En complément des excellents articles écrits sur Mediapart par Caroline COQ-CHODORGE (09 juillet 2025) ainsi que dans Le Progrès par Sylvie MONTARON (11 juillet 2025), je reproduis ci-dessous les témoignages que j'ai publiés sur LinkedIn au cours du mois de mai 2025, période à laquelle j'ai décidé de rendre public ce drame (avec l'accord de ma compagne).

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Hôpital de la Croix-Rousse (Lyon)
Abordée à plusieurs reprises par les médias au cours des dernières semaines, la misère des urgences hospitalières publiques nous a percutés de plein fouet au début de cette année 2025. Notre fille devait nous rejoindre aux alentours du 20 mars ; elle est née sans vie le 18 janvier, à la fin du 7ème mois de grossesse ; deux jours plus tôt, son cœur avait cessé de battre.
Comment en sommes nous arrivés là ?
15/01/2025 à 20h30 : ma compagne chute dans un escalier, avec choc au niveau du visage. Elle saigne très abondamment du nez. Les secours sont appelés.
21h15 : elle est tout d’abord admise à la maternité de l’hôpital lyonnais des HCL assurant le suivi de la grossesse ; la sage-femme de garde ne parvenant pas à stopper le saignement malgré la pose d’une mèche de Coalgan dans le nez, nous sommes envoyés au service d’accueil des urgences de cet hôpital, où nous arrivons à 22h20.
3h15 : ma compagne sort des urgences avec, pour seul traitement de l’épistaxis…le Coalgan posé par la sage-femme ! Les intervenants se satisfont de l’apparent « tarissement » du saignement après 2h30 d’écoulement abondant et ininterrompu ayant quasiment permis de remplir deux « haricots » d’une contenance de 750 ml chacun.
Visiblement débordé et dépassé, l’interne de garde, seul médecin que nous avons vu au cours de la nuit, n’a procédé à aucun geste de nature à identifier l’origine du saignement et à en vérifier l’arrêt effectif. Il nous est indiqué que ce saignement était tout à fait bénin ; nos questions agacent un peu, tout cela semble relever de la « bobologie » la plus futile. Il y a manifestement plus urgent et plus grave dans ce service. Afin de ne pas alourdir le propos et le sens de ce post n’étant pas de mettre en cause les soignants même si des erreurs humaines évidentes ont été commises, je passe sur les autres points susceptibles de constituer des négligences, ainsi que sur les éléments qui ont pu les rassurer.
Retour à la maternité afin de finir les examens obstétricaux, qui montrent que tout va bien pour notre bébé.
Pleinement rassurés, nous rentrons à notre domicile aux alentours de 5h00.
16/01/2025 à 8h30 : dès son retrait, le Coalgan s’avère avoir été un véritable cache-misère ; le saignement reprend abondamment. Les secours interviennent et ma compagne est de nouveau transportée aux urgences du même hôpital, où elle est prise en charge à 9h24.
Une échographie constate l’arrêt du cœur de notre bébé.
Les recherches sérieuses réalisées à ce stade permettent de constater que le saignement provient en réalité d'atteintes à l’artère faciale ; ma compagne est en état de choc hémorragique. Elle a bénéficié de transfusions en quantité importantes ainsi que d’une intervention sous anesthésie générale en urgence visant à emboliser/cautériser l’artère endommagée.
La naissance sans vie de notre fille a eu lieu le 18 janvier ; ses obsèques, le 3 février.
Ce drame personnel et familial est aussi celui de nos services hospitaliers d’urgence, dont la décrépitude est largement documentée.
J’estime, en tant que citoyen, qu’il m’appartient de témoigner ; ne pas prendre la parole, ne pas interpeller nos responsables politiques me paraît inimaginable.
Les soins qui ont été apportés à ma compagne ont été d’une telle faiblesse qu’ils ont failli lui coûter la vie et n’ont laissé aucune chance de "survie" à notre fille. Le « pari de la bobologie », probablement commode lorsque les urgences à gérer excédent les capacités des ressources humaines disponibles, s’est avéré perdant. Il y avait manifestement plus urgent et trop peu de personnel pour procéder à des diagnostics et des soins de qualité au cours de cette nuit-là.
L’heure est désormais aux réflexions concernant une action administrative ou judiciaire: l’acceptation d’un certain nombre de « dégâts collatéraux », souvent sans conséquence pécuniaire pour l’Etat semble davantage satisfaire les gestionnaires des deniers publics que des investissements à hauteur des besoins réels . Il faut dire qu’une action en justice n’est jamais simple en envisager, financer et porter ; même lorsque l'on fait partie du monde judiciaire, on doute !
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Post 2/2
A la suite de la mort fœtale de notre fille à 7 mois de grossesse (survenue mi-janvier de cette année et relaté dans mon post du mardi 13/05), j’ai fait quelques recherches sur le traitement « administratif » des accidents médicaux. J’ai assez rapidement appris que le Code de la santé publique fait obligation à l’établissement de santé de déclarer sans délai cet « événement indésirable grave associé aux soins » (EIGS) à l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes, puis de transmettre une analyse sous 3 mois.
Ma compagne et moi avons laissé s’écouler un mois et demi après la sortie de l’hôpital (21/01) avant de nous manifester auprès de l’hôpital concerné (Hospices Civils de Lyon - HCL). Nous pensions qu’au vu de la gravité des conséquences de la prise en charge défectueuse aux urgences, on reviendrait vers nous après avoir procédé à une analyse. Quelle naïveté !
Nous finissons par nous manifester par mail auprès de la direction le 07/03, en demandant - entre autres choses - si une déclaration d’EIGS a bien été effectuée.
Réponse le 13 mars : non, cette déclaration n’a pas été faite, mais le sera dès le lendemain (soit le 14/03). Autant dire que, si nous ne nous étions pas manifestés, elle n’aurait jamais été faite. Le code de la santé publique ne confie pourtant aucune mission de vigilance au patient sur ce point !
Lors d’une réunion (rapidement, il faut tout le même le reconnaître) organisée le 17/04, le chef du service des urgences nous a expliqué être « saturé » de ce type de déclarations ainsi que par les revues de morbidité et mortalité devant être organisées dans ce cadre.
Cela pose évidemment la question de l’effectivité du dispositif prévu par la Code de la santé publique : si une mort fœtale au cours du 3ème trimestre de grossesse, provoquée par un choc hémorragique lui-même provoqué par le traitement catastrophique d’un traumatisme, n’est pas déclaré d’initiative, quels sont les incidents effectivement déclarés? Ne le sont-ils que lorsque les patients se renseignent et finissent par se manifester ? Quelle est la proportion d’EIGS déclarés et analysés rapportée au nombre d'incidents graves ? Quels sont les enjeux pour l’établissement de santé (notamment sur le plan statistique) ?