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Billet de blog 27 février 2018

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Il était une fois une maraude

C'est l'histoire d'une maraude de rêve, un peu folle, sans gloire, qui apprend avec le temps, qui fait des erreurs mais qui à chaque fois que nos vies se percutent s'en retrouvent un peu plus légère, un peu plus heureuse. C'est une histoire ou l'on ne sait plus qui doit dire merci à qui…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a les grandes théories, les grandes idées. Combien de débats avec des amis ? Combien d'heures de lecture, d’écoute à la radio, à la télé avec des philosophes, des politiques, des économistes ? Est ce que quelqu'un a raison, tort, je n'en sais plus rien. On finit par s'y perdre, se perdre. Mais à chaque fois que l'on refait le monde on se dit que c'est déjà bien, qu'on est conscient des difficultés, de la complexité des systèmes. On est rassuré de ne pas y être indifférent. Ça donne cette légère impression de se battre. Malheureusement la jolie théorie ne reste bien souvent qu'un beau discours. Au mieux en conclusion nous avons : c'est compliqué ça ne dépend pas de nous, au pire : rien. On ne réagit pas ou peu. On repousse la mise en pratique. Quand ça nous dérange, bouscule, malheureusement la force de l'habitude nous embarque vers le chemin de la lassitude. La politique, la sur-information nous écrase. On évolue avec ce poids, avec nos vies, notre quotidien. Au final, la plupart du temps, ça ne fait que nous effleurer. J'imagine qu'on en déduit qu'au fond on est pas si mal. Ca nous enferme un peu plus dans notre bulle. On retombe alors dans le cercle sans fin des grandes théories du « Il y a, il faut, il faudrait, on y peut rien, c'est la faute à ... »

On oublie peu à peu nos bases. Ce qui fait notre humanité, les liens. Pourtant ce sont bien eux, ces liens, qui peuvent nous rendre heureux, nous équilibrer. Ne cherchez plus des réponses à cette quête du bonheur très à la mode, elle est là. On le sait tous d'ailleurs. Les autres, eux, c'est nous. Ce lien qui devrait pourtant être simple, naturel, on cherche en permanence à le déconstruire en ce donnant des leçons quotidiennes. Nous savons penser, nous avons le bon raisonnement, pas eux.  Il faut voyager seul c'est mieux, il faut plaire, il faut être créatifs, il faut être visible, il faut être vindicatif mais ne pas faire de bruit, faire ceci, faire cela, penser comme ci, dire comme ça. Nous sommes juge permanent de tout de rien. Injonctions fatigantes, épuisantes. Le paradoxe, notre liberté nous enferme. Ajouter les mots pragmatisme, rationalisation, moralisation vous obtenez un cocktail bien cruel pour les humains fragiles et complexes que nous sommes. La séparation, l'indifférence devient alors fatale. 

Quand mon amie Mina m'a contacté pour me dire y'en a marre des« il faudrait » ,des « c'est la faute de », des « j'ai pas le temps » , des « c'est pas le moment », pour me dire qu'il fallait créer une maraude car il y avait de plus en plus de sans domiciles fixes, de gens en très grandes précarités qui ont faim. Qu'elle ne pouvait plus les ignorer, passer à coté sans les voir. Que ses amis Christelle et Laurence ont lancé des appels sur les réseaux la semaine dernière suite au décès d'une personne morte dans l’indifférence, que ça n’était plus possible, qu'il était temps d'agir. Quand elle m'a dit : je vais organiser une maraude, tu es avec moi ? J'ai dit oui sans même y réfléchir.

Les réseaux sociaux, un groupe sur facebook , « Carpentras solidarités » est né. L'affaire était lancée, en quelques minutes seulement. Première maraude le 24 décembre 2017.

Aucune obligation, contraintes pour faire partie des bénévoles. Tu viens quand tu peux. Voilà comment une équipe de tous bords, de tout âges, de toutes les confessions, de tous les niveaux sociaux se sont rencontrés. Nous sommes 56 aujourd’hui.

Il ne fallait pas grand-chose, ça n’était pas compliqué. Non ça ne l'était vraiment pas.

Le maire de la ville de Carpentras nous a donné un emplacement pratique, une place avec des bancs, de la lumière, La croix rouge, dont nous prenons le relais le week-end, nous envoie les personnes dans le besoin en donnant nos horaires.

Un tableau doodle sur le groupe, on s'y inscrit pour les jours ou nous pouvons nous y rendre en un clic. L'organisation est automatique et simple.

