Plusieurs articles de presse se sont fait l’écho ces dernières semaines du cauchemar judiciaire vécu par 183 employés du groupe Elior, qui avaient obtenu la condamnation de leur employeur à leur verser des primes dont bénéficiaient leurs collègues, avant de voir la Cour de cassation annuler celle-ci, les contraignant à rembourser à Elior les sommes initialement obtenues (soit un montant total de 2,8 millions d’euros).
Ce cauchemar judiciaire, qui se transforme en tragédie financière pour les salariés concernés, a pour origine une triple aberration : les atteintes à l’égalité de traitement, portées par la Loi Travail et les Ordonnances Macron, l’influence des lobbys sur le gouvernement actuel, et la lenteur de la justice.
- A l’origine, les atteintes à l’égalité de traitement portées par le gouvernement
Dans le secteur du nettoyage, il est fréquent qu’une entreprise (en l’occurrence Elior), succède à une autre, notamment après avoir remporté un marché à ses dépens. Dans ce cas, le nouveau prestataire doit également reprendre les salariés de la société qui opérait avant elle.
Or, dans cette affaire, les salariés repris par Elior ont bénéficié, pendant plusieurs années, de certains éléments de rémunération, notamment de primes, acquis auprès de leur ancien employeur, auxquels les « salariés historiques » d’Elior n’avaient pas droit.
Face à cette différence de traitement, près de 200 employés « historiques » d’Elior, se basant sur le principe « A travail égal, salaire égal », ont saisi la justice, qui leur a donné raison deux fois. Jusqu’à l’intervention de la Loi Travail et des Ordonnances Macron …
En effet, la Loi El Khomri a créé au sein du Code du travail l’article L 1224-3-2, interdisant désormais aux salariés « historiques » de se comparer avec les employés des anciens prestataires, dont les contrats de travail sont poursuivis chez le nouveau, dès lors qu’ils étaient affectés à d’autres sites, limitant ainsi la portée du principe d’égalité de traitement aux seuls salariés travaillant sur un même site.
L’une des Ordonnances Macron a repris et modifié cet article, en aggravant considérablement les effets pour les salariés, à deux égards.
D’abord en rendant générale l’interdiction de comparaison qui est faite aux salariés « historiques » de la société, y compris au sein du même site, achevant tout espoir pour ces derniers de bénéficier des mêmes avantages que les salariés transférés.
Il s’agit ni plus ni moins que de légaliser et institutionnaliser les inégalités de traitement entre des salariés exerçant pourtant un travail identique. Et d’ériger autour du principe d’égalité de traitement un rempart infranchissable pour certains salariés.
Ensuite, en rendant l’article L 1224-3-2 du Code du travail applicable à des affaires dans lesquelles les contrats des employés, auxquels les salariés « historiques souhaiteraient se comparer, auraient été transférés dans l’entreprise des années auparavant, et en lui procurant ainsi une forme d’effet rétroactif.
Une telle rétroactivité est absurde, et porteuse d’un risque considérable pour les salariés, comme l’affaire en question l’illustre, les employés d’Elior ayant fait face en cours de procédure à un changement, par le gouvernement Macron, des « règles du jeu », en faveur des entreprises de propreté.
Ce sont ces deux modifications qui ont en partie permis à Elior de faire annuler les condamnations dont elle avait écopé. C’est la raison pour laquelle il devra être proposé prochainement au législateur de revenir sur ces dispositions aberrantes.
- Des salariés sacrifiés par les pouvoirs publics face à l’influence des lobbys
Les atteintes à l’égalité de traitement portées par la Loi Travail et les Ordonnances Macron ont pour principale origine l’influence des lobbys, en particulier celui de la Fédération des entreprises de propreté, sur les pouvoirs publics, et notamment le gouvernement actuel.
Après avoir été plusieurs fois condamnées pour avoir maintenu dans une situation inégale des salariés effectuant le même travail, les principales entreprises de propreté ont « enfin » réussi à bloquer toute possibilité d’action des salariés « historiques » qui constateraient ne pas bénéficier des mêmes avantages que certains de leurs collègues.
Une fois de plus, le gouvernement a ainsi cédé aux pressions des lobbys, mettant en catimini la loi au service du seul intérêt des grandes entreprises de propreté, et leur accordant un joli cadeau aux dépens de leurs salariés. Cette affaire illustre ainsi une fois de plus une complicité insupportable entre gouvernement et lobbys, inacceptable dans une démocratie moderne.
- Un désastre social, facilité par une Justice trop lente
C’est enfin la lenteur de la Justice, qui a mis une décennie à traiter et clore ce contentieux, qui a malheureusement permis ce désastre social. En effet, une Justice plus rapide aurait permis aux salariés de voir leur affaire être tranchée avant la loi Travail et les Ordonnances Macron.
Cette lenteur, liée au manque de moyens humains, dont notre Justice souffre de manière chronique, pèse une fois encore sur les salariés, qui en supportent les conséquences.
C’est aussi la raison pour laquelle le gouvernement doit opérer une véritable réforme de la Justice pour en faire une institution plus humaine, mieux dotée en effectifs, plus efficace, et revenir sur la Justice dématérialisée et inaccessible qu’il nous prépare.