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Billet de blog 7 juin 2024

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Le silence n'existe pas - chronique des mille premiers jours

Que s'est-il passé pendant nos 1000 premiers jours ? Et si nos voix permettaient de redonner à nos enfants le pouvoir du sens et de la compréhension de soi ? Adultes, nous cherchons quelquefois à protéger notre entourage, nous trions nos héritages en estimant que leur mise sous cloche suffira... mais n'est-ce pas plutôt une confiscation que nous imposons à ceux que nous faisons grandir ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Iris a eu 3 ans. Il me semble que cela fait 2 ans que chaque semaine, je la vois. Je la rencontre dans son grandir. Changeante de semaine en semaine. Un jour elle a dit « papa ». Je l’ai vu, ce papa, les larmes aux yeux en regardent cette enfant. Je pensais que je serais une alliée, une amie de la famille sympa et présente. Mais je me suis fait prendre aux tripes. Quelques fois, le stress m’envahit, ma respiration s’accélère et une boule s’installe dans mon ventre. Je la regarde ne rien faire, jouer, pleurer, courir, grimper, dormir (rarement).

La peur me saisit et je ne sais pas à qui le dire. Au départ j’ai honte. Il me semble qu’il est trop tôt pour cet amour filial. Je me tais, je n’ose pas le partager avec son papa (mon amoureux). La peur grandit.

Dans un contexte standard, au gré des années, j’aurais été une « belle mère ». Mais pour nous, je ne serais pas cette fonction. Je ne serais que moi, Romane.

« Que » ? et je ne sais pas où chercher des conseils. Mes amies qui sont mère, me bombardent de conseils, d’expériences vécues. Et j’ai peur.

Je vais au cinéma voir Virginie Effira dans Les enfants des autres. Je pleure et je veux que les parents d’Iris le vois. J’en parle à son père, mais il ne le voit pas. Pas le temps, pas l’envie, ne se sent pas concerné, oublie.

Quand on part en vacances et que sa mère m’invite à venir avec eux, elle me demande si je veux des enfants. Je suis mal alaise. A quelqu’un d’autre j’aurais répondu, qu’Iris c’est déjà un lien qui me convient, peut être le seul dont je suis capable finalement. Mais à elle, je ne peux pas dire ça, j’ai honte, je craindrais qu’elle me prenne pour une voleuse d’enfant. N’avait elle pas rêvé la veille qu’un voleur entrait pour Iris, dans la maison de campagne que nous n’avions pas fermé pour la nuit. Et si c’était moi, cette voleuse ? Alors je dis oui et non. Non à cause de ma maladie, non à cause du monde d’aujourd’hui, non à cause de mes conditions matérielles de vie, non à cause des difficultés de la PMA1, non parce que je ne voudrais pas d’enfants avec un homme, non parce que j’en voudrais à l’autre parent, je serais jalouse de tout, anxieuse de tout, je ne le laisserais rien décider, non parce que je serais folle en mettant l’entièreté du poids du monde dans l’éducation. Et je m’entends dire : « et puis il faudrait savoir avec qui … ? ». Je ne la regarde pas, je suis trop intimidée. Pourtant je me sens proche d’elle, une forme de sororité par rapport à l’amour qu’on porte au même homme, au même enfant.

Je crains de regretter de ne jamais avoir un nourrisson sur la peau. Ce peau-à-peau, que je ne connais pas, me manque. J’aimerais avoir un sens immuable dans ma vie. J’ai l’impression que la parentalité donne un sens, d’un seul coup quelque chose arrive et nous n’avons plus le choix. Pourtant je serais une mère folle. Traumatisée et folle. Consciente et folle. Exigeante de folie ou exigeante par folie, les deux. Je lis Constance Debré, « Love me tender »2, cet amour maternel étrange, fluctuant et immoral. Je suis fascinée par cette capacité à l’immoralité. Je serais soit folle, soit immorale. Les deux.

L’amour que j’ai pour cet enfant, est un amour que je n’avais jamais rencontré auparavant. Il me bouleverse, il me confronte et fait renaître mes failles enfantines. Alors, l’adulte que je suis se prend de vertige face à l’impuissance des trajectoires que prendra la vie d’Iris. Je n’ai rien à saisir, me semble-t-il, pour la protéger d’une vie immense et ambivalente. Je ne suis ni son parent, ni elle-même, ni une divinité qui écrirait un destin… je ne suis « que » Romane. Mais face à l’enfance, ne sommes nous pas tous « que » … ?

Je suis au café du Rhône, quai Augagneur. Deux verres de vin rouge, de la pluie, des clopes et mon amie. On parle de l’enfance et de mes angoisses, mes trouvailles, mes larmes, mon amour. Elle me dit cette phrase « il faut voir les signes cliniques de l’enfant », si tout va bien… alors tout va bien. Dormir, manger, pas de cauchemars, jouer, rire, parler. Je pense à moi enfant et j’ai l’impression que ça n’est jamais arrivé. Je refusais de manger, je bloquais ma mâchoire pour ne rien faire rentrer. Très tôt je ne dormais pas, j’avais des terreurs nocturnes, je pensais au sens de la vie à 7 ans. Je n’aimais pas jouer dans la cour de récréation, ce que je voulais c’était parler « comme les grands ». Je me souviens des réflexions que j’avais, et j’y pense comme une adulte non pas avec un regard enfantin. J’ai l’impression de ne jamais avoir été enfant. Je vis dans des cabinets de psy depuis mes 9 ans et même 20 ans après je ne comprends toujours pas.

