Je me souviens.
Je n’ai pas besoin de fermer les yeux pour revoir ce film en direct.
Je suis dans la chambre de mes grands-parents maternels, que voici :

C’était un vendredi. Il faisait jour et, d’après la lumière que je revois sans cesse à travers ces vitres, ce n’était pas encore l’heure du déjeuner.
Il faisait froid. J’étais collée à la poêle à bois en faïence jaune.
Le bois était cher et le charbon sentait mauvais.
J’avais 6 ans. J’en suis certaine. Ma mère n’était pas encore remariée..
Le téléphone avait sonné. Elle avait répondu. Le récepteur à l’oreille, elle s’était retournée vers ma grand-mère et lui avait dit en russe – que je comprenais, que je comprends toujours, la moitié de mon arbre généalogique venant de Russie et/ou d’Ukraine – que Staline était mort.
Elles se sont mises à pleurer.
Je ne sais pas, en revanche, si ce grand sentiment de malaise qui m’avait submergée était venu de ma mauvaise interprétation de leurs larmes de joie ou de ma prescience de Cassandre.
Un an plus tard, mon grand-père maternel rentrera de son dernier pénitencier, de Jilava (à ne pas confondre avec la ville tchèque Jhilava) ou de Gherla, peut-être bien des travaux forcés au Canal Danube-Mer Noire.
Il m’avait souri. Dans sa bouche il restait juste quelques chicots noircis. Il avait 63 ans.