"Chaque jour, j'enseigne des choses dont je ne sais rien". Chroniqueur judiciaire du Journal de Paris, Thimothée Trimm faisait déjà, dans une interview donnée en 1863, un aveu que nous pouvons attribuer sans difficulté à la plupart des chroniqueurs actuels.
Apparu pour la première fois dans la Rome antique1, le fait divers est, de tout temps à jamais, une étude de l'imaginaire social2. S'il fait l'actualité, le fait divers oriente dans le même temps l'opinion pour devenir, à son détriment, une nourriture politique prisée par les chantres de l'autoritarisme, qui n'ont à bien y regarder pas d'autre programme que la peur qu'ils inoculent sur commande à nos concitoyens.
Dans ce contexte, la voix des avocats ne doit plus être galvaudée, ni se cantonner à un commentaire convenu, le plus souvent livré dans l'urgence à un stade de la procédure où, faut-il le rappeler, la procédure n'en est qu'à ses balbutiements et n'est la plupart du temps pas encore connue par l'avocat. S'il n'est naturellement pas question de critiquer les stratégies individuelles de défense, qui appartiennent par construction à tout conseil intervenant comme il le peut pour assister un être humain en détresse, le temps est certainement venu de réfléchir à une réaction collective de la profession face à l'instrumentalisation xénophobe des faits divers.
Parce que nous sommes au contact direct des mis en cause, que nous connaissons la complexité des dossiers et la profondeur de l'âme humaine, parce que nous portons dans nos robes l’exigence de la présomption d’innocence, nous avons, comme avocats, un rôle singulier à jouer dans l’espace public.
Lorsque la masse média s’empare d’un fait divers, l’avocat ne peut aujourd'hui plus rester spectateur. Il a, au contraire, un devoir de rectification factuelle, de combat face à un péril tout autant actuel que les dérives de la justice pénale, celui de l'empoisonnement fasciste de notre société.
Rappeler que la responsabilité individuelle ne doit jamais être confondue avec une identité collective devient une nécessité républicaine.
S'en abstenir, c’est laisser se propager dans l'opinion un récit biaisé, qui transforme le droit en arme xénophobe. C’est tolérer que la justice puisse être sommée par un tribunal médiatique de répondre à la transe nationaliste, de venger l'offense faite à la nation.
C’est, en creux, accepter que l’avocat ne soit plus un rempart mais qu'il devienne le témoin muet d'une dérive inacceptable.
L’histoire de notre profession le prouve, l’avocat n'est pas seulement le défenseur d'un homme, d'une femme, il aussi celui qui défend une certaine idée de la justice et de la société. Celui qui se dresse face au vent lorsqu'il charrie les hurlements abjectes du fascisme, celui qui installe la contradiction quand la meute s'active pour la faire taire.
Le serment que nous avons prêté nous enjoint d'agir chaque jour avec conscience. Respecter ce serment, c'est assumer cette responsabilité démocratique en allant au delà du commentaire convenu et isolé des faits divers, pour que l'avocat redevienne le garant d’une parole éclairée, le porte-parole de la rigueur, le garde-fou face à des raccourcis haineux, la vigie de l’État de droit.
Car si l’avocat détourne le regard, qui portera encore la voix de la nuance, de la raison et du droit dans l’espace public ?
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1 "Des journaux chez les Romains", Victor Leclerc, Firmin Didot, 1830
2 "Le Fait divers en République - Histoire sociale de 1870 à nos jours", Marine M'Sili - Editions CNRS (avril 2000)