Pourquoi dois-je avaler tout ce que j’ai mis de côté comme médoc, en risquant de ne pas mourir et de grossir les rangs des grabataires des EPHAD dignes du quart-monde ? Pourquoi dois-je mourir seule, après avoir pris toutes les précautions pour que l’on ne me retrouve pas trop tôt ?
Pourquoi ?
Au lieu de me séparer en douceur des gens que j’aime et qui peut-être m’aiment aussi, en faisant confiance à la main qui me tendrait le cachet et le verre d’eau ?
Vous n’aviez rien vu à Hiroshima, Mister President ! Moi, j’y étais, j’ai tout vu.
Dans un mouroir laïque pour classes moyennes et supérieures qui peuvent payer le prix. « Fin de vie » d’un collègue enseignant. Tout était blanc et propre. Le protagoniste, nu, plein de tuyaux et tubes. En premier plan, son cul en l’air. De temps en temps, une blouse blanche, rose ou bleue peut-être lui mouillait les lèvres avec des compresses plus ou moins stériles. À côte de la chambre, canapé, tables basses, boissons non alcoolisées, casse-croûte et causette : l’espace pour la famille, les proches et les badauds. Dans l’autre mouroir tenu par les bonne-sœurs, la mère et grand-mère d’une famille dévote de mes connaissances, sur un matelas à même le sol, est morte sous mes yeux. Ni plus chic, ni plus drôle.
Alors, pourquoi ? Pourquoi cette « consultation citoyenne » ? Il n’y a rien de plus injuste que le tirage au sort. 200 ? Sur disons, 40 millions à la louche, si on ne garde que les majeurs en possession de leurs facultés intellectuelles. Ils pourraient aussi être tous catholiques intégristes, puisque le hasard fait rarement bien les choses. Pourquoi ce cirque, vu que les derniers sondages donnent 94% de Français favorables à la légalisation de l’euthanasie ? Et si on ajoute à ça l’indigence des hôpitaux, le manque de personnel et les 7500 lits pour 200 000 personnes relevant des soins palliatifs…
Moi, Mémé-en-colère, 75 ans. Il ne me reste plus qu’un tiers de ma capacité respiratoire, preuves sur demande. Je passe des heures à tousser et cracher en remplissant mon humble logis de mouchoirs en papier et en craignant que la prochaine fois je suffoque pour de bon. C’est douloureux, épuisant. Autant que l’arthrose à l’assaut de mes dernières articulations à peu près fonctionnelles. Et ce n’est pas encore le pire. Bientôt, très bientôt, je serai aveugle : vision de 4 sur 10 d’un côté et de 2 sur 10 de l’autre, preuves à l’appui, à votre disposition.
Mais surtout, surtout, pourquoi vous acharner avec une réforme des retraites dont personne de censé ne veut, au lieu de nous donner vite le droit au suicide assisté, du moins aux 75 000 membres de l’ADMD qui, comme moi, l’attendent depuis des lustres ?
Réforme liberticide contre une liberté de plus, c’est ça votre choix ?