Je ne sais s'il faut en rire ou en pleurer. Cette guerre autour des chiffres est insupportable. Si l'on peut taxer les syndicats de gonfler régulièrement leurs chiffres, pour en avoir été ce samedi, compter 63 000 manifestants, soit les 3/4 d'un stade de France, c'est avoir de sérieux problèmes de vue ou de calcul. Cela sonne à mes yeux comme une provocation, dont je ne perçois pas tout à fait l'objectif.
Poussettes et Porte-voix
Ayant bravé la supposée saucée que l'on nous avait pourtant promis, je suis parti boulevard Voltaire avec la CGT. Je n'en fais pas partie et je ne suis pas trop d'accord avec leurs idées, même sur la retraite. J'accompagnais surtout un ami, ancien service d'ordre de la CGT. Sur le chemin, on a serré la main à tous ses camarades de la CGT du livre mais aussi à ses connaissances aux RG qu'ils avait du fait de son appartenance au service d'ordre pendant plusieurs années.
Pendant la manif, accoudé au comptoir d'un bistrot auquel nous nous étions arrêté, une télé allumée sur LCI annonçait les chiffres à la stupeur de tous et même du patron du bar, pourtant opposé à la grève. Ce dernier claironna alors "Pourtant, on fait un chiffre énorme aujourd'hui... ils ont du oublier un zéro".
Mon ami, qui avait fait toutes les dernières manifestations depuis ces dernières années, m'a fait partagé son constat : la manifestation était plus dense qu'à l'habitude et surtout composée d'un public plus large. On pouvait remarquer, d'après lui, des catégories absentes des précédents cortèges, les retraités et les jeunes. Pour ma part, je remarquais la présence de familles entières avec poussette et casse-croutes. J'y ai rencontré pas moins de quatre salariés du privé, comme moi dans l'ingéniérie informatique. Un collègue que je n'avais pas vu m'a lancé ce midi : "Alors, on se promène à Paris le samedi après-midi quand il fait beau ?". Je n'aurais pas misé sur le fait de croiser cinq personnes de mon milieu professionnel. Je suis donc certain qu'il y avait beaucoup de salariés du privé qui avaient fait le déplacement.
Promotion spéciale au rayon manifestant
On a tous encore vu Eric Woerth nous la refaire comme lors de la manifestation précédente. Il se réjouissait d'une mobilisation en baisse et de la réussite supposée de sa pédagogie sur le sujet. Autant d'arguments pour écarter d'un revers de main toute négociation.
Comme me le faisait remarquer celui que j'accompagnais, jamais je n'aurai cru que la manifestation était largement plus grosse que le chiffre de la police. J'aurai pensé comme tout le monde que tout le monde exagère. La vérité doit être quelque part à égale distance les 2 chiffres. Mais là, c'est tellement énorme. J'ai été à de maintes occasion voir un match au Stade de France. Personne ne me fera croire qu'il n'y avait que 63 000 manifestants dans ces rues...
Tout au plus pour sortir du stade, on met 30 minutes pour prendre le RER, sachant qu'une majorité des gens prennent les transports pour aller au stade de France. Il nous a fallu 3 heures (de 15h00 à 18h00), avec, certes, une halte d'une demie heure à siroter une bière, pour parcourir le boulevard Voltaire. Lorsque nous nous sommes arrêtés, nous n'avons pas constaté de trous mais un flot continu et dense, preuve d'une affluence record. De plus, comme je l'indiquais plus haut, le cortège des autres formations syndicales et politiques était parti sur un itinéraire qui passait par Bastille. Je percevait par moment que la densité sur le Faubourg Saint Antoine était sensiblement la même. Les gens lassés parfois ou tout simplement ayant des obligations gagnaient les stations de métro qui ne manquent pas sur le parcours. D'autres personnes faisaient des haltes comme nous pour faire marcher le commerce local d'ivresse publique.
Les bistrots sont souvent riches en slogans frisant souvent la connerie ordinaire mais atteignant parfois des sommets d'intelligence. Un vieux CGT accoudé au comptoir, à moitié éméché, nous faisait l'article sur LCI, Bouygues et Sarkozy. L'alcool aidant surement (ou pas), les insultes fusaient. Je n'écoutais pas trop jusqu'à un fameux : "999 000 manifestants, ça fait prix de supermarché". Par là, il sousentendait que cela les aurait écorché d'arrondir à 1 million. On parle en millier, ça fait tellement moins. Dimanche, en lisant le chiffre annoncé par la police pour la France entière, j'ai repensé à cette remarque. Samedi, c'était promo spéciale : 899 000 manifestants...
Dégouter, diviser et isoler
Le but du gouvernement est évidemment de faire passer sa réforme avec le moins de négociations possibles. En minimisant, ils cherchent à dégouter les manifestants présents et/ou à provoquer une radicalisation qui réduirait le panel des personnes concernées. Peu de personnes ont aujourd'hui les moyens d'une grève générale et reconductible. Dans ce cas, les grèvistes perdront la bataille de l'opinion, car les gens ayant peu de choix voudront aller travailler et seront largement ennuyés par les troubles des transports publics. Voilà ce que cache réellement la bataille des chiffres. Le hic, dans cette mécanique, c'est que l'opinion continue de soutenir les manifestants. Ces derniers et les journalistes de bonne foi peuvent aussi communiquer sur le fait que les chiffres sur lesquels s'appuient le gouvernement sont largement fantaisistes.
La volonté de lutter et de résister des manifestants sera donc mise à rude épreuve dans les prochaines semaines. Il n'est cependant pas question pour ma part de laisser ce mouvement en marche parce que les policiers ne savent pas compter.
Libre à vous de croire les chiffres de la police. Mais libre à tous de savoir si nous voulons ou pas de cette réforme.