Mémé ne décolère toujours pas. Elle avait banni les téléphones portables depuis leur naissance. Vit seule maintenant, sort peu et ne va pas loin. Surtout depuis la pandémie.
Sauf que, la voilà mains et poings liés devant les administrations. Prendre un rendez-vous médical en ligne, contacter son assureur ou commander un livre chez son libraire préféré est chose impossible car il faut compléter la rubrique « numéro de téléphone portable », sans quoi, ça ne marche pas. Pourtant on lui avait bien demandé en même temps son adresse électronique. Parce qu’elle en a une. Elle est d’ailleurs assez performante en informatique, vu que, après avoir étrenné la première machine à écrire électronique (capable d’effacer 19 caractères !) au siège parisien d’une grande organisation mondiale, elle travaille sur ordinateur depuis 1985.
Il est vrai aussi que lire ses e-mails ne va pas de soi non plus. Sur le site de son fournisseur internet, elle doit cliquer plusieurs fois par jour sur « Découvrir plus tard », la publicité pour le dernier modèle de smartphone, si smart qu’il serait capable de la combler de bonheur.
Elle n’en veut pas pour un tas de raisons : pollueur sonore et électromagnétique, phagocyteur d’énergie, annihilateur de convivialité, etc. Mais la principale raison reste qu’elle n’en a pas besoin.
Tant qu’il n’y a pas une loi qui l’y oblige.
Il n’y en a pas.
Il s’agit donc de DISCRIMINATION.
Elle saisira de ce pas, en ligne, le Défenseur des droits.
À moins qu’il ne lui demande, lui aussi, son numéro de portable.