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Billet de blog 15 janvier 2021

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Le bal des hypocrites face au génocide identitaire qu’est l’inceste

Le livre de Camille Kouchner témoigne du courage qu'il faut pour survivre à l'inceste et aux pressions des puissants mais l'omerta française sur ces situations ne peut s'expliquer sans raison. Combien de vies encore détruites par ce silence imposé par tous ceux qui savaient et qui ont préféré le silence complice que le soutien aux victimes

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Le bal des hypocrites face au génocide identitaire qu’est l’inceste

Dans son livre dénonçant les violences incestueuses subies par son frère jumeau, Camille Kouchner comme tant d’autres avant elle, exprime la douleur des enfants victimes de ces violences. Elle décrit l’omerta, et cet autre crime qu’est le silence imposé par ceux censés protéger : et en premier lieu les parents qui auraient dû immédiatement intervenir et porter plainte, ce qu’ils n’ont pas fait et ont préféré se taire voire leur ont reproché d’avoir osé révéler. Mais il y a aussi tous ceux qui savaient et qui n’ont rien dit. Car dans le « microcosme » de ces « gens-là », cela se savait comme tant d’autres affaires qui sortent au compte-gouttes, car la France n’a pas le courage d’assainir une fois pour toutes ces milieux infiltrés de criminels sexuels qui se savent protégés.

L’histoire intéresse la presse, car elle met à jour des célébrités et des puissants et les mêmes noms reviennent, déjà cités dans d’autres affaires. Sur des plateaux télé, certains tentent de défendre comme dans l’affaire Matzneff « le contexte d’une époque », mais tous les hommes n’ont pas abusé d’enfants à cette période et cette défense avancée ne peut qu’interroger sur les histoires personnelles de ces personnes si promptes à mettre en avant cet argument. De quoi ont-elles si peur ? Qu’ont-elles donc à cacher de pratiques personnelles ou de connaissances de faits criminels qu’elles auraient couverts de leur silence complice ?

Et dans ce fracas médiatique, le silence assourdissant du Garde des Sceaux qui n’a jamais aussi bien porté son nom : le sceau, ce cachet de cire qui scelle pour les rendre inviolables des documents : rendre inviolable la révélation des viols sur enfant…Le sceau du silence, de l’hypocrisie, des faux-semblants, des amitiés coupables, des réseaux d’initiés, de ceux qui savent et qui laissent faire pour ne pas sacrifier leur carrière, parvenir à des postes à responsabilités, accéder au pouvoir... sans parler de l’ex-secrétaire d’État chargée de l’égalité hommes femmes qui se prend pour une diva du brushing et qui, payée par le contribuable, utilise ses réseaux sociaux pour vanter son coiffeur, ce qui montre son sens des priorités, mais qui ne peut qu’interroger sur ce qui a conduit au fait qu’elle ait été nommée à ce poste-là : quel diplôme, quelle légitimité sur ces sujets, quelle expérience si ce n’est ses nouvelles « érotiques » ou ses amitiés ? Et personne ne s’interroge sur le fait qu’elle soit restée à ce poste de secrétaire d’État avec de tels faits d’armes et qu’aujourd’hui le contribuable paie pour qu’elle exhibe sa chevelure en totale violation des obligations des ministres quant au placement de produits. Pour quelles raisons n’a-telle pas été contrainte de démissionner et est-elle encore maintenue à son nouveau poste malgré de tels manquements ? Comment a-t-elle pu rester précédemment à un poste aussi crucial compte tenu du type de ses activités « littéraires » ? Personne ne s’interroge à ce sujet ni ne la remet en cause… silence général. Rien que cela témoigne du contexte de l’omerta qui règne en France et du fait que ce n’est pas un hasard que des personnes de ce type soit nommées à ces postes.

Au-delà de l’affaire des enfants Kouchner, dans les « familles du quotidien » c’est la même dynamique qui se retrouve, comme l’a si bien démontré l’affaire de Lyon et des abus perpétrés en toute impunité par le père Preynat. Les victimes piégées par ceux qui les agressent ne peuvent bien souvent pas dénoncer par peur, honte, culpabilité, perte de confiance en l’adulte. Surtout quand elles sont issues de milieux de classes sociales dites supérieures comme si la perversité des pédocriminels était réservée à une catégorie de la population. Il est bien plus difficile pour un enfant de ministre, médecin, journaliste, enseignant, ingénieur ou autres, d’être protégé qu’un enfant dont les parents sont sans emploi ou avec des situations précaires. Et quand ces victimes parviennent des années plus tard à parler (pour celles qui y parviennent), la société leur impose de se taire, car même dans les milieux non médiatiques les violences sexuelles subies par les mineurs les condamnent au silence.

Non seulement en raison du système pénal conçu en France de telle façon que ce sont aux victimes de prouver ce qu’elles ont subi, au nom de la présomption d’innocence. Sacro-saint principe qui présente une garantie de démocratie comparée à ce qui peut exister dans certains pays totalitaires, mais qui pour des crimes commis sur des personnes mineures ou vulnérables ne peut conduire qu’à des classements sans suite de toutes ces plaintes, comme en attestent les chiffres du ministère (en moyenne près de 80 % des plaintes pour viol sont classées). Ce que savent parfaitement les auteurs : à eux la présomption d’innocence, la prescriptibilité et la toute-puissance de pouvoir continuer d’agir en sachant qu’ils ne risquent rien.

Mais aussi parce que parler, dénoncer la transgression de cet interdit fondamental conduit la grande majorité des victimes d’incestes ou de violences sexuelles commises par des personnes faisant autorité à être rejetées par leurs proches, car elles sont les témoins de cette transgression. Et quand des professionnels signalent, ils sont de plus en plus souvent condamnés au lieu d’être protégés eux-aussi.

Les victimes, elles, sont condamnées à perpétuité, mais qui s’en préoccupe ? Certainement pas ceux qui se précipitent sur les ondes pour défendre le « droit à l’oubli », le fait que « ces histoires remontent à des années », « qu’il faut savoir passer à autre chose et pardonner » ou qui vantent toutes les « qualités » des mis en cause.

Si l’enfant est l’avenir de l’homme, tout crime qu’il subit devrait être reconnu comme crime contre l’humanité et être imprescriptible. Peu importe que les plaintes soient classées, car les faits ne peuvent plus être prouvés, le fait de porter plainte permet de ne plus laisser dans cette ombre protectrice les auteurs et de ne plus condamner au silence les victimes. L’inceste est un génocide identitaire, un crime contre l’humanité en devenir qui devrait être prescrit.

L’inceste détruit la filiation, le rapport au corps, à la sexualité, l’estime de soi, la confiance en l’autre et en plus il condamne le plus souvent les enfants qui ont osé dénoncer, à être sacrifiés par leur famille que cette parole libérée dérange plus que tout.

Il n’y a pas de prescriptibilité pour la souffrance psychique des victimes. Elles, sont condamnées à perpétuité avec une vie transformée en champ de mines où à chaque instant leur passé peut ressurgir et les anéantir. Les auteurs eux, vivent bien tranquillement. Passé le tumulte de la sortie d’un livre, ils retournent avec leurs amis fidèles, au sein de leurs réseaux et de leurs protections multiples, dans leur vie construite sur le contrôle, le mensonge et l’abjectitude d’actes pour lesquels ils ne seront jamais condamnés.S

Hélène ROMANO Dr en psychopathologie-HDR ; Dr en droit privé et sciences criminelles.

Auteur avec Natacha BRAS d’Amnésie traumatique, des vies de l’ombre à la lumière, 2020.

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