Oui, vous avez bien lu, selon une enquête du site Drop Site News, l’armée américaine aurait, au moins en partie, fondé certaines frappes au Yémen sur des informations issues de comptes X et non pas par des sources officielles. Des comptes anonymes, des amateurs d’OSINT (renseignement en source ouverte), qui jouent aux stratèges de salon, parfois avec des conséquences tragiques.
Le Yémen, déjà ravagé par des années de guerre, est devenu un nouveau théâtre d'opérations dans la croisade américaine contre les rebelles Houthis, présentés comme de fervents alliés de la cause palestinienne. En représailles aux actions d’Israël à Gaza, ces milices s’en prennent aux intérêts occidentaux en mer Rouge. L’administration Trump, dans son élan militariste et populiste, a choisi de répondre avec la subtilité d’un marteau-piqueur par des bombardements. Le hic, c’est que certains d'entre eux semblent guidés par des messages postés par des internautes non identifiés.
L’exemple le plus édifiant concerne un compte X du nom de @VleckieHond. Début avril, celui-ci pointe une carrière au Yémen, qu’il identifie (à tort) comme une base souterraine houthie. Le 28 avril, une frappe de l’armée américaine vise exactement ce site. Résultat, huit civils tués, pas de combattants, pas d’arsenal caché et encore des morts. Et une fois l’horreur consommée, @VleckieHond publie une sorte de mea culpa: « J’ai commis une erreur grave. Je n’aurais jamais dû publier ça. » Trop tard.
Le Pentagone, bien sûr, nie toute implication directe. Il n’y a aucune preuve formelle, selon lui, que ces comptes aient été utilisés pour guider les frappes. Mais ces mêmes comptes sont cités par des publications militaires sérieuses. Le @VleckieHond en question a même été loué pour son inventivité par le très officiel Combating Terrorism Center de West Point. On est donc censés croire que l’armée lit ces analyses, les cite dans des rapports, mais n’en tient jamais compte au moment d’appuyer sur le bouton rouge ? Difficile à avaler ! Et ce n’est pas la première fois que l’actuel département US de la défense, dirigé par Pete Hegseth (ex-commentateur de Fox News promu au grade de stratège international), se ridiculise. En avril, il a envoyé par erreur des plans de guerre au rédacteur en chef du journal The Atlantic. Une bourde d’un niveau surréaliste, symptomatique d’un système dirigé par des amateurs, où la posture médiatique a remplacé la rigueur stratégique. Un conseiller à la sécurité nationale, Mike Waltz, a d’ailleurs été débarqué dans la foulée. Et comme si ça ne suffisait pas, la marine américaine a perdu un avion de chasse de 60 millions de dollars cette semaine, tombé de son porte-avions comme un vulgaire drone de supermarché.
Cette série de fiascos, si elle n’était pas aussi meurtrière, prêterait à rire. Mais au Yémen, ce sont des familles entières qui paient le prix. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, Washington s’autorise une guerre de l’ombre où les civils deviennent des dommages collatéraux acceptables (à condition qu’un algorithme, ou un internaute au pseudonyme obscur, en ait désigné la cible). L’ironie tragique, c’est qu’on en est à espérer, outre-Atlantique que le Pentagone n’utilise pas les informations disponibles sur les réseaux sociaux. Qu’on souhaite que les frappes soient guidées par autre chose qu’un tweet approximatif. Voilà où nous en sommes, dans une ère où l’on prie pour que la machine de guerre la plus puissante du monde ne prenne pas ses ordres d’un utilisateur anonyme passionné de géopolitique et de captures d’écran satellites.
Au fond, cette histoire n’est pas seulement celle d’un bombardement raté. C’est l’histoire d’un effondrement. Celui d’un État incapable de faire la différence entre renseignement et bruit de fond numérique, ou encore entre analyse stratégique et buzz viral. C’est l’histoire d’une puissance en roue libre, où l’apparence d’action vaut plus que sa légitimité. Et si demain, un autre compte signale une école, un hôpital, ou une mosquée comme potentielle cache terroriste, qui dira non ? Qui vérifiera ? Si même la guerre devient un fil de discussion, un flux continu d’erreurs amplifiées par l’ignorance et le cynisme, alors que reste-t-il de la notion même de responsabilité ? Le gouvernement américain, par son amateurisme assumé et son usage décomplexé de technologies opaques, transforme la guerre en loterie numérique. Et dans cette loterie, ce sont les innocents qui perdent à chaque fois.