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Billet de blog 5 février 2025

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Justice et communication : voyez comme on condamne, surtout pas comment

Selon la dernière circulaire ministérielle du 27 janvier 2025, la « nouvelle justice » voulue par Gerald Darmanin doit répondre à un impératif de publicité, non plus au sens juridique mais au sens strictement médiatique du terme. Qu'importe la décision pourvu qu'on ait bonne presse.

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« La Justice n'ayant de sens que lorsqu'elle est intelligible et comprise, je vous demande d'intensifier largement vos efforts en matière de communication sur les politiques pénales que vous mettez en œuvre sur vos ressorts. Par ailleurs, dans le cadre d'une stricte application de l'article 11 du code de procédure pénale, il s'impose à vous de communiquer sur les affaires individuelles dont vous êtes saisis »

(Circulaire JUSD2502731C du 27 janvier 2025)

La dernière orientation de politique pénale du nouveau Garde des Sceaux Gérald Darmanin est claire : la Justice doit être vue, sue, entendue.

Doit-elle pour autant être observée ? Manifestement pas.

L’un des principes fondateurs de la communication politique postule que l'annonce est tout aussi importante (si ce n'est plus) que le message lui-même. 

Ancien locataire de Bauveau, le nouveau Garde des Sceaux le sait parfaitement et use (voir abuse) de déclarations ou publications détaillant quotidiennement "son action" personnelle (et, quand il la concède, collective) ; le récent témoignage de Camille Chaize, porte-parole démissionnaire du ministère de l’intérieur dénonce ainsi l’obsession publicitaire de Gérald Darmanin (tweeteur compulsif et adepte de la réaction "à chaud") dans son dernier ouvrage paru le 23 janvier dernier.

(« Porte -Parole, Réflexions personnelles de la voix officielle du ministère de l’Intérieur » 
Camille Chaize, Editions Novice 23 janvier 2025)

En droit, l’article 400 du Code de procédure pénale prévoit quant à lui que « les audiences sont publiques » par principe

Le 22 janvier 2025, saisie par la défense d’une femme rapatriée de Syrie et accusé d’infractions à caractère terroriste, la Cour d’appel de Paris a toutefois jugé que « les conseils de l’intéressée expliquent que la publicité du débat contradictoire, "un des points cardinaux de notre procédure pénale" a été empêchée puisque leur cliente, convoqué à un débat contradictoire (…) a néanmoins comparu en visio-conférence depuis la maison d'arrêt de Nice. L'audience s'est tenue au 9ème étage du tribunal (…) dans un secteur uniquement accessible par badge, de sorte que l'accès au public, comme pour toutes les audiences du même type, a été entravée à triple titre, d'une part par la nécessité pour le public de solliciter un badge, d'autre part en raison d'une grille fermée à la sortie des ascenseurs au 9eme étage, enfin en raison de règles de sécurité mises en oeuvre qui interdisent au public et à certains auxiliaires de justice de pénétrer seuls dans la salle. Ils produisent à l'appui de leur moyen un constat d'huissier, par eux sollicité, qui a décrit le cheminement selon lui impossible pour accéder à l'audience relative au débat contradictoire (…) Force est de constater qu'il n'est pas allégué qu'un proche de X, désireux d'assister au débat contradictoire, ait été empêché ce jour-là d'entrer dans la salle d'audience, ce qui aurait pu être de nature à causer un grief à la défense, notamment si une pièce importante n'avait pas pu, en raison de cet empêchement, être produite devant le juge. Dans la mesure où la difficulté résultant du constat d'huissier n'a concerné, d'une façon générale, qu'un public virtuel sans lien avec la personne mise en examen, et où de toute façon quelques minutes après le début de l'audience le magistrat a décidé qu'elle ne serait pas publique, il n'est nullement établi qu'un quelconque grief a pu en découler pour cette personne mise en examen et sa défense »

(Cour d’appel de Paris, Chambre de l’instruction, 22 janvier 2025, n°2025/00277)

Au-delà des guillemets apposés par les magistrats parisiens, pour qui la publicité des débats n’est manifestement plus "l'un des points cardinaux de notre procédure pénale", il faut évidemment rappeler que la justice est rendue au nom du peuple, par lui et pour lui.

L’idée sous-tendue par le Code de procédure pénale est que le public doit avoir accès à la salle d’audience pour éviter tout soupçon qui pourrait légitimement naître de débats tenus en secret.

Le principe de publicité des débats est ainsi affirmé à l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ou encore à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En France, le Conseil d’État considère même qu’il s’agit d’un principe général du droit et le Conseil constitutionnel reconnait (sans guillemets) la valeur constitutionnelle du principe, qui s’applique en tout temps, en tout lieu.

(CE, 4 octobre 1974, arrêt Dame David)
(CConstit, 2 mars 2004 n°2004-492 DC et 21 juillet 2017 n°2017-645 QPC)

Le contraste est donc saisissant entre la volonté du ministère de communiquer tous azimuts sur la "réponse pénale" qu'entend apporter le nouveau super ministre à tous les maux de la société et l’attitude réactionnelle des juges, pour qui l’accès des citoyens à la justice semble cantonné à la présence des « proches » de celles et ceux qui comparaissent dans les salles d’audience.

Méconnaissance de la réalité judiciaire par le nouveau garde des sceaux ou repli corporatiste des magistrats dont l'action ne mériterait plus d'être vue par le bas peuple ? La volonté de l'un se heurte à l'attitude des autres, et la réalité blesse.

Il faut aujourd'hui que la justice réponde à un impératif de publicité non plus au sens juridique du terme, mais au sens strictement médiatique de celui-ci.  

Qu'importe la décision pourvu qu'on ait bonne presse.

Jusqu’au 6 février 2025, se joue au Théatre du Nord de Lille la dernière pièce de Lorraine de Sagazan, intitulée « Leviathan ».

Consacrée à la violence des comparutions immédiates, l'oeuvre étale aux yeux de tous (de façon particulièrement réaliste) la mécanique froide, le mépris et l'impact des audiences sur les vies brisées de ceux qui comparaissent jour après jour devant "notre" justice.

Peut-être est-ce toutefois là l’avenir de la publicité des débats ? Une justice contée sur les planches, mise en abîme et mise en scène, là où les portes des tribunaux se referment peu à peu sur une justice qui n'entend plus rendre des comptes qu'à elle-même.

Cachez cette justice que vous ne sauriez voir. Voyez comme on la rend, mais surtout pas comment. 

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