A quoi sert le placard ? Chronique (poly)amoureuse
Engueulades et crispations.
Il veut me présenter comme « amie » à ses proches.
Peur de l’anormal, peur de la stigmatisation, peur que leurs regards changent, peur des ragots. Il y a notre différence d’âge, notre rencontre sur appli, le polyamour, sa parentalité.
Je me sens blessée, trahie par l’amour, par l’image de transcendance que j’en avais. Nous nous étions promis de « faire équipe ».
« Je vais être ta première tâche ?! …. Mais mon pauvre chéri ! » (avais-je pensé si fort)
Iris le dira.
L’école, les grands-parents, les ami-es. Je veux que l’on prenne les devants pour ne pas lui laisse ce rôle. Je veux qu’on lui explique pour prévenir les réactions des autres quand elle dira : « Romane c’est l’amoureuse de papa ».
Je me sens silencée. Je me retrouve, comme j’ai été, une ado coincée dans le placard de l’homosexualité. Je suis amoureuse et je veux être fière de nous.
L’incompréhension est abyssale.
Rendez-vous en juin 2023 au festival parisien du collectif famille.
Atelier « histoire du coming out » animé par le sociologue du genre Sébastien Chauvin.
Déclic.
Le placard pour « se protéger », se préparer.
Je tourne le miroir, je déplace le projecteur. Je sympathise avec sa peur. Je rembobine mon histoire et ce saut dans le vide, sans cordes, sans filet.
Nos étapes sont différentes. Il m’a toujours semblé plus difficile pour les hétéros d’assumer le polyamour. Eh oui… c’est peut-être bien leur « première tâche ». Et elle fait toujours peur, la première… Il y a les émotions, mais aussi les faits : la discrimination, l’invisibilisation, la nouveauté. Cette annonce sera sans retour. Il craint pour lui, ses mondes, ses cocons : va-t-il tous les briser ? se retrouver sans le réconfort de ses amitiés ?
Je hurle que l’intime est politique. Je lui hurle cette injonction moderne à l’outing et à l’individualité.
« Je ne suis pas un militant du polyamour moi ! »
J’agis avec une volonté de bonheur malgré lui. Je minimise sa peur, je l’alimente.
Je monte des barrières au-devant desquelles il n’osera plus me dire « j’ai peur ».
Et alors quelle équipière deviendrais je ?
Notre temporalité, notre patience n’est pas la même. Nous nous construisons avec un accord plus ou moins tacite d’outing. Mais aussi avec une méthode de l’entre-deux.
Nous ne sommes pas du même monde.
Lui, le cartésien, le pragmatique, la politique du moindre risque. Moi, la passionnée, la politique révoltée.
Mais la révolte essouffle, fatigue et (m’) abîme.
S’accorder le temps, des pauses, une bulle (de secrets ?) … Pour respirer. Regarder notre confiance amoureuse grandir. S’aimer sans danger.
Savoir que le temps fera son œuvre, qu’il viendra… ce temps où tout le monde saura.
Prenons cet « avant » pour nous apprivoiser, nous et nos amours.
Lire avec Iris des livres qui préparent peu à peu son monde et son esprit. Prendre des forces et nous armer de la légitimité du temps. Créer une armure « sans failles » pour asseoir notre raison.
Doucement rencontrer sa compagne dans un parc. Doucement partir en vacances tous les quatre. Nous voilà entrain de sourire en coin face aux questionnements des gens. Nous regardons, ensemble, grandir cette enfant et voyons notre amour infuser en elle.
Désormais elle fait s’embrasser les unes après les autres, chacune de ses figurines « parce qu’elles ont envie ! ».
Avec ce ton innocent qui révèle toute la simplicité de l’amour.
Nous montrons, par l’exemple, la validité de notre histoire. Avons-nous besoin des mots ? Ils viendront peut-être bien assez tôt…
Ne devrais je pas calmer mes ardeurs militantes pour laisser aimer sans conditions et sans affronts.
Si l’on m’avait suivi dans la passion de la revendication, nous n’aurions pas pu vivre entièrement le bonheur de cet amour pluriel.
Pluriel, partagé, partageur et pourtant sans repères ni modèles… !
Nous aurions dû à la fois faire front contre les aprioris du monde, apprivoiser nos amours et s’occuper d’un petit monstre qui n’entre qu’à peine à la maternelle.
La politique du moindre risque n’aurait pas tenu et mon amoureux aurait explosé en plein vol.
Moi, je me serais éteinte de fatigue et de lassitude. Nous n’aurions jamais eu cette joie pour l’insouciance des sentiments, la paix de notre placard douillet…
Notre placard comme bouclier du monde. Nous y restons, nous y apprivoisons et apprenons dans ce placard vitré. Mais la vie continue de s’écrire derrière notre vitre sans teint, et avec sa patience et ma fougue nous nous préparons ardument.
Si son pragmatisme n’avait pas su amadouer ma révolte, j’aurais fait de cette/notre famille un moyen de lutte et je ne sais pas si l’amour aurait résisté.
Autrice : Romane Faure-Mary
@romane.faure-mary.autrice
30/08/2023, Lyon
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