On prône un type de gestion de la crise par l’arrondissement des angles, par des stratégies d’évitement, par l’euphémisation et/ou la banalisation de la souffrance. En poussant au refoulement, ce type de gestion crée le risque d’un retour violent du refoulé non abréagi.
Que la frénésie obsessionnelle de gagner du temps soit une réponse boiteuse à l’angoisse de mort n’est plus un secret. Comme ne l’est plus le fait que l’équivalence temps = argent, « travailler plus [vite] pour gagner plus [de temps] », en tant qu’idéal de vie, quel que soit le sens du détournement métaphorique, nous a mené à l’impasse planétaire, qui ne date pas d’hier, mais dont nous prenons un peu mieux la mesure avec la crise actuelle.
Si les tentatives d’y pallier, aussi nombreuses que variées – 35 heures, tai-chi, Sloth Club ou tricot – échouent, ce n’est pas parce que le point de départ théorique est erroné.
Ces solutions restent en fait confinées dans l’infrastructure qui les appelait à la rescousse, celle du turbo-capitalisme, et finissent donc par déboucher sur le même impératif de croissance à tout prix, retrouvant toujours leur vraie raison d’être dans l’argent qu’elles apportent aux investisseurs.
Le serpent se mord encore et toujours la queue.
Une autre solution, à chercher et à installer dans la superstructure, existe pourtant. C’est l’association de la croissance culturelle à la décroissance économique inévitable.
Remettre un peu de beurre humaniste dans les assiettes globales ne serait pas du luxe.
Envisageons une approche de la maladie de la vitesse et de son corollaire, la mort, à partir du lieu où les solutions émergent d’habitude : L’ART.
Qui pourrait en être aussi le remède.
Les prémonitions des artistes sont souvent confirmées a posteriori par la science. Ces intuitions sont un mélange de rationalité et d’imaginaire.
La découverte scientifique est, elle aussi, le fruit de la rencontre de l’imagination et de la raison.
Le positivisme et ses avatars évacuent l’imaginaire, instaurent la froideur, séparent le savoir de l’émotion. Les situations de rupture et de deuil – depuis le meurtre de masse au licenciement, au déménagement forcé et même à une fin journée de travail ou de semaine – sont des situations traumatiques. Elles mobilisent les défenses sur le mode anesthésique, de désensibilisation. L’esprit se ferme à l’interrogation et à l’expérimentation.
Exil, délocalisation, divorce, licenciement, maladie, etc., sont autant d’avatars que des prémonitions de l’ultime finitude. Traiter la souffrance qu’ils engendrent à l’horizon implicite de la mort est certainement plus efficace que l’approche comportementaliste, toujours fragmentaire, ponctuelle, isolante, à laquelle se sont réduites toutes les tentatives ou presque.
Essayer de le faire par l’art et sur le modèle proposé par les œuvres n’est pas nouveau. C’est une voie perdue, oubliée, mais sûre, et qui n’a pas été encore vraiment théorisée ni expérimentée à une échelle concluante dans les lieux de socialisation. Les « critères scientifiques » d’évaluation de l’art ont vidé l’échange avec elle de son essence. On arpente les musées au pas de course, en écoutant dans l’oreillette les explications prémâchées. Et on trouve trop long un film de quatre-vingt-dix minutes.
Réapprendre à attendre qu’advienne la communion avec l’étant ineffable et pérenne qui perdure dans l’Œuvre nous élève au-dessus du contingent, relativise la perte de l’objet, parce que ce n’est qu’un objet. Récupérer ces valeurs perdues, ces affects proscrits dans l’univers techniciste qui nous entoure, rendre à tout un chacun, à l’instar des « élites », l’usage de ses outils de sublimation, c’est la vraie nature du partage.
C’est, concrètement, faire découvrir ce bonheur, rendre conscient le fait qu’il est toujours partagé, qu’il s’ouvre sur une solidarité autre que celle qui consiste à donner de l’argent pour des actions humanitaires rançon de notre culpabilité. Si on prend le temps de le connaître et reconnaître, ce bonheur se prolonge, reste dans un regard, dans le linge suspendu devant une fenêtre, dans « la plante verte sur le coin du bureau ».