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Billet de blog 26 septembre 2024

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Génocide yezidi - La France doit assumer sa compétence

Au lendemain du renvoi du premier dossier poursuivi en France concernant le génocide commis à l'encontre de la communauté yezidie, la présente Tribune lance un appel à l'élargissement des conditions d’accès au fond de garantie des victimes. La France ne peut pas continuer à poursuivre au nom d'une compétence universelle qu'elle s'est elle-même arrogée, sans pour autant en assumer les conséquences.

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Tribune
Aux fins d’élargissement du Fond d’Indemnisation des Victimes
aux crimes entrant dans le champ d’application de l’article 689-11 du Code de procédure pénale

"Aux yeux des yézidis,le serpent noir est un symbole de sagesse" (Daniel Shoushi, "Les derniers gnostiques du Moyen-Orient - Les Yezidis", aux éditions Hermesia).

Si la robe d'avocat est empreinte, comme la peau du serpent noir, d'une sagesse infinie, les promesses faites aux yezidis ne peuvent pas être que de papier.

En France, les crimes commis dans le cadre du génocide commis par l’Etat Islamique sont en effet poursuivis par application de l’article 689-11 du Code de procédure pénale qui prévoit que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne soupçonnée d'avoir commis à l'étranger un crime de guerre ou un crime contre l'humanité si elle dispose d'une résidence habituelle sur le territoire français ou plus généralement d'un lien de rattachement suffisant avec la France.

Notre système juridique actuel est cependant basé sur une hypocrisie qui n’honore pas notre République. 

Par deux arrêts rendus le 12 mai 2023, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a en effet décidé de contraindre le législateur à agir en s’attaquant à la condition de double incrimination posée par les textes et en rendant notre pays quasi systématiquement compétent lorsqu’un mis en cause étranger vient à poser le pied sur notre sol (Cass., A.P., 12 mai 2023, n°22.80-057 ; Cass., A.P., 12 mai 2023, n°22-82.468).

Depuis la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 voulue par ce qui fut encore récemment la majorité présidentielle, qui a fait sienne les solutions de ces arrêts, la compétence universelle est désormais conçue et appliquée par nos juridictions.

Or si un simple « lien de rattachement suffisant avec la France » permet aujourd’hui de poursuivre les auteurs de crime de guerre ou de crimes contre l’humanité commis partout dans le monde, le sort de leurs victimes resté inchangé.

Aucun fonds d’indemnisation n’existe en l’état concernant les crimes du guerre et/ou contre l’humanité commis à l'encontre des personnes de nationalité étrangère.

Tant (i) la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) que (ii) le fonds de garantie des victimes de terrorisme (FGTI) sont en effet inaccessibles aux personnes de nationalité étrangère lorsque l’infraction a été commise hors du territoire national.

Les victimes des crimes que notre pays se propose aujourd’hui de juger vivent le plus souvent en exil, se trouvent la plupart du temps dans des camps de réfugiés, en proie à une précarité extrême ou livrés à eux-mêmes dans le plus grand dénuement.

Afin de participer aux investigations en cours ainsi qu’aux procès qui ne manqueront pas de s’ouvrir après les revirements légaux et jurisprudentiels précités, ces victimes devront donc avancer de nombreux frais (billets d’avion, hébergement en France pour plusieurs jours voire plusieurs semaines, alimentation etc…) qui ne sont naturellement pas à leur portée.

Aucune disposition légale ou réglementaire ne permet cependant d’avancer ces frais lorsque l’infraction a été commise en dehors du territoire national, à l'encontre d'un étranger.

La situation des victimes de crimes que la France s’arroge le droit de juger est donc inacceptable dans un contexte où l’élargissement des conditions de mise en œuvre de la compétence universelle va permettre d’exercer des poursuites et de renvoyer devant les juridictions judiciaires un nombre toujours plus important d’accusés.

Les victimes de ces crimes, qui heurtent par définition la conscience humaine, sont cependant en droit d’attendre de notre justice qu’elle puisse concrètement les indemniser et leur permettre d’assister aux procès de leurs bourreaux.

C’est donc le devoir de la République d’aller jusqu’au bout de sa logique et de mettre en place un système d’indemnisation et de prise en charge approprié. 

Faute de quoi, les actions de notre justice devront être tenus pour ce qu’ils sont, de l’opportunisme et de la communication.

J'invite dès lors ceux qui le souhaite à signer la pétition ci-contre : https://chng.it/vwr5swdskD afin que les pouvoirs publics se saisissent, enfin, de cette difficulté.

Romain Ruiz
Avocat à la Cour

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