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Billet de blog 3 février 2021

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Impacts potentiels d'un vaccin covid-19 sous licence libre

Des voix se lèvent pour demande d'ouvrir le brevet du vaccin, de libérer sa propriété intellectuelle. Des acteurs de la vie publique relayer par différents médias. Cet article revient sur différentes perspectives qu'un brevet libre apporterait, que ce soit pour la production mais aussi pour l'amélioration de la qualité du vaccin.

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Avec l'arrivée du vaccin, la question de la propriété intellectuelle s'invite, avec deux solutions qui existent. De façon classique, les laboratoires pharmaceutiques gardent la propriété intellectuelle et le contrôle sur la production du vaccin. L'alternative à cette solution est la possibilité de produire un vaccin sous "licence libre", de permettre un partage du brevet pour que d'autres structures puissent exploiter cette connaissance.

Cette seconde voie est appelée par un certain nombre d'acteurs de la vie publique, dans un appel international de plus de 100 personnalités dont des Prix Nobel, des anciens présidents ou premiers ministres, mais également des politiques en France comme Jean-Luc Mélenchon, Najat Vallaud-Belkacem, Valérie Pécresse. La société Moderna, à défaut de proposer une licence libre, s'engage à ne pas poursuivre "ceux qui fabriquent des vaccins destinés à lutter contre la pandémie", ses brevets portant sur l'ARN messager se trouvant ici.

Quels sont alors les avantages d'un brevet libre et comment financer ceux qui produisent cette recherche ?

Deux techniques de vaccination

Avant de d'aller plus loin car cela a des conséquences, il est nécessaire de comprendre que le vaccin crée par Moderna et Pfizer-BioNtech utilisent une méthode de vaccination nouvelle. La méthode habituelle consiste à "injecter une forme atténuée ou inactivée d’un agent infectieux, ou certains de ses composants" [cf Futura santé]. La nouveauté avec certains vaccins contre le covid-19 est l'injection d'un ARN messager et non plus de l'agent infectieux, l'ARN correspondant à des informations génétiques au même titre que l'ADN (voir plus).

Avantages d'un vaccin à la propriété intellectuelle libre

1/ Augmentation de la production

Le plus évident des avantages est la capacité offertes à d'autres industrielles de produire eux-mêmes le vaccin, permettant de démultiplier la capacité de production. Des entreprises qui n'auraient pas pu découvrir leur propre vaccin, celles qui n'ont pas la capacité de recherche des grandes industries, des états qui mettraient en place leurs chaînes de productions, etc. Ces acteurs pourraient ainsi plus aisément participer à l'effort.

Actuellement, des acteurs tiers produisent le vaccin Moderna sur leurs propres chaînes de production, sous forme de partenariat, Recipharm en France, Lonza en Suisse. Le gouvernement indien cherche localement un moyen de produire le vaccin Moderna.

Face à la demande importante, d'autres acteurs comme Pfizer-BioNtech cherchent à coproduire leurs vaccins, par exemple avec Sanofi, mais la dépendance au laboratoire propriétaire du brevet reste entière. Aucune structure (entreprise, état, etc.) ne peut réutiliser (légalement) une solution.

> Libre d'accès ne veut pas dire facilement utilisable. Tout un transfert de connaissance et de technologie peut être nécessaire pour commencer à exploiter une solution.

2/ Amélioration continue de la qualité

Les vaccins actuels sont en train d'être éprouvés. Avec un usage plus important grâce à une production facilité, le retour d'expérience sera lui-même plus important, permettant de détecter les effets indésirables. Plus l'usage est important, plus la remontée d'erreur l'est également. Des correctifs peuvent alors être apportés pour limiter ces effets secondaires et renforcer la qualité du vaccin. Bien que cela soulève un certain nombre de questions dans ce cadre, plus une solution est testée, plus elle tend à se fiabiliser.

Avoir un vaccin sous licence libre peut permettre d'accélérer les avancées propre à ce vaccin, grâce à une recherche distribuée et la mise en place d'un processus d'innovation ouverte. Par exemple lorsqu'un effet secondaire est détecté, ce n'est plus seulement le laboratoire producteur du vaccin qui est en capacité d'apporter une solution, mais aussi tout ou une partie des autres acteurs qui produisent à leur tour le vaccin. La recherche de solution n'est plus limitée à une entreprise unique.

