
On dit souvent que l’histoire est lente et cruelle. Je ne l’ai jamais cru. L’histoire c’est un territoire escarpé de hautes montagnes et de profondes vallées. Les dénivelés défilent, parfois lentement, puis s’accélèrent brutalement de sorte que 3 siècles de dominations se retrouvent balayés en 3 jours. Il y a donc des phénomènes qui accélèrent l’histoire, d’autres qui la ralentissent… Rien de plus qu’une lutte, au fond.
L’hiver à gauche
Cette histoire, elle m’a semblé figée depuis 2012. Glacée par un vent de septembre qui sent déjà l’hiver. La Gauche au pouvoir rivalise de mesures libérales, antisociales, anti-écologiques, anti-démocratiques. Bref, c’est la nasse et tout le bateau s’effondre. « La gauche de la gauche » avec, embourbée dans des logiques d’appareils et prisonnière de ses apparatchiks. Elle chante très fort ses slogans et son identité, tente de ne pas être broyée par la situation politique, mais ne se parle qu’à elle-même, convaincue qu’elle est en résonnance avec le peuple.
La secousse des européennes a sanctionné cette attitude. Beaucoup ont compris qu’il fallait sortir du carcan qui nous emprisonne. Peut-être même que tout le monde l’a compris d’ailleurs. Au point que même les plus fétichistes des partis se sont pris à lancer des initiatives comme on change de chemise pour devenir un nouvel homme… Sauf qu’il ne s’agit pas d’une mode mais d’un profond malaise avec ce que revêtent les organisations politiques aujourd’hui.
Le printemps citoyen
L’annonce des départementales ne sonnait pas comme une bonne nouvelle. J’avais presque prévu de l’enjamber, anticipant la lourdeur d’une campagne comme celle-là. La plaie de deux campagnes de 2014 dans l’entre soi saignait encore. Sauf que, chez moi à Toulouse, mais aussi dans d’autres départements du pays, des démarches citoyennes ont émergé, soutenues par EELV, le PG et Nouvelle Donne (voire le PCF et Ensemble dans certains cantons et en Aveyron – ainsi que le NPA et le MRC dans le Jura par exemple). Certaines plus ambitieuses que d’autres, mais la volonté d’expérimenter était là. Plus de discussion de coin de table sanctionnant les rapports de force. Plus cette opposition stérile entre des militant-e-s qui partagent beaucoup d’idées mais pas le paquet cadeau.
Alternative Citoyenne a émergé rapidement, comme si chacun-e l’attendait comme une évidence. De décembre à janvier les balbutiements se sont concrétisés pour lancer 1 mois et demi de campagne d’une fraicheur que j’ai rarement pu observer. La question n’était plus de savoir qui est où, mais de bosser ensemble. Je me suis souvent rappelé des « imbéciles heureux qui sont nés quelque-part » de Brassens. Nous n’en étions plus.
Beaucoup de cadres ou d’ancien cadres, de ceux qui comptent leur militantisme en dizaines d’années et en font un argument d’autorité… beaucoup d’entre eux se sont tenus à distance, si ce n’est pour en récolter quelques parcelles de gloire le moment venu. Tant mieux, nous étions libres. Il ne faut pas dire ça dans un tract ? Nous l’avons dit ! Il ne faut pas d’attaque ad nominem sur les cumulards ? On l’a fait. Il ne faut pas traiter les socialistes de serviles et carriéristes dans un communiqué ? On l’a fait. On a bousculé le petit monde politique et ses habitudes et on a remis sur les rails de nombreux citoyen-ne-s (militants ou pas) heureux de voir enfin du nouveau et d’avoir le pouvoir d’en être actrices et acteurs. Les assemblées citoyennes étaient passionnantes, ludiques, drôle, et la parole libérée… Au soir des résultats, sur Toulouse nous faisons autour de 15%. Beaucoup de Toulousain-e-s sont étonné-e-s, Alternative Citoyenne a débarqué comme acteur majeur de la politique locale. Enfin j’avais le sentiment que l’histoire s’accélérait de nouveau, sortait de la torpeur qui la cryogénisait.
