Lorsqu’il ne faisait pas bon être juif
Je suis réveillé en sursaut par trois coups brutaux à la porte d’entrée. Puis une explosion. Il est 4h04, d’après l’horloge murale. Je bondis hors du lit. Ma femme me regarde, paniquée. Je lui fais signe de rester couchée et d’appeler la police.
J'entends des exclamations et des bruits de pas. J’empoigne ma lampe de chevet et ouvre la porte menant sur le salon, prêt à faire mon possible pour chasser des cambrioleurs, en priant Yahweh.
Ils sont au moins une dizaine. Ils me hurlent de poser mon arme, de m'allonger face contre terre. « Police ! » crient-ils. Je les regarde sans comprendre. Est-ce que c’est un rêve, ou plutôt un cauchemar ? Ils braquent sur moi leurs fusils et leurs lampes-torches, beuglent des ordres et des menaces. L’un d’eux me saisit par le coude et me force à lâcher la lampe que j’avais oubliée tenir. Il me tord le bras, je tombe à genoux. Des menottes m’enserrent aussitôt les poignets.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? » parviens-je enfin à dire. « Perquisition, » crache celui qui me tient au sol, sans plus d’explications. Trois d’entre eux retournent les coussins du canapé en les lançant à travers la pièce. Ils dépouillent ma bibliothèque, inspectant chaque livre avant de le lâcher dans un tas qui grandit vite. Hébété, je me demande s’ils vont y mettre le feu. Les tiroirs de mon bureau sont vidés au sol sans ménagement. Je les interpelle, essaie d’obtenir des réponses, mais aucun ne daigne m’expliquer ce qu’ils peuvent bien chercher.
J’entends des exclamations étouffées dans la chambre. Ma femme est traînée et jetée à mes côtés. Elle est tétanisée, elle n’arrive plus à respirer. « Elle fait de l’asthme, crié-je, elle a besoin de ses médicaments ! » Les policiers me rient au nez. Ils portent soit des casques soit des cagoules, je ne vois pas leurs visages. Ce sont des monstres destructeurs qui pillent mon intimité.
« J’ai des droits, je suis un citoyen français, vous ne pouvez pas faire ça !
— Ta gueule, t’as aucun droit sale juif ! »
Un coup de pied dans le ventre me fait taire. Pas fort, mais j’ai le souffle coupé, terrorisé par la compréhension que je n’ai aucun droit. Ici, dans mon pays, dans ma propre maison.
Est-ce qu’ils sont là pour me rafler, comme tant d’autres juifs ?
Un policier fouille dans les sous-vêtements de ma femme, montre sa lingerie fine à ses comparses en rigolant et proférant des blagues racistes. Ils sont fiers d’eux, imbus de pouvoir.
Lorsqu’ils ont fini, l’appartement est saccagé. Tout est sens dessus dessous. Les étagères sont vides, les meubles couchés. Habits, livres et bibelots s’étalent pêle-mêle sur le sol. Je tremble de tous mes membres.
« Pourquoi faites-vous cela ? » demandé-je, en une dernière tentative pour donner du sens à tout cela.
Un policier me renvoie un regard désolé et détourne les yeux. Son collègue rigole en me détachant.
« C’est la guerre, Noam, et on va purger la France de vous autres les parasites. »
Il me donne une pichenette sur le nez, espérant peut-être un geste de révolte, puis s’en va en enjambant la porte défoncée à l’explosif lors de leur entrée.
Lorsqu’il ne fait pas bon être musulman
Je suis réveillé en sursaut par trois coups brutaux à la porte d’entrée. Puis une explosion. Il est 4h04, d’après mon smartphone. Je bondis hors du lit. Ma femme me regarde, paniquée. Je lui fais signe de rester couchée et d’appeler la police.
J'entends des exclamations et des bruits de pas. J’empoigne ma lampe de chevet et ouvre la porte menant sur le salon, prêt à faire mon possible pour chasser des cambrioleurs, en priant Allah.