En dehors de la résolution de problèmes, des avancées peuvent également provenir de ces acteurs extérieurs. Une évaluation entre pairs plus importante peut avoir lieu, avec différents scientifiques qui vont consulter les brevets et proposer d'éventuels axes d'améliorations et limites. En parallèle, des expérimentations peuvent avoir lieu pour tenter de faire évoluer différents procédés, que ce soit sur les composants, la méthode de production, de stockage, etc. Les sources d'innovations seront bien plus larges grâce à un brevet ouvert, libre.

3/ Réduction des prix

Produire un vaccin sous brevet libre permet finalement la création de générique et d'empêcher le monopole d'une entreprise, ce qui devrait mécaniquement apporté une réduction des coûts. Le brevet à l'origine permet d'offrir un monopole temporaire pour sur une invention, mais les monopoles posent un certain nombre de problèmes d'ordre économique et sont contraire à une hypothétique concurrence libre et non faussée.

Financement de la recherche

Une question légitime qui se pose est le financement des entreprises qui fournissent les efforts de R&D, et quels modèles économique peuvent s'appliquer pour vivre à partir d'un brevet libre. La méthode plus classique serait que l'entreprise finance la R&D, puis se rembourse grâce au profit réalisé sur la vente du vaccin. D'autres modèles peuvent émerger.

Comme un vaccin répond à un réel besoin, différents acteurs peuvent vouloir financer la recherche et c'est ce qu'il passe aujourd'hui. Des États, des ONG, des entreprises, des particuliers, des labos plus petits, etc. vont la financer, permettant un partage des risques et une mutualisation des moyens.
Dans le cas de Moderna, la recherche a été presque exclusivement financée par le gouvernement américain.

Un changement de logique à adopter est de ne pas se rémunérer sur capture de la connaissance, avec un brevet, car elle est aujourd'hui facilement partageable avec le numérique. L'intérêt est de créer de la valeur grâce aux services et aux bien produits autour. Dans le cas de Moderna, tout un transfert d'expertise doit se réaliser pour permettre la production par des tiers, avec du service, de l'assistance qui peut être rémunéré.
Les structures qui vont vivre grâce à ce brevet en produisant à leurs tours un vaccin devraient financer le laboratoire pour lui permettre de vivre, redistribuant ainsi une part de la valeur crée.

Évolution future

La question du brevet sur les différents vaccins devrait être croissante, avec un jeu d'équilibre entre le besoin de vacciné le plus grand nombre et la volonté de rentabilité des divers industries. Avoir un brevet libre pourrait permettre d'aboutir à un vaccin de meilleur qualité, en plus grande quantité et à moindre coût. En l'état, les bénéfices des labos risque de baisser, mais pourraient aussi s'avérer supérieur en fonction de la dynamique mise en place.

Le vaccin Moderna pourrait être un début de référence pour construire ce brevet libre, mais possède au moins deux limites. Le brevet n'est pas réellement libre, ils s'engagent simplement à ne pas suivre ceux qui produiraient le vaccin, cela entraine une certaine incertitude pour ceux qui souhaiteraient se lancer sur sa production. De plus, ce vaccin utilise la technologie de l'ARN messager, qui est plus technique à maîtriser, demandant (aujourd'hui) plus d'investissement pour envisager de produire ce vaccin, avec des freins importants pour les pays en voie de développement.

Il sera intéressant de suivre l'évolution du vaccin Moderna vis-à-vis des autres vaccins à ARNm, et de voir si un vaccin fait de méthode traditionnelle libère sa propriété intellectuelle, de façon volontaire ou imposé par un État grâce à une licence d'office ou une licence obligatoire. Une grande variété de facteurs rentre en compte, mais il est probable que Moderna domine les vaccins à ARNm, et qu'un vaccin libre sans ARNm soit à moyen long terme le plus fiable et le plus utilisé des vaccins.

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