Dans son édition du 30 janvier 2024, Le Parisien a publié un article signé Elsa MARI sur les urgences de l’hôpital public, relatant, comme souvent lorsque ce sujet est traité, « les malades sur des brancards qui faute de bras, de temps, de moyens, meurent parfois au milieu du couloir, sans que personne ne s’en rende compte ». Cette publication contenait notamment la déclaration d’un « chef d’un grand service des urgences », selon lequel « la vérité, c’est que lorsqu’il y a des morts, on ne fait pas remonter l’info aux autorités. Si ça ne fait pas trop de bruit et qu’on sait qu’on peut s’en sortir, on met l’incident sous le tapis. On dit rien et ça passe… ».
🤫 Omerta, quand tu nous tiens...
Dans son livre Hôpital, tant qu’il n’y a pas de plainte… (Ed. Robert Laffont, 2023), Nora SAHARA évoque également le camouflage courant des incidents graves associés aux soins qui surviennent lors de prises en charges hospitalières. Le Pr. X, qui s'est confié à l'auteure, explique notamment que "faire remonter les difficultés à la hiérarchie est extrêmement difficile. Dès qu'on met en cause l'institution ou un membre de l'institution, c'est très mal perçu et on ressent le malaise. Il n'y a pas de travail de fond. Les hautes instances pourraient se saisir de la question des erreurs médicales. Ce ne sont pas les affaires qui manquent, mais ça n'intéresse pas. Même quand ils sont au courant, ils ferment les yeux". Un autre témoin rapporte que "le principe de la déclaration des événements indésirables" a été "déployé avec beaucoup de zèle", mais que les déclarations portant sur "des faits ayant des conséquences sur la santé des personnes" sont en pratique très peu fréquentes. Quant à Philippe, chirurgien, il déclarait qu'"il y a une logique de rentabilité avant tout, et avec elle, une stratégie : pas de vagues. Je sais qu'on ment aux familles et qu'on ne dit pas toujours la réalité. On ne veut pas de procès, c'est aussi simple que ça".
Précisons que c’est sur la base des incidents effectivement déclarés que le Ministère de la Santé et la Haute Autorité de Santé (HAS) établissement des jolies statistiques dont on admirera la mise en page à défaut de pouvoir se fier aux données qu'elles contiennent (par exemple ici) ! En faisant un peu moins de mauvais esprit, on se satisfera de la fiabilité de ces documents au moins lorsqu’ils affirment que les données qu’ils rapportent ne sont pas fiables…
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❓Notre fille valait-elle une déclaration d'incident ?
Les témoignages retranscrits ci-dessus reflètent bien la façon dont la mort in utero de notre fille Léonore et la grave mise en danger de ma compagne Julie ont été traitées par le service des urgences et/ou la direction de l’hôpital de la Croix-Rousse (j'écris « et/ou » car l'exercice de transparence auquel l'établissement a bien voulu se livrer ayant ses propres limites, le mystère demeure à ce jour sur l’identité de la/des personne(s) à l'origine de cette tentative de camouflage. Je précise que j’exclus le service maternité/obstétrique du champ de cet article : bien que n’étant impliqué que de façon extrêmement résiduelle dans cette catastrophe, il s’agit du service qui s’est montré le plus soucieux d’assurer dialogue et transparence).
Cela a été une sorte de petite épreuve dans la grande épreuve (racontée pour Médiapart par Caroline COQ-CHODORGE ainsi que dans Le Progrès par Sylvie MONTARON) : le 16 janvier 2025, notre fille est morte à la suite d’une prise en charge catastrophique par le service des urgences de cet établissement, ma compagne a failli se vider de notre sang par le nez et en mourir, mais cela ne suffisait pas : certains ont estimé opportun de mettre le couvercle sur la marmite, puis espéré que nous ne viendrons jamais le soulever.
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🙇♂️ Pari perdant !
J’ai rapidement fait quelques recherches sur le traitement « administratif » des conséquences des erreurs médicales. J’ai ainsi découvert que le Code de la santé publique (articles L. 1413-14, R. 1413-67 à R. 1413-73) fait obligation à l’établissement de santé au sein duquel l’incident a eu lieu de déclarer sans délai tout événement indésirable associé aux soins (EIGS) à l’Agence régionale de santé (ARS) dont il relève. Cette obligation de déclaration porte sur tout "événement indésirable grave associé à des soins réalisés lors d'investigations, de traitements, d'actes médicaux à visée esthétique ou d'actions de prévention est un événement inattendu au regard de l'état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d'un déficit fonctionnel permanent y compris une anomalie ou une malformation congénitale" (art. R. 1413-67).
Dans un second temps, l’établissement doit transmettre une analyse de l’EIGS sous 3 mois. Cette analyse doit comprendre un plan d'action destiné à prévenir le renouvellement de l'incident (étant admis que cela ait un quelconque effet...et que l'abandon de l'hôpital public par nos gouvernants ne joue aucun rôle causal dans les catastrophes qui y surviennent).
