passé depuis 1936 ? Ne faisaient-ils pas corps dans la résistance à l’occupant nazi puis pour soutenir le Conseil National de la Résistance ? N’étaient-ils pas de la fête le 10 mai 1981 ? L’étaient-ils le 6 mai 2012 ?
L’essai de Terra Nova de 2011 fait un terrible contre-sens à partir de son constat que « l’exercice du pouvoir, à partir de 1981, oblige la gauche à un réalisme qui déçoit les attentes du monde ouvrier. Du tournant de la rigueur en 1983 jusqu’à « l’Etat ne peut pas tout » de Lionel Jospin en 2001, le politique apparaît impuissant à répondre à ses aspirations. Les déterminants économiques perdent de leur prégnance dans le vote ouvrier et ce sont les déterminants culturels, renforcés par la crise économique, « hystérisés » par l’extrême droite, qui deviennent prééminents dans les choix de vote et expliquent le basculement vers le Front national et la droite. » Or c’est bien dès cette période le prétendu réalisme c’est-à-dire l’inflexion donnée à la politique qui va faire s’éloigner le PS des milieux populaires et non l’inverse. Un peu comme si Olivier Ferrand avait cherché à nous convaincre que ce n’était pas le train qui partait mais le quai …
Car le train qui partait était celui du lent et méthodique travail de révolution culturelle qu’ont su parfaitement orchestré, jusqu’à présent, les forces capitalistes et en particulier avec un succès inouï ces dernières décennies à travers le progressif embourgeoisement des peuples (certes dans le monde, pas seulement en France) afin que ces derniers rêvent du dernier téléviseur, du dernier équipement domotique ou du dernier smartphone plutôt que d’être uni dans la lutte pour défendre le bien commun, les valeurs de fraternité et de solidarité trop souvent troquées contre celles marchandes.
Didier Eribon situe ce virage (un vrai virage contrairement au tournant libéral supposé récent de François Hollande) dans les années 70 dès lors que le système du crédit a commencé à gagner les consciences et a été mis en place (par le capital) pour pallier aux premiers effets des premières crises pétrolières[5]. Depuis la lente marchandisation du monde et la lente désagrégation du collectif (qu’on peut encore voir, mais sur des temps plus courts[6] survivre dans les luttes contre les fermetures des usines ou chez les militants conscients de l’emprise des valeurs capitalistes sur nos sociétés) n’a cessé de faire son œuvre jusqu’à ce qu’on parle de sociétés occidentales devenues individualistes sans que les raisons économiques et sociales qui ont mené à cet individualisme des jeunes générations ne soit établi.
La vérité c’est que les forces capitalistes ont fini par gagner cette bataille culturelle au point que même la social-démocratie réputée de gauche (en France et ailleurs) finisse par ôter ses lunettes marxistes et épouser une vision en tout point conforme avec celle de la droite, des capitaines d’industrie et des créanciers.
Au final, si on veut bien comprendre (sans l’excuser) la faillite tout autant politique que sociale du Parti Socialiste Français, alors il faut reconnaitre ce qui en est à l’origine, c’est-à-dire la puissance du capitalisme et sa capacité désormais démultipliée (jusqu’à corrompre la grande majorité des centres de pouvoir politique) à répandre son idéologie et ses valeurs culturelles radicalement prédatrices et destructrices.
[1] et qui démontre qui plus est sa corruption endémique par un nombre record d’affaires politiques extrêmement graves puisqu’allant jusqu’à rendre public comme un ancien président de la république foulait aux pieds les valeurs de cette même république avec le cynisme d’un quelconque parrain de la mafia calabraise
[2] Sachant que, pour ne rien arranger, quelques ténors communistes ont fait le pari malencontreux d’une stratégie douteuse d’alliance avec le PS dès le premier tour pour quelques plats de lentille comme l’a dit dimanche soir, hélas sans que cela soit faux, Marine Le Pen à Pierre Laurent sur le plateau de France 2
[3] Canard Enchaîné du 19 mars 2014. Article « Urnes de moins en moins populaires ». Les sources citées sont celles de la revue « Commentaire » (n°145, printemps 2014).
[4] Pour reprendre l’expression de Fréderic Lordon dans le dernier article de son blog : http://blog.mondediplo.net/2014-02-26-Les-entreprises-ne-creent-pas-l-emploi
[5] Didier Eribon, La société comme verdict, Collection histoire de la pensée chez Fayard, p207 : « Ils ne voulaient pas faire la révolution ! ils voulaient faire construire un pavillon ».
[6] Et même s’il y a là aussi des exceptions lorsque des coopératives, comme dans l’exemple des Fralib, se mettent en place sur la durée.