Il paraît que nos vies s’écrivent nos premières années. Toutes nos réactions et peurs « infondées » arrivent lors de nos 1000 premiers jours. C’est d’ailleurs le titre d’un programme de Santé Publique « mes milles premiers jours » : affiches chez les sages-femmes et contrôles en PMI. Que s’est-il passé mes trois premières années de vie ? Que s’est-il passé dont je ne me souviens pas ? La peur au ventre revient.

Des choses arrivent, et sans exister dans les souvenirs, elles n’existent que dans nos corps, dans nos somatisations mystérieuses. Plus j’y pense, plus cela me révolte. Je suis terrassée de cette injustice. Mille jours d’une existence modelée par d’autres. Mille jours d’impuissance.

Depuis il y a eu des drames : des tentatives de suicide, des emprises psychologiques, des amitiés toxiques, des discriminations, des abus sexuels, un viol, deux déménagements, la maladie, des deuils. J’ai l’impression sincère de pouvoir encaisser ces drames. Bien sûr ils m’ont rongé, forgé, mais je sens que j’ai une arme contre eux, que j’ai une capacité d’action. Mais dans un monde qui a besoin de sens, de spiritualité, de causes-a-effets … il y a forcément une raison à la violence qui arrive quand nous sommes adultes, non ? ces schémas et ces violences qui se répètent (que je laisse se répéter ?) … Une raison qui est arrivée avant mes premiers souvenirs, avant mes premières armes. Il m’est insupportable de ne pas la trouver.

Et c’est ce bambino qui tonnerre en moi ! qui me bile l’estomac, me gratte la peau, me fatigue jusqu’à l’évanouissement, me froisse les articulations. J’entends crier mes milles premiers jours et je n’y peux rien.

Je vois l’enfance comme une prison, sans mots et sans pouvoirs. Je trouve l’enfance dangereuse, angoissante. J’ai cette peur au ventre qui grandi, encore.

Iris a dépassé son millième jour. Il paraît que les dés sont jetés, mais n’y a-t-il pas quelque chose de pire que cette considération ? Sur mille j’en ai fait les deux tiers, témoin des deux tiers. Et un jour, dans vingt ans quand elle cherchera sa vie, je crois que je n’aurais rien à lui dire sur ces deux ans de vie. Rien d’alarmant, je n’aurais que l’amour à lui raconter. Et pour autant, elle aura sûrement quelque chose à chercher, une colère à résoudre, une colère sans raison qu’elle cherchera par ici, aujourd’hui. Tout me semble normal et j’ai l’impression que pour moi aussi tout a été normal.

Je finis par devenir folle de cette quête. Je me dis qu’au lieu de chercher en moi, je devrais lire l’histoire. Reprendre l’obsession de mon grand-père paternel pour sa quête d’origine et d’aïeux. Epigénétique 3, psycho-généalogie. Mais quel enfer si c’est ça, on ne va jamais s’en sortir ! si le trauma se transmet de génération en génération tant qu’il n’est pas résolu… l’humanité est donc totalement nécrosée. On devrait alors tous crever, immédiatement. Ne plus se reproduire, juste par respect pour la vie et le vivable. Surtout si c’est toujours notre faute, nous adultes, nous parents, nous modèles. Et si c’était la faute des silencieux ? la faute des silencieux qui perpétuent le silence qu’ils ont reçu ? Les silencieux qui ne se sont jamais révoltés de leur parent, de leur éducation. Les silencieux qui se contentent et se lovent de déni. Cette loverie se transmet et deviendra les gènes de futurs êtres impuissants et qui n’ont rien demandé à personne. Ce déni me révolte. Ce silence me révolte.

Pour autant quand je les vois les silencieux, les négationnistes de la transmission et du sens de la vie… ils ont l’air moins tarés que moi. J’ai comme l’impression outrageusement prétentieuse que l’insouciance heureuse c’est pour les tocards, les lâches. Je me mets à leur tronc pour les secouer comme un pommier. Que leurs pommes tombent au sol et que je leur fasse bouffer. Parlez ! parlez ! Je ne veux pas qu’Iris n’est rien à trouver dans ses mille premiers jours, qu’en fin de quête elle ne puisse s’en remettre qu’à ses ancêtres et parents, et leur en vouloir de leur silence tout au long de sa vie. Ce silence justifié par la peur qu’à l’adulte de se regarder en face.

Cher adulte, ne sois jamais parent si tu comptes garder le silence. Tu rendras fou tes enfants. Tes enfants qui sont, comme toi, des humains confrontés au monde et aux drames. Enfants, nous devons savoir les silences du monde pour avancer.

Ton silence m’emprisonne, jamais il ne me protège. Ton silence lâche ne protège que toi, parent. Tu ne partiras pas dans la tombe avec tes secrets, tu les auras transmis en perfusion inconsciente à tes enfants qui chercheront sans cesse. Rompt le silence, je t’en prie…

Illustration 1
les enfants des autres © Rebecca Zlotowski

1. La réalité de la PMA pour toutes en France (article de blog lea & capucine) ;
Mise en œuvre de la loi bioéthique (rapport d'enquête, agence presse biomédecine) ;
Labyrinthe médical, obstacles juridiques... Le parcours "kafkaïen" des pionnières de la PMA pour toutes  (émission de radio, France Inter) ;
La pma un parcours semé d'obstacles, (documentaire, arte)

2 La chronique de Clara Dupont-Monod "love me tender" (chronique radio, France Inter) ;
Love me tender, Constance Debré

3 Epigénétique, un génome pleins de possibilités (article, inserm) ; 
La transmission épigénétique des traumatismes (article universitaire)

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