La nourriture vient des membres mais aussi des commerçants qui ont vite pris connaissance de cette initiative, c'est eux qui nous contactent. Cela permet aux cuisinières (une différente chaque semaine) de confectionner de bons repas chaud.

 Mina, mon poteau, chapka sur la tête, écharpe épaisse autour du cou et sourire aux lèvres arrive dans le froid. C'est le top départ de la soirée. Elle se charge du transport des plats, de la vaisselle. Il a très vite fallu laisser sa voiture au profit de l'utilitaire de son père. On sort 2 grandes tables de son coffre. Fatima sa maman, 69 ans, toute petite, devant des casseroles plus grandes qu'elle, sert la nourriture avec toute son énergie et sa grosse lampe frontale collée au front. Elle repère ceux qui n'osent pas demander et rempli leurs assiettes un peu plus pour leur dire : «  allez y , n'ayez pas peur. Ca va aller ». C'est un peu la maman du groupe, celle qui réchauffe les cœurs de tous, par sa bienveillance, son humour, ses sourires.  

Nous avons débarrassé nos armoires, nos dressings, de quelques pulls, vestes, pantalons, chaussures. Michèle récupère nos dons de vêtements, en remplit son coffre, et l'ouvre le soir venu comme une boutique. Des personnes sans veste, chaussures d’été au pied par 3°c sont là, à espérer trouver quelque chose. Alors Michèle au cœur serré se démène, cherche, trouve des solutions. Ne se décourage jamais. On remarquera avec le temps, qu'il fallait aussi des couvertures, des draps, des serviettes. Un appel sur les réseaux, nous voila entendu. Au fond, on a tout ce qu'il faut chez nous, il faut juste chercher un peu. Daniel un maraudeur me disait l'autre jour lors d'une distribution : « on sait ou ça va, ça fait plaisir. » Les liens se tissaient doucement.

Dans mon coffre il y a des lampes, une table de camping et ses tabourets pour que quelques uns puissent manger à table. Mais aussi des livres car j'ai une librairie gratuite. Une caisse pour les adultes (bénéficiaires et bénévoles), mais aussi pour les enfants. Quel bonheur quand je les vois lire, rire, communiquer pour dire t'as vu ça ! Ou des, « vous êtes sur , je peux prendre ce livre ? j'adore cet auteur ! » Mais oui prenez !. Mon fils de 7 ans a trié ses jouets, ses livres pour les petits bénéficieres. Quelle joie de voir leurs grands yeux si joyeux à la découverte des caisses de jeux, de les voir repartir avec sous le bras. J'avais aussi du maquillage, je l'ai distribué pour les femmes, je savais pas si j'allais me prendre un vent. J'ai eu des sourires, des confidences, une intimité, ça vous remplit en une fraction de seconde. Je vous le jure !. De nos différents voyages j'avais récupéré des kits dans les hôtels, composé d'une brosse à dents, rasoirs, savon. Des kits hygiène, que l'on distribue régulièrement.

On essaie de repérer les besoins au fur et à mesure. On s'adapte. On apprend.

Et puis il y a Myriam et tous les autres, qui parfois fatigués font le service avec le sourire et le bonheur de se sentir un peu utile. Ils écoutent, comprennent, donnent de l'affection, en reçoivent durant 1h30, 2h le soir. Ca semble peu mais c'est d'une importance capitale. Combien de fois les bénéficiaires nous ont dit que ce qui leur manquait le plus, c’était de juste parler à quelqu'un, discuter. Qu'ils voyaient tous les jours les gens plongés dans leur téléphone, que plus personne ne regardait, qu'ils se sentaient invisible. Invisible. Le mot est fort, le mot est réel, d'une grande cruauté. Qui peut survivre sans aucune affection, sans aucun geste ? Ce mot là, je vous le dis, n'est plus valable ici.

 C'était l'histoire d'une maraude de rêve, un peu folle, sans gloire, qui apprend avec le temps, qui fait des erreurs mais qui à chaque fois que nos vies se percutent s'en retrouvent un peu plus légère, un peu plus heureuse. C'est une histoire ou l'on ne sait plus qui doit dire merci à qui…

Ceci ne nous empêchera pas de nous battre, de nous questionner, d'alerter nos dirigeants pour trouver des solutions viables et pérennes sans angélisme. Mais en attendant, ces personnes là ont un peu moins faim, un peu moins froid.

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