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Billet de blog 9 octobre 2025

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X – Derrière le chaos de Musk, les ombres inquiétantes de l’Arabie Saoudite

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La nouvelle est tombée comme un couperet. Elon Musk a accepté de verser 128 millions de dollars pour régler un litige avec quatre anciens dirigeants de Twitter qu’il avait licenciés sans ménagement dès son arrivée. Cette somme colossale, réclamée pour des indemnités de départ jamais versées, n’est que la partie émergée d’un iceberg bien plus vaste et trouble. Car si le rachat de Twitter, devenu X, par le fantasque milliardaire a fait couler beaucoup d’encre, il a surtout mis en lumière les liaisons dangereuses que la plateforme entretenait, bien avant lui, avec l’Arabie Saoudite, l’un des régimes les plus répressifs au monde.

L’histoire ne commence pas en octobre 2022, lorsque Musk débarque au siège de Twitter, un lavabo dans les bras, pour une blague devenue virale (« let that sink in! »). Elle prend racine des années plus tôt, quand le réseau social, qui se présentait comme « l’aile de la liberté d’expression du parti de la liberté d’expression », était déjà devenu un terrain de chasse pour les autocrates. Pour des dissidents comme Ali al-Ahmed, un journaliste saoudien exilé, Elon Musk n’est qu’un nouveau visage sur un système déjà corrompu. Pour lui, Twitter n’a jamais été un champion des droits humains, mais une machine à cash, prête à tous les compromis pour faire du profit.

Un outil de surveillance et de répression

Au départ, Twitter semblait être un grand égalisateur, un espace où les Saoudiens, privés de médias indépendants, pouvaient s’exprimer sous le couvert du pseudonymat. Mais cet espoir a vite été anéanti. Le régime de Riyad a rapidement compris comment retourner l’arme contre ses propres citoyens. La plateforme est devenue un outil de propagande, de surveillance et, pire encore, d’identification des voix critiques.

C’est ainsi que des tragédies comme celle d’Abdulrahman al-Sadhan ont pu se produire. Cet humanitaire a été enlevé en 2018 et condamné à 20 ans de prison pour avoir géré un compte Twitter satirique. Sa sœur, Areej, exilée aux États-Unis, confiait en 2023 ne même plus savoir s’il était encore en vie. Comment le régime parvenait-il à démasquer ces comptes ? La réponse est effroyable. Il disposait d’espions au cœur même de l’entreprise.

En 2014, un employé de Twitter, Ahmad Abouammo, a été recruté par un proche du prince héritier Mohammed ben Salmane. Contre plus de 100 000 dollars et des cadeaux de luxe, il a fourni des informations confidentielles sur des dissidents. Après son départ, il a été remplacé par un ingénieur, Ali Alzabarah, qui, grâce à ses accès techniques, est devenu un espion encore plus redoutable, fournissant des adresses IP et permettant de localiser les opposants. Alerté par le FBI en 2015, Twitter l’a suspendu, mais ce dernier a réussi à s’enfuir en Arabie Saoudite avec l’aide de responsables locaux. Aujourd’hui, Abouammo est en prison aux États-Unis, mais Alzabarah, bien que figurant sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI, continue de vivre librement.

L’arrivée de Musk – Un nouveau pacte avec Riyad ?

L’arrivée d’Elon Musk n’a rien changé à cette influence saoudienne, bien au contraire. Le prince Alwaleed ben Talal, l’un des plus grands actionnaires extérieurs de Twitter (dont les parts étaient probablement contrôlées par Mohammed ben Salmane), a maintenu son investissement de 1,89 milliard de dollars dans la nouvelle entité. L’Arabie Saoudite n’a pas seulement conservé son siège à la table, elle l’a consolidé.

Cette alliance révèle une convergence d’intérêts glaçante entre la Silicon Valley et les dictatures du Golfe. Pour ces dernières, investir dans la tech est un moyen de blanchir leur image, de diversifier leur économie et d’acquérir une influence géopolitique. Pour les fonds de capital-risque, l’argent saoudien est une manne financière bienvenue, quitte à fermer les yeux sur ses origines. Dans ce contexte, le prétendu « absolutisme de la liberté d’expression » de Musk sonne creux. Alors qu’il prétendait libérer la parole, il est resté silencieux sur l’utilisation de sa plateforme comme outil de répression par l’un de ses principaux investisseurs. Les principes universels semblent s’effacer devant les impératifs commerciaux.

La quête de transparence

Face à ce voile d’opacité, une question demeure: qui sont les véritables propriétaires de X ? Qui tire les ficelles de cette plateforme si influente ? Le passage en société privée a rendu cette information inaccessible au public. C’est dans le cadre d’un des nombreux procès intentés par d’anciens employés contre Elon Musk que l’opportunité de percer ce secret s’est présentée. Grâce à l’intervention du Reporters Committee for Freedom of the Press, une requête a été déposée pour rendre publique la liste des actionnaires de X.

En août 2024, un juge a statué en faveur de cette demande. La liste, brièvement publiée par erreur sur le portail du tribunal, a été immédiatement reprise par la presse mondiale. Elle a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient, aux côtés du milliardaire et de quelques fidèles de la tech, on retrouve une myriade de fonds de capital-risque ayant des liens financiers étroits avec des régimes autoritaires, notamment l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Cette révélation est importante. Elle montre que le réseau social n’est pas simplement le jouet du patron de Tesla. C’est un champ de bataille informationnel où s’entremêlent des intérêts financiers colossaux et des agendas politiques étrangers. X qui se voulait un parangon de la parole libre a fait des pactes faustiens avec ceux qui la musellent, transformant l’utopie d’une place publique mondiale en un instrument au service des puissants. Le chaos apparent de la gestion d’Elon Musk cache une réalité bien plus structurée. Celle d’une plateforme dont la gouvernance est opaque et dont les influences sont, plus que jamais, inquiétantes.

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