Après la sortie de l'hôpital (21 janvier 2025), nous avons laissé s’écouler un mois et demi sans nous manifester auprès de l’hôpital de la Croix-Rousse : d’une part, nous étions K.O. après ce qui nous était arrivé, d’autre part, nous nous sommes dit qu’au vu de la particulière gravité des conséquences de la prise en charge défectueuse aux urgences, on reviendrait vers nous après avoir procédé à une analyse. A notre sens, il fallait patienter : nous avions rencontré la directrice adjointe de la maternité afin notre sortie de l’hôpital et échangé de façon constructive avec elle. Le chef du service des urgences ou la direction ne tarderaient pas à se manifester… Quelle naïveté !
🙈🙉🙊 Un mois plus tard, aucune nouvelle de l'hôpital !
Fin février, personne ne nous a contactés pour nous proposer un rendez-vous. Nous laissons passer encore un peu de temps. Nous profitons de ce délai pour demander la copie du dossier médical, que nous obtenons sans difficulté ; cette démarche, qui n'est pourtant pas anodine, ne semble attirer l’attention de personne.
Nous finissons par nous manifester par mail auprès de la direction le 07 mars 2025, en demandant - entre autres choses - si une déclaration d’EIGS a bien été effectuée.
Réponse le 13 mars 2025 : non, près de deux mois après les faits, cette déclaration n’a pas été faite ! Mais soyez rassurés, braves patients endeuillés, elle le sera dès le lendemain (elle est ci-dessous 👇) ! Autrement dit : si nous ne nous étions pas manifestés, elle n’aurait jamais été faite. Le code de la santé publique ne confie pourtant aucune mission de vigilance au patient sur ce point. L’obligation de déclaration incombe exclusivement au professionnel ou à l’établissement de santé.
Cliquez ici pour accéder au PDF contenant les 2 volets de l'EIGS !Lors d’une réunion organisée le 17 avril 2025, le chef du service des urgences de l’hôpital de la Croix-Rousse nous a expliqué être « saturé » de ce type de déclarations ainsi que par les revues de morbidité et mortalité (réunions de débriefing sur les incidents associés aux soins) devant être organisées à la suite de ces déclarations. On se demande bien d’où peut venir cette saturation dans la mesure où ce service/cet établissement n’a pas jugé opportun de déclarer de sa propre initiative un incident aussi grave qu’une mort fœtale survenant au cours du 3ème trimestre de grossesse, provoquée par un choc hémorragique lui-même provoqué par le traitement catastrophique des conséquences d’une chute traumatique. Quels seraient donc les EIGS déclarés ? Les entorses des patients se réceptionnant mal en descendant de leur brancard ? (Ok, ok, je fais un peu de mauvais esprit, là...mais tout de même : la question se pose !).
De toute évidence, la lecture du "plan d'action" proposé à la suite de l'analyse du dossier de Léonore et Julie permet de se convaincre que celle-ci était tout sauf inutile :
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Alors, chers dirigeants des Hospices Civils de Lyon, avant de prétendre "réinventer l'hôpital" quotidiennement (ainsi que le prétend votre slogan), il serait opportun de veiller à ce que la loi soit y respectée !
👉 Tout cela pose évidemment la question de l’effectivité du dispositif prévu par la code de la santé publique : quels sont les incidents effectivement déclarés? Ne le sont-ils que lorsque les patients se renseignent et se manifestent ? Quelle est la proportion d’EIGS déclarés et analysés rapportée au nombre réel d'incidents graves ? Quels sont les enjeux et les conséquences pour les établissements de santé (notamment sur le plan statistique et financier) ? Quelle politique de (non-)déclaration des EIGS ? A quel niveau (service, établissement, groupe...) est-elle déterminée ?
😡 Aujourd'hui, mon but est de ne pas rester à la surface des choses. Je demande donc des détails précis sur les éléments systémiques (et donc...politiques !) ayant conduit à cette catastrophe...ce qui peut conduire à examiner des responsabilités hiérarchiques. Sans surprise, je me heurte à un mur de silence : silence du Ministère de la santé qui - pour l'instant - ne répond pas à ma demande de saisine de l'Inspection générale des affaires sociales, silence de l'Agence régionale de santé Auvergne Rhône-Alpes et silence de la direction des Hospices Civils de Lyon (HCL).
🧐 On finirait presque par croire que d'aucuns ont un intérêt à ne pas objectiver le saccage continu de l'hôpital public en dépit de la promesse d'un "plan massif" d'investissement faite par le Président de la République au début de la crise de la Covid (à l'époque, c'était tendance) !
PLUS D'INFORMATIONS SUR L'HISTOIRE DE LEONORE :
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-Mediapart (09/07/25) : "Ballotée entre des urgences et une maternité saturées, une femme enceinte perd son bébé"
-Le Progrès (11/07/25) : "Hôpital de la Croix-Rousse : la mort de leur bébé était-elle évitable ?"
-Tribune de Lyon (23/10/25) : "La bouleversante histoire de Romuald Di Noto, en quête de justice après la mort in utero de sa fille"
-Le Progrès (14/11/25) : "Après le décès in utero de son bébé, il veut une inspection à l'hôpital de la Croix-Rousse"
Entretien sur BFM Lyon (15/10/2025) : "Parent d'un bébé mort in utero, Romuald pointe du doigt les politiques qui ont mené l'hôpital au bord du gouffre".