Je suis tout nouvel abonné Mediapart, bien que connaissant ce site depuis fort longtemps. Ce qui m'avait toujours freiné, c'était le fait de payer pour une information. Le temps faisant les choses, j'ai changé d'avis et décidé de contribuer moi aussi, à ma manière, à l'information à laquelle j'ai accès. 9 euros par mois, c'est un luxe certains diront, moi je ne le dirai pas.
Bien que gagnant très peu, je préfère mettre 9 euros pour une information constante et de qualité plutôt que de ne rien payer et avoir accès à la même information que la masse, sur les mêmes sites gratuits de quotidiens payants qui sont malheureusement soumis aux diktats de leurs actionnaires.
Et c'est en vrai milleuriste que je prend cette décision: 9 euros, c'est beaucoup pour moi, mais c'est un choix. La précarité ne doit pas être synonyme de médiocrité.
Un milleuriste, c'est ce que je suis. Depuis plusieurs années maintenant, c'est sous ce nom que sont désignées des générations de femmes et d'hommes dans l'Europe du Sud, en Italie et en Espagne tout particulièrement. Dans ces pays, les jeunes générations, et d'autres également, sont appelées ainsi car victimes d'une rigueur économique pas toujours justifiée, qui amène leurs employeurs à plafonner leurs revenus aux alentours de mille euros. Selon le pays, ce même salaire ne fournit pas le même niveau de vie, certes, mais il ne permet dans aucun des deux de mener une vie véritablement décente, j'entend par là avoir un appartement à son propre nom, pouvoir payer ses factures, s'acheter de quoi manger en proportions normales, et pouvoir mettre un peu d'argent de côté, tout en jouissant 'un peu' de cette société dite de 'consommation'.
Ces milleuristes sont bien souvent dans l'obligation de totalement dépenser leurs revenus pour pouvoir bénéficier d'une partie seulement de cette vie 'décente' dont je parlais plus haut.
Force est de constater que la France, tout comme bien d'autres pays, n'est pas épargnée par ce phénomène. Il est au contraire grandissant dans l'hexagone, et c'est inquiétant. Bien qu'en période de crise, ces rémunérations minimales devenues standards ne doivent pas devenir monnaie courante, mais c'est bel et bien la réalité.
Diplômé depuis plusieurs années maintenant, et ne trouvant pas de travail dans mon secteur (les langues étrangères,et j'en parle 5, secteur pourtant si loué par l'Education Nationale mais fournissant très peu de postes sur le marché du travail en dehors du professorat), voilà plusieurs années maintenant que je vogue dans le milieu du travail, d'un emploi à l'autre, peinant à me faire embaucher en CDI.
Ardent défenseur de la valeur travail, dans laquelle j'ai été élevé, j'ai toujours souhaité travailler, même dans un domaine qui n'est pas le mien, plutôt que de vivre des allocations chômage, qui sont une bénédiction mais qui doivent rester, selon moi, une solution d'extrême urgence.
Etoffant donc mon Curriculum Vitae tout au long de mes années de travail, je pensais à terme pouvoir tout de même trouver une entreprise qui reconnaîtrait mon expérience et la rémunèrerait à sa juste valeur, espérant ainsi casser ce cycle de bas salaire dans lequel je me sentais enfermé.
Et bien, à l'âge de 30 ans, et après plus de 11 ans d'expérience dans mon secteur, je suis toujours aussi peu payé (SMIC Horaire), au mépris de tout 'pacte social', si l'on peut encore citer cette expression. Les chefs d'entreprise payent toujours leurs salariés au minimum, et encore plus depuis l'explosion de cette crise, devenue en très peu de temps la responsable première des salaires revus à la baisse et de conditions de travail insupportables, grâce toujours à ces chefs d'entreprise, heureux d'avoir trouvé en elle l'excuse rêvée pour garder pour eux-mêmes les fruits du travail de leurs employés.
Je sais à quel point cette vision des choses peut paraître caricaturée, mais c'est volontaire. Je grossis le trait: tous les chefs d'entreprise ne sont pas aussi sournois, et tout le monde n'est pas sous-payé. Pourtant, comme en atteste l'article de Laurent MAUDUIT publié aujourd'hui sur Mediapart, la pauvreté gagne du terrain en France, le nombre des 'travailleurs pauvres' ou 'working poor' explose et ce dans un silence assourdissant, et les salaires n'augmentent plus ou très peu, jusqu'à baisser.
Jusqu'à quand notre génération, les enfants des baby-boomers (et celles qui nous suivront aussi si les choses ne changent pas) sera celle qui payera les errements de nos élites dirigeantes? Trop occupées à se faire réélire et à flatter les instincts de leur électorat de base, et ce toutes tendances politiques confondues, leurs résultats sont si mauvais qu'ils expliquent à eux seuls la désaffection grandissante des français pour l'engagement politique et citoyen, engagement pourtant nécessaire à toute démocratie en bonne santé.
Je ne désespère pas, je me dis qu'une fois mes 35 ans atteints, j'approcherai de l'âge auquel, c'est ce que je crois en tout cas, je pourrai bénéficier de salaires décents qui me permettront de vivre et de pouvoir épargner pour faire des projets (acheter un appartement, une voiture en état normal, envisager de faire un enfant). Pourquoi? Parce que la France gâche le potentiel de toute une jeunesse mais également celui de ses seniors, invités à disparaître à l'approche d'âges trop 'élevés' pour le marché du travail, et ce bien que l'âge de la retraite ait été repoussé.
Le constat est donc qu'il faut avoir entre 35 et 55 ans pour pouvoir travailler en CDI et jouir de la vie tout en honorant ses factures.
Constat amer, mais réel. N'aurait-il pas fallu s'occuper du coeur du problème avant de rallonger, à juste titre, l'âge de la retraite?
Car avant de partir en retraite à 70 ans pour peut-être espérer avoir un revenu décent pour mes vieux jours, j'aimerais d'abord pouvoir travailler et être payé de manière honorable, sinon comment ferai-je pour cotiser à des niveaux acceptables pour ma vieillesse?
Travailleurs pauvres, milleuristes, deux expressions pour une seule et même réalité...