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Billet de blog 3 octobre 2025

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Google - Le pompier pyromane du Web

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Illustration 1

Il y a des scènes qui, par leur absurdité, capturent parfaitement l’esprit d’une époque. Le témoignage d’Elizabeth Douglas, PDG de WikiHow, lors du récent procès antitrust contre Google en est un exemple frappant. Devant un tribunal chargé de démanteler le monopole publicitaire illégal du géant américain, la dirigeante d’un site web que que ce dernier est en train de vider de sa substance est venue, non pas pour accabler son bourreau, mais pour le défendre. Une tragicomédie numérique qui expose la relation toxique et l’emprise quasi totale que Google exerce sur l’écosystème du web.

Pour comprendre ce spectacle ahurissant, il faut d’abord saisir la situation désespérée dans laquelle se trouvent des sites comme WikiHow. Elizabeth Douglas décrit un environnement qu’elle qualifie d’« apocalypse de l’IA ». WikiHow, cette bibliothèque en ligne de guides pratiques, voit son modèle économique s’effondrer. La raison ? Le changement radical dans la manière dont nous accédons à l’information. Les chatbots IA et, surtout, les « AI Overviews » de Google, ces résumés générés par l’intelligence artificielle qui s’affichent en haut des résultats de recherche, répondent directement aux questions des utilisateurs. Plus besoin de cliquer sur un lien. Plus besoin de visiter le site d'origine.

Le comble de l'ironie, c'est que Google construit ces outils en pillant sans vergogne le contenu de sites comme WikiHow. Le titan de la recherche se nourrit du travail de millions de créateurs pour bâtir un mur autour de son jardin, un mur qui empêche désormais les internautes de sortir. Pour les éditeurs, le résultat est catastrophique: le trafic s’effondre, et avec lui, les revenus publicitaires qui sont leur principale source de financement. Google, le pyromane, a mis le feu à la forêt du web ouvert.

Et pourtant, c'est ce même pyromane que la PDG de WikiHow est venue défendre. Pourquoi ? Parce que, dans la panique générale, Google se présente aussi comme le seul pompier disponible. Elle explique que les outils publicitaires de l'entreprise, bien que de moins en moins rentables, représentent « la partie stable de [son] activité en ce moment ». Dans un océan de chaos provoqué par l'IA, cette bouée, même percée, est la seule à laquelle elle peut se raccrocher. Elle craint qu'un démantèlement forcé de l'activité publicitaire de Google n'ajoute une nouvelle couche de complexité et de disruption, la forçant à se détourner de la menace existentielle de l'IA pour gérer une migration technique hasardeuse.

Cette logique perverse est le symptôme d'un monopole parfaitement réussi. Google a rendu son écosystème si indispensable, si profondément intégré dans le fonctionnement de ses clients, que même ceux qu'il étrangle ont plus peur du vide que de son étreinte mortelle. La proposition du ministère de la justice américain de forcer la vente d'AdX (la bourse publicitaire de Google) et potentiellement de DFP (son outil de gestion pour les éditeurs) est perçue par Douglas comme un saut dans l'inconnu, potentiellement pire.

Le contre-interrogatoire a cependant révélé une facette encore plus troublante de cette dépendance: une ignorance quasi totale des mécanismes par lesquels Google a abusé de sa position. Elle n'était pas consciente que le tribunal avait déjà statué que Google prélevait des commissions excessives sur les enchères publicitaires, des frais rendus invisibles pour l'éditeur qui ne voit que le résultat net. Elle s’inquiétait qu’un AdX indépendant ne lui apporte plus la même manne d’annonceurs, sans réaliser que cette source « unique » de demande était précisément le fruit d'un mécanisme anticoncurrentiel, où Google liait illégalement ses propres produits pour écraser la concurrence et, au final, nuire aux éditeurs.

C’est là que se révèle toute la stratégie de la firme de Mountain View. D'un côté, une machine opaque et complexe qui siphonne la valeur en coulisses par des moyens techniques que peu comprennent. De l'autre, une façade humaine et serviable, incarnée par un « gestionnaire de compte amical » qui s'assure que la plomberie fonctionne, même si elle fuit de toutes parts. WikiHow, comme tant d'autres, ne voit que le visage du pompier qui l'aide à maîtriser les flammes de son chiffre d'affaires en baisse, sans comprendre que c'est lui qui, en amont, a allumé l'incendie et continue de l'alimenter.

Le témoignage de WikiHow n'est donc pas une absolution pour Google. C'est un cri d'alarme. Il illustre le syndrome de Stockholm à l'échelle d'une industrie entière, où les victimes, épuisées et terrifiées par l'avenir, finissent par protéger leur agresseur de peur d'un chaos encore plus grand. C'est le portrait d'un web où l'innovation de Google consiste désormais à vampiriser le contenu des autres pour créer un « Google Zéro », un internet où il est à la fois le point de départ et le point d'arrivée et où les créateurs de contenu ne sont plus que du bétail numérique servant à nourrir l'intelligence de la machine. Le démantèlement de son monopole publicitaire serait un premier pas essentiel pour leur redonner le choix, l'oxygène et, peut-être, un avenir.

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