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Août dernier aurait dû être le mois du couronnement pour OpenAI. Le lancement de GPT-5, attendu comme le Messie technologique, devait asseoir définitivement la domination de l'entreprise et nous rapprocher un peu plus de la fameuse intelligence artificielle générale (AGI). Mais au lieu d'une révolution, le public a eu droit à un pétard mouillé. La présentation en direct a été truffée de bugs, avec un modèle générant des graphiques aux chiffres si manifestement faux qu'ils en devenaient comiques. Sur Reddit, les premiers utilisateurs se sont plaints d'un modèle froid, peu coopératif et ont réclamé à cor et à cri le retour de la version précédente. La déception était palpable, à la hauteur des attentes stratosphériques qu'OpenAI et son prophète Sam Altman, cultivent depuis des années. GPT-5 était promis comme un changement de paradigme, il s'est avéré être, au mieux, une mise à jour incrémentale du même jeu.
Ce fiasco a été du pain bénit pour les sceptiques. Beaucoup y ont vu le signe de la fin du boom de l'IA, certains prédisant même l'aube d'un nouvel "hiver de l'IA". Gary Marcus, l'éternel casseur d'ambiance de la Silicon Valley, n'a pas manqué de savourer sa revanche:
« GPT-5 est le système d'IA le plus sur-vendu de tous les temps. Il devait nous apporter l'AGI et une cognition de niveau doctorat. Il n'a livré ni l'un ni l'autre. »
Pour lui, et pour une partie croissante de la communauté, l'échec relatif de GPT-5 prouve que le ticket d'OpenAI pour l'AGI (l'idée qu'il suffit d'augmenter massivement la quantité de données et la puissance de calcul pour rendre les systèmes exponentiellement plus intelligents) est arrivé à expiration. Mais n'allez surtout pas dire ça à Sam Altman. Un mois après la débâcle, le voilà qui déambule dans une salle de conférence du siège de son entreprise, prêt à expliquer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. « L'ambiance était un peu mauvaise au lancement », concède-t-il avec un euphémisme déconcertant. « Mais maintenant, elle est géniale. » Vraiment, géniale ? Il est vrai que le flot de critiques s'est calmé, en partie grâce à la sortie opportune d'un outil de génération de vidéos IA, parfait pour détourner l'attention. Mais le message du PDG est limpide, les détracteurs sont du mauvais côté de l'histoire et la quête épique de l'AGI est toujours sur les rails.
Face aux critiques, son équipe et lui ont préparé une batterie d'arguments qui ressemblent étrangement à des excuses. Première défense, si vous n'êtes pas impressionné par GPT-5, c'est probablement que vous n'êtes pas assez intelligent pour l'apprécier. Le modèle serait optimisé pour des usages de pointe, comme la recherche scientifique ou le codage. « La plupart des gens ne sont pas des chercheurs en physique », observe Altman, condescendant. Selon lui, seuls les initiés peuvent voir le génie de sa création. « C'est la première fois que des gens se disent: "Putain. Il résout ce problème de physique important." Ou qu'un biologiste s'exclame: "Wow, il m'a vraiment aidé à comprendre ce truc." » Pratique. OpenAI n'a cependant cité aucun de ces physiciens ou biologistes anonymes.
Deuxième excuse, le saut qualitatif de GPT-4 à GPT-5 était en réalité plus grand que celui de GPT-3 à GPT-4, mais nous, simples mortels, n'aurions rien vu car OpenAI a sorti trop d'améliorations intermédiaires en cours de route. En somme, l'entreprise aurait été victime de son propre brio. Un argument pour le moins audacieux. Enfin, et c'est là que le discours devient contradictoire, elle prétend que l'idée selon laquelle l'approche par la mise à l'échelle ("scaling") est dépassée repose sur un malentendu. Les progrès de GPT-5 ne viendraient pas d'une augmentation massive des données, mais de techniques d'apprentissage par renforcement. Pourtant, dans le même souffle, on apprend qu'OpenAI dépense des centaines de milliards de dollars qu'elle n'a pas pour construire des data centers gigantesques. Greg Brockman, le président, l'admet lui-même, pour les prochains grands sauts qualitatifs, il faudra bien plus de puissance de calcul. Alors, le "scaling" est-il mort ou est-il l'avenir ? OpenAI semble vouloir jouer sur les deux tableaux.
Le plus révélateur dans cette opération de communication est peut-être la manière dont l'entreprise redéfinit ses propres objectifs. Pendant des mois, Sam Altman a prophétisé l'arrivée imminente de l'AGI. Aujourd'hui, le discours a changé. Cette technologie n'est plus une destination à atteindre, mais un "processus" continu. Cette pirouette sémantique est brillante. Elle libère OpenAI de toute obligation de résultat. Comment critiquer l'entreprise de ne pas avoir atteint un objectif si cet objectif est un voyage sans fin ?
Pendant ce temps, la machine marketing tourne à plein régime. Dans les couloirs du siège, on vend des t-shirts floqués du slogan "FEEL THE AGI" (RESSENTEZ L'AGI). Des affiches expliquent des concepts aussi fumeux que la "puberté de l'IA". L'AGI est une marque, une quasi-religion dont Sam Altman est le grand prêtre. Lorsqu'on le presse sur sa définition, il retourne la question à ses interlocuteurs, une manœuvre de jiu-jitsu rhétorique pour éviter de donner une réponse claire.
Le lancement raté de GPT-5 est la fissure dans l'édifice narratif construit par Sam Altman. Il révèle un décalage croissant entre une rhétorique messianique et la réalité d'une technologie qui progresse par à-coups, avec des rendements décroissants. La confiance aveugle de son PDG, son mépris à peine voilé pour les critiques et ses justifications alambiquées ne sont pas les signes d'un visionnaire serein, mais ceux d'un leader qui tente désespérément de garder le contrôle d'un récit qui lui échappe. Le voyage vers l'AGI est peut-être toujours en cours, mais avec GPT-5, on a surtout l'impression que l'empereur, s'il n'est pas encore nu, porte des vêtements devenus dangereusement transparents.