Mercredi dernier, nous avons tenu la première rencontre Alternative Citoyenne après les élections. C’était la première étape de la continuité que tout le monde voulait. La dynamique était toujours là, le plaisir de se retrouver nombreux, d’horizons différents et d’échanger sur nos expériences. Déjà les questions de l’organisation du mouvement ont émergé, des groupes de travail, des pistes d’action etc… On se croyait devant une feuille blanche à tout devoir réinventer. On était des gosses devant une montagne de légos, des randonneurs devant des Highlands à perte de vue.
Mais aussi une question : comment ne pas retomber dans ce qui apparaît déjà comme l’Ancien Régime pour les élections régionales ? Les inquiétudes ont touché juste…
L’automne des chapelles
Car loin, très loin de l’animation d’Alternative Citoyenne, des Assemblées, des chansons et des débats… Certains bureaucrates préparaient leur soudaine apparition post-générique de fin. Ainsi découvre-t-on en quelques jours que Gérard Onesta, si absent quand il s’agissait de citoyenner, s’installe paisiblement dans le rôle du héros (ou héraut) de son parti pour les élections régionales.
Aucun regard vers ce qui s’est passé, le succès qu’Alternative Citoyenne a eu, l’implication de nouvelles personnes pensant avoir enfin un outil qui se soit débarrassé des vieilles habitudes de chapelles. Rien, comme si « rien » ne s’était passé justement. On a comme l’étrange impression de s’être réveillé après avoir simplement rêvé des élections qui n’ont jamais eu lieu. Toute cette petite sphère qui se sentait au-dessus de la mêlée va donc annoncer prochainement la tête de liste régionale et une partie des têtes de listes départementales EELV. Manière de protéger son pré-carré, ces 10% précieux pour négocier avec le PS au second tour et garder des places confortables. Ou peut-être la seule manière pour Monsieur de s’affirmer, lui qui est le moins rassembleur des courants politiques qui se mélangent aujourd’hui.
Si cette annonce est publique, dans les coulisses des autres partis les choses s’affairent également. La réunion régionale de Nouvelle Donne, avant même la fin des départementales, s’est orientée vers un départ en solitaire pour les prochaines échéances, contre l’avis de celles et ceux qui avaient participé à notre démarche citoyenne ici. Le PG appelle à désigner des chefs de file assez vite également, sans mettre d’exclusive sur le périmètre d’alliance certes, mais sans prendre en considération non plus les démarches dont ses militants ont été, en partie, à l’origine dans de nombreux départements. Si le calendrier du PCF n’est pas encore apparu, et est, en général, plus tardif, j’ai peine à croire qu’il change diamétralement d’avis sur ces démarches qui sont rarement dans sa tradition politique malgré des exemples locaux remarquables.
Bref, autant de manières d’abandonner l’ambition de faire un mouvement large, citoyen, qui mette tout le monde sur un pied d’égalité avec 1 personne = 1 voix. Un mouvement qui permette de déborder les clivages qui n’en sont pas, et les logiques internes sur lesquelles les apparatchiks et les cumulards s’appuient pour garder leurs miettes du pouvoir. Et surtout, un mouvement en capacité, par sa logique, d’être majoritaire et de mettre en place un programme citoyen.
Qu’il s’agisse de mon parti ou d’un autre m’importe peu, je ne serais pas complice d’une nouvelle glaciation, d’un nouveau recul de l’histoire. Alternative Citoyenne concentre ce pourquoi je me suis engagé au tout départ : dans la forme, dans le fond, dans la volonté de bousculer un monde dans lequel je me sens mal à l’aise.
Je ne suis qu’un grain de sable, mais je l’annonce et je souhaite que nous soyons nombreuses et nombreux à le faire. Je ne ferais plus une seule campagne pour un parti ou un simple cartel de partis. Plus jamais je ne ferais une campagne type Front de Gauche, ce sera sans moi. Plus jamais je ne serai complice de logiques de chapelles, de ces attitudes qui considèrent que le nombril est plus important que l’Intérêt Général. Soyons sans concession, et disons dès aujourd’hui : « c’est toutes et tous ensemble sinon RIEN ! »
Romain Jammes