Hier soir, sur mon écran, je n’avais vu que du feu. Mais ce matin, une fois la caféine ayant fait son travail, je pense à mon coiffeur. Il n’y a que lui qui trinque. (En réalité, je n’y suis plus allée depuis avant le vrai confinement d’il y a un an. Il m’avait suffit de l’épier par la vitrine pour me rappeler l’originalité du rapport à l’hygiène de mes concitoyens.)
Je me suis donc posé la question de savoir ce qui change pour moi maintenant : presque tout.
Faire mes courses, c’était déjà un calvaire. Je slalomais parmi les voitures pour éviter les démasqués pressés me bousculant sur les rues étroites, défoncées, encombrées de poubelles, de mon quartier parisien, et supportant des barrières pour travaux commencés et jamais finis. Dans le magasin où je me rendais aux heures les plus creuses, j’arrivais tout de même à jouer à cache-cache avec les masques sous le nez ou sous le menton et avec les démasqués de tous bords.
Dès demain, rues, parcs, jardins déborderont de joyeux joggeurs sur dix kilomètres à la ronde; de gosses allant et revenant de classes de sport ou de nature, avant ou après avoir mangé à la cantine l’un sur l’autre (j’ai des petits enfants que je ne vois plus à cause de ça); de salariés en pause-déjeuner prenant leur repas sur les bancs disponibles où assis sur un muret de clôture; de vélos, trottinettes, scooters et poussettes.
Et tout ça distribuant généreusement les fameuses gouttelettes.
Je ne prendrai plus l’ascenseur et fuirai mes voisins de foyer pour seniors, certains malentendants, - pour rester politiquement correcte - et dont le masque blanc, en tissu presque transparent, a pris une couleur isabelle. Eux, ils continueront à se rapprocher dangereusement pour me parler.
L’exercice d’hier soir fut un tour de magie digne du Magicien des magiciens et de son Professeur.
De plus, l’assistant ventriloque de Castex m’avait pleinement rassurée : si je l’attrape, ce méchant virus chinois, anglais, brésilien, sud-africain ou, cocorico !, naturalisé breton, je n’irai pas à l’hôpital ! On (qui, on ?) passera me voir ! « On » me fournira de quoi respirer sur place! Même des antibiotiques et autres potions magiques!
Et si, malgré tout, à la fin de l’année, je serai toujours là, je pourrai peut-être même me faire vacciner. « Me faire ». Comme si ça dépendait de moi.
Pour la bonne bouche, cette anecdote circulant sous la dictature de mes origines est-européennes :
« La corde pour se pendre, on doit se la procurer ou c’est le gouvernement qui la fournit ? »