Le 7 mai 2025, le Conseil constitutionnel a validé, le texte voté par le Parlement durcissant les conditions d’accès à la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte de parents étrangers. Ce texte impose désormais que les deux parents soient en situation régulière depuis au moins un an, pour que leur enfant né sur le sol mahorais puisse devenir français.
Dans le reste du territoire national, aucune condition similaire n’est requise. À Paris, Lyon ou Bordeaux, un enfant peut naître de parents étrangers, sans que la nationalité des parents ni leur situation administrative ne viennent remettre en cause son droit au sol. À Mayotte, en 2025, il en va autrement.
Le Conseil constitutionnel justifie cette différence de traitement par les « caractéristiques et contraintes particulières » de Mayotte, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution. Cette décision soulève une question grave et douloureuse : peut-on, au nom de circonstances locales, vider de sa substance le principe d’égalité devant la loi ?
Peut-on admettre que, sur un territoire français, un enfant soit juridiquement différent d’un autre, uniquement parce qu’il est né sur un territoire frappé par la pauvreté, la crise migratoire et l’indifférence d’État ?
Cette loi ne réglera rien. Soyons clairs. Cette réforme ne freinera pas l’immigration clandestine. Elle n’apportera ni solution durable, ni apaisement. Elle ne s’attaque ni aux causes structurelles de l’exode, ni à la complexité des réalités sociales sur place. Ce qu’elle fera, en revanche, c’est multiplier les enfants sans statut, sans droits, sans avenir. Des enfants nés ici, qui grandissent ici, mais qui, à 16 ans, peuvent être expulsés. Des jeunes bloqués dans leurs études, exclus des bourses, de l’administration, de la mobilité, et bientôt de la République elle-même.
Quel avenir construit-on ainsi ?
Ce qu’elle fera, c’est laisser des centaines d’enfants sans espoir. Elle va enfermer des adolescents dans un entre-deux juridique. Trop Français pour être renvoyés, