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Un récent échange interne, révélé par Business Insider, met en lumière une déconnexion inquiétante entre la vision de la direction et les préoccupations légitimes de ses propres employés. Le décor, une assemblée générale interne chez Microsoft. L'un d'eux prend la parole pour poser une question qui brûle les lèvres de beaucoup: comment l'entreprise compte-t-elle clarifier le fait qu'il existe plusieurs applications "Copilot" concurrentes ? La question est loin d'être anodine. Sur les boutiques d'applications mobiles, un utilisateur non averti trouvera deux applications portant le même nom. L'une est la version grand public, développée par la division Microsoft AI. L'autre est une version intégrée à la suite Microsoft 365, une sorte de rebranding de l'ancienne application Office. Toutes deux s'ouvrent sur une interface de chat quasi identique. Comment un utilisateur moyen pourrait-il deviner que l'une est une simple IA conversationnelle, tandis que l'autre est une centrale de productivité capable de piloter Word, Excel et PowerPoint ?
La réponse de Satya Nadella, le PDG, est aussi révélatrice que déconcertante. "Le meilleur moyen de rendre cela moins déroutant est d'avoir un milliard d'utilisateurs pour chaque application", a-t-il lancé, déclenchant les rires de l'assemblée. Au-delà de la boutade, cette phrase trahit une philosophie profondément problématique. Plutôt que de résoudre un problème fondamental de clarté et de stratégie de marque, la solution proposée est la croissance à tout prix. En substance, le message est le suivant: "Utilisez nos produits de manière intensive, et peut-être qu'un jour, vous finirez par comprendre." C'est une inversion de la charge. La responsabilité de la clarté n'incombe plus au concepteur, mais à l'utilisateur, sommé de devenir un expert par l'usage forcé.
Nadella a tenté de se justifier en citant l'exemple de GitHub Copilot, arguant que personne n'est confus quant à son contexte. L'argument est fallacieux. GitHub Copilot est un outil de niche, destiné à une population très spécifique de développeurs qui comprennent parfaitement son écosystème. Comparer cette situation à celle du grand public confronté à deux applications homonymes aux fonctionnalités radicalement différentes relève soit de la naïveté, soit d'un mépris pour l'expérience utilisateur lambda. Yusuf Mehdi, le directeur marketing grand public, a tenté de rassurer en expliquant que l'essentiel est d'assurer une expérience cohérente entre les applications. Une belle intention qui ne résout en rien le problème de départ: laquelle choisir ? Il a également évoqué une approche plus "délibérée" de la promotion, par exemple en préinstallant la version Microsoft 365 Copilot sur les PC d'entreprise. Cette stratégie s'apparente moins à une clarification qu'à une manière de contourner le problème en imposant un choix par défaut, espérant que la force de l'habitude l'emporte sur la logique.
Ce chaos autour de Copilot est le symptôme d'une boulimie de marque, d'une course effrénée pour apposer l'étiquette "IA" sur le plus de produits possible afin d'occuper l'espace médiatique et commercial. En baptisant tout avec Copilot, Microsoft a voulu créer une marque ombrelle universelle, mais a fini par générer une dilution de sa propre proposition de valeur. Au lieu d'un assistant unique et clair, les clients se retrouvent face à un dédale de services qui portent le même nom mais n'offrent pas les mêmes capacités. Cette confusion n'a pas échappé aux observateurs externes. Une autorité américaine de régulation de la publicité a récemment épinglé Microsoft pour son "usage universel de la description de produit Copilot, soulignant que "les consommateurs ne comprendraient pas nécessairement la différence". Lorsque même les régulateurs tirent la sonnette d'alarme, c'est que le problème n'est plus une simple question de marketing à peaufiner.
En fin de compte, la réponse de Nadella sur le "milliard d'utilisateurs" est peut-être l'aveu d'une stratégie où la masse critique est censée effacer les péchés de conception. Mais on ne bâtit pas la confiance en semant la confusion. Microsoft ferait bien d'écouter ses propres employés, qui sont en première ligne face à des clients perplexes. Car avant de viser un milliard d'utilisateurs, il faudrait déjà s'assurer qu'ils savent au moins sur quelle application ils cliquent. Et pour l'instant, même à Redmond, la réponse ne semble pas si claire.