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Billet de blog 23 mai 2025

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Démantèlement programmé

Comment le DOGE redéfinit l’Amérique dans l’ombre.

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Si vous pensiez que le DOGE (Department of Government Efficiency), créé sous l’administration Trump avec Elon Musk en fer de lance, avait perdu de sa nocivité, détrompez-vous. Certes, le milliardaire affirme désormais avoir pris ses distances avec ses responsabilités gouvernementales, mais la justice américaine tente toujours, tant bien que mal, d’endiguer les dérives les plus flagrantes de cette entité douteuse. À première vue, le DOGE pourrait sembler moins actif, plus discret, comme s’il entrait dans une phase d’accalmie. Pourtant, la vérité est bien plus inquiétante. N’imaginez pas que ses excès sont de l’histoire ancienne ou remplacés par un semblant de normalité.

Cette perception rassurante est une illusion dangereuse. Oui, l’image spectaculaire d’Elon Musk brandissant une tronçonneuse pour symboliser ses coupes budgétaires a marqué les esprits. Mais cette mise en scène cache une réalité bien plus insidieuse. Le DOGE a méticuleusement infiltré tous les niveaux du gouvernement fédéral américain. Aujourd’hui, le distinguer du reste de l’administration Trump est devenu quasiment impossible. Essayer de l’extraire du système, c’est comme tenter de retirer une goutte de colorant d’un verre d’eau, impossible et futile.

Alors, que fait précisément le DOGE aujourd’hui, loin des caméras et du spectacle médiatique ? Loin d’une purge bruyante et maladroite, il opère dans l’ombre, collectant massivement des données qui n’ont jamais été destinées à être fusionnées. Il utilise ces informations sensibles pour identifier, surveiller, voire poursuivre les immigrants. Il prête main-forte au ministère de la Justice dans la traque obsessionnelle et déraisonnable des prétendues fraudes électorales, une obsession nourrie par la rhétorique complotiste de Trump.

Malgré les affirmations d’Elon Musk selon lesquelles il aurait pris du recul, ses adjoints restent solidement implantés dans les agences gouvernementales qui contrôlent les fonctionnaires fédéraux et régulent ses entreprises. Plus troublant encore, le DOGE utiliserait activement le chatbot Grok, du milliardaire et sa société xAI, pour analyser ces informations sensibles. En d’autres termes, les données personnelles de millions d’Américains servent désormais à alimenter et à perfectionner une intelligence artificielle privée, aux mains d’un homme incontrôlable. Au cœur de cette opération douteuse, on retrouve même une figure improbable, un jeune homme de 19 ans surnommé Big Balls, emblématique de cette dangereuse confusion entre sphère publique et privée.

Les rares victoires judiciaires contre le DOGE, bien que nécessaires, risquent d’être éphémères. Le gouvernement Trump a sciemment utilisé ce dernier comme un bélier pour imposer ses politiques les plus radicales avec une force écrasante. Oui, un juge a récemment déclaré illégale la tentative de prendre le contrôle de l’institut américain de la paix. Mais ces politiques néfastes existent toujours et peuvent facilement être réactivées par d’autres voies. Russell Vought, directeur du bureau de la gestion et du budget à la Maison Blanche, se positionne désormais clairement pour poursuivre la mission initiale du patron de Tesla. Il ne brandira pas une tronçonneuse, mais un scalpel, une approche plus subtile mais tout aussi dévastatrice. Vought est l’architecte de l’effrayant « Project 2025 », la feuille de route radicale du DOGE. Depuis des mois, il détaille publiquement ce qui adviendra après la première vague d’attaques orchestrées par Elon Musk.

Dans une interview accordée à Fox Business en mars dernier, Vought exposait sans ambiguïté son plan pour rendre permanentes ces coupes budgétaires massives:

« Nous utiliserons tous les outils exécutifs à notre disposition pour pérenniser ces économies. Nous ne voulons pas seulement que ces réductions figurent sur un site web, mais qu’elles deviennent irréversibles. »

Sa stratégie est claire: contourner autant que possible le Congrès pour inscrire durablement ces réformes destructrices dans le marbre.

Ironiquement, il pourrait avoir sous-estimé la complicité de ce dernier. La chambre des représentants, sous l’influence trumpienne, vient tout juste d’adopter le cyniquement nommé « One Big Beautiful Bill », un projet législatif conçu explicitement pour déchiqueter le filet de sécurité sociale américain. Le DOGE n’est donc plus un gadget médiatique, mais bel et bien l’instrument discret et efficace d’une révolution ultralibérale radicale. Son véritable danger, c’est précisément qu’il devient banal, qu’il s’efface derrière les apparences bureaucratiques. Il ne s’agit pas seulement d’une escouade personnelle de Musk ou d’un caprice de milliardaire fantasque. Le DOGE est avant tout un outil redoutable au service d’une stratégie bien plus vaste: démanteler méthodiquement l’État fédéral et remettre radicalement en question le contrat social aux États-Unis. Il n’est pas qu’une simple anomalie politique, mais plutôt l’avant-garde discrète et mortifère d’une révolution que personne n’a démocratiquement choisie.

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