Ils sont au moins une dizaine. Ils me hurlent de poser mon arme, de m'allonger face contre terre. « Police ! » crient-ils. Je les regarde sans comprendre. Est-ce que c’est un rêve, ou plutôt un cauchemar ? Ils braquent sur moi leurs fusils d'assaut et leurs lampes-torches, beuglent des ordres et des menaces. L’un d’eux me saisit par le coude et me force à lâcher la lampe que j’avais oubliée tenir. Il me tord le bras, je tombe à genoux. Des menottes m’enserrent aussitôt les poignets.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? » parviens-je enfin à dire. « Perquisition administrative, » crache celui qui me tient au sol, sans plus d’explications. Trois d’entre eux retournent les coussins du canapé en les lançant à travers la pièce. Ils dépouillent ma bibliothèque, inspectant chaque livre avant de le lâcher dans un tas qui grandit vite. Hébété, je me demande s’ils vont y mettre le feu. Les tiroirs de mon bureau sont vidés au sol sans ménagement. Je les interpelle, essaie d’obtenir des réponses, mais aucun ne daigne m’expliquer ce qu’ils peuvent bien chercher.
J’entends des exclamations étouffées dans la chambre. Ma femme est traînée et jetée à mes côtés. Elle est tétanisée, elle n’arrive plus à respirer. « Elle fait de l’asthme, crié-je, elle a besoin de ses médicaments ! » Les policiers me rient au nez. Ils portent soit des casques soit des cagoules, je ne vois pas leurs visages. Ce sont des robots destructeurs qui pillent mon intimité.
« J’ai des droits, je suis un citoyen français, vous ne pouvez pas faire ça !
— Ta gueule l’islamiste ! C’est l’état d’urgence, la loi c’est nous. »
Un coup de pied dans le ventre me fait taire. Pas fort, mais j’ai le souffle coupé, terrorisé par la compréhension que je n’ai aucun droit. Ici, dans mon pays, dans ma propre maison.
Est-ce qu’ils sont là parce que des fous se réclamant d’Allah ont commis cet horrible attentat ?
Un policier fouille dans les sous-vêtements de ma femme, montre sa lingerie fine à ses comparses en rigolant. « C'est pas très Allah ça ? Vous portez ça sous votre niqab ? » Ils sont fiers d’eux, imbus de pouvoir.
Lorsqu’ils ont fini, l’appartement est saccagé. Tout est sens dessus dessous. Les étagères sont vides, les meubles couchés. Habits, livres et bibelots s’étalent pêle-mêle sur le sol. Je tremble de tous mes membres.
« Pourquoi faites-vous cela ? » demandé-je, en une vaine tentative pour donner du sens à tout cela.
Un policier me renvoie un regard désolé et détourne les yeux. Son collègue rigole en me détachant.
« C’est l’état d’urgence, Mohammed. Fallait pas faire chier la France, toi et tes cousins. »
Il crache sur le sol, puis s’en va en enjambant la porte défoncée à l’explosif lors de leur entrée.
Lorsqu’il ne fera (fait ?) pas bon être dans l’opposition
Je suis réveillé en sursaut par trois coups brutaux à la porte d’entrée. Puis une explosion. Il est 4h04, d’après mon smartphone. Je bondis hors du lit. Ma femme me regarde, paniquée. Je lui fais signe de rester couchée et d’appeler la police.
J'entends des exclamations et des bruits de pas. J’empoigne ma lampe de chevet et ouvre la porte menant sur le salon, prêt à faire mon possible pour chasser des cambrioleurs.
Ils sont au moins une dizaine. Ils me hurlent de poser mon arme, de m'allonger face contre terre. « Police ! » crient-ils. Je les regarde sans comprendre. Est-ce que c’est un rêve, ou plutôt un cauchemar ? Ils braquent sur moi leurs fusils d'assaut et leurs lampes-torches, beuglent des ordres et des menaces. L’un d’eux me saisit par le coude et me force à lâcher la lampe que j’avais oubliée tenir. Il me tord le bras, je tombe à genoux. Des menottes m’enserrent aussitôt les poignets.
« Vous n’avez pas le droit ! crié-je d’une voix moins ferme que ce que je voulais. Est-ce que vous savez qui je suis ?
— Perquisition administrative, on a tous les droits, » crache celui qui me tient au sol.
Trois d’entre eux retournent les coussins du canapé en les lançant à travers la pièce. Ils dépouillent ma bibliothèque, inspectant chaque livre avant de le lâcher dans un tas qui grandit vite. Hébété, je me demande s’ils vont y mettre le feu. Les tiroirs de mon bureau sont vidés au sol sans ménagement.
J’entends des exclamations étouffées dans la chambre. Ma femme est traînée et jetée à mes côtés. Elle est tétanisée, elle n’arrive plus à respirer. « Elle fait de l’asthme, crié-je, elle a besoin de ses médicaments ! » Les policiers me rient au nez. Ils portent soit des casques soit des cagoules, je ne vois pas leurs visages. Ce sont des robots destructeurs qui pillent mon intimité.
« Je suis un député, membre du Parti Socialiste ! Vous ne pouvez pas faire ça !
— Ta gueule le traître ! Tu nous as cherchés, nous voilà. Tu ne la ramènes plus hein ? Elle est où ta grande gueule d’opposant ? »
Un coup de pied dans le ventre me fait taire. Pas fort, mais j’ai le souffle coupé, terrorisé par la compréhension que je n’ai plus aucun droit. Ici, dans mon pays, dans ma propre maison.
Est-ce qu’ils sont là parce que j’ai voté contre la majorité, hier ? Oseraient-ils vraiment s'en prendre ainsi à un élu de l’opposition ?
Un flic fouille dans les sous-vêtements de ma femme, montre sa lingerie fine à ses comparses en rigolant. Ils sont fiers d’eux, imbus de pouvoir. Je suis bien placé pour le savoir.
Lorsqu’ils ont fini, l’appartement est saccagé. Tout est sens dessus dessous. Les étagères sont vides, les meubles couchés. Habits, livres et bibelots s’étalent pêle-mêle sur le sol. Je tremble de tous mes membres.
« Vous devriez avoir honte ! Vous êtes des serviteurs de la France, vous ne pouvez pas vous conduire ainsi, » clamé-je, geste dérisoire de défi.
Un policier me renvoie un regard désolé et détourne les yeux. Son collègue rigole en me détachant.
« C’est l’état d’urgence, Bernard, ça te dit quelque chose ? La prochaine fois, fais attention à ton vote, tes anciens amis t'ont à l'œil. Ne nous oblige pas à revenir. »
Il me tapote la joue d’un air condescendant, puis s’en va en enjambant la porte défoncée à l’explosif lors de leur entrée.
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Note d'intention
L'idée de départ était d'essayer de travailler autour de l'empathie que certains semblent ne pas ressentir face à la situation actuelle. Que ce soit en faisant un parallèle avec le passé, le présent dans d'autres pays, ou un futur relativement proche qu'il est aisé d'imaginer en suivant les dérives, la situation actuelle (état d'urgence, perquisitions administratives à tout va) est très inquiétante. Cette inquiétude, malheureusement, ne semble pas partagée largement. Par manque d'empathie ? Peut-être. Je pense que c'est le cas, au moins en partie. D'où l'idée d'essayer, par une courte fiction répétitive, de pousser les gens à se mettre à la place des personnes perquisitionnées.
Objectif atteint ? Aucune idée. Et je suis mal placé pour le dire. Ce serait plutôt à vous de me le dire, non ?
Quelques précisions supplémentaires :
Le parallèle historique est facile. Justifié ? Je le pense, au moins en partie. La véracité historique n'était cependant pas mon soucis principal ici, je m'excuse par avance si des incohérences s'y sont glissées.
Dernier point : il ne s'agit de faire une généralisation biaisée, de nombreuses perquisitions se déroulent dans le calme (ce qui ne change rien au traumatisme d'une perquisition nocturne parfois arbitraire, mais passons). Cependant, de nombreux témoignages montrent que la situation décrite dans cette courte fiction est bien en-deça de la réalité de certaines perquisitions. Quelques exemples ici, ici, ou encore ici. Pour plus d'informations sur les abus de l'état d'urgence, n'hésitez pas à parcourir l'impressionnante liste mise en place par La Quadrature du Net.