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Imaginez. Vous avez fui le chaos apocalyptique de X, ses armées de bots et son propriétaire mégalomane, pour trouver refuge sur Bluesky. Devant vous, une nouvelle terre promise, un ciel bleu, une ambiance feutrée et des gens bienveillants... La promesse d'un réseau social où, enfin, tout n'est pas horrible. Et puis un jour, vous vous connectez et tout le monde parle de gaufres. Non pas pour débattre de la supériorité du sucre glace sur le Nutella, mais parce que la PDG de votre havre de paix a décidé de gérer une crise de modération avec la finesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.
L'affaire, désormais connue sous le nom de "gaufre-gate", est un cas d'école de la manière de saboter sa propre communauté en un temps record. Tout commence lorsque la PDG, Jay Graber, cite un message ironique sur la tendance des utilisateurs à s'écharper pour rien (illustré par un post de conflit entre les mangeurs de gaufres et ceux de pancakes) et ajoute, avec une lucidité qui s’avérera de courte durée: « Les réseaux sociaux ne devraient pas être comme ça ». C'est alors qu'un utilisateur pose une simple et presque banale question de modération concernant Jesse Singal, un journaliste américain controversé pour ses écrits sur les personnes trans et la bête noire d'une grande partie de la base d'utilisateurs qui a fait le succès de la plateforme. La réponse de la PDG ? Un mot. Un seul. Un mot qui restera dans les annales comme la panne de cerveau la plus gourmande de l'histoire de la tech: « GAUFRES ! »

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À partir de là, c'est la débandade. Face à l'incompréhension et à la colère des utilisateurs qui lui rappellent que son réseau est censé être un refuge, notamment pour les personnes trans, Graber décide de doubler la mise. Plutôt que de calmer le jeu, elle enfile ses gants de boxe. À un utilisateur qui compare la situation à celle d'un client mécontent, elle répond, du haut de son Olympe: « Est-ce que vous nous payez ? Où ça ? ». Une réplique d'une arrogance spectaculaire, qui ignore superbement que la valeur d'un réseau social repose entièrement sur l'engagement de ceux qui s'en servent. À un autre qui lui suggère de s'excuser, elle conseille, goguenarde, une « grève des publications ». C'est la version 2.0 du « Qu'ils mangent de la brioche », mais avec moins de panache.
Le clou du spectacle ? La PDG et Jesse Singal lui-même postent des photos de gaufres, dans un petit clin d'œil complice qui équivaut à verser un bidon d'essence sur un feu de forêt en se prenant en selfie. Mais le plus savoureux dans cette histoire, c'est la justification de la direction. Face au tollé, la défense de Graber est devenue un mantra répété en boucle, la décentralisation. « Nous sommes des architectes de systèmes », explique-t-elle. « Nous avons construit un réseau décentralisé pour que vous puissiez gérer votre propre modération. »
Traduction, notre plateforme est devenue un champ de bataille ? Débrouillez-vous. C'est un peu comme si le chef des pompiers, voyant votre maison en flammes, vous criait: « On a conçu un super réseau de bouches d'incendie, maintenant, à vous de fabriquer le tuyau et de trouver l'eau ! ». C'est une défausse magnifique, une façon d'avoir le prestige de diriger un réseau social tout en se lavant les mains de toute responsabilité quant à l'ambiance qui y règne. La promesse d'un refuge s'est transformée en un self-service de la modération où le client a toujours tort. Finalement, le problème n'a jamais été les gaufres. C'est le mépris qu'elles symbolisent. Le mépris envers une communauté qui a cru à une promesse et qui se voit répondre par un haussement d'épaules et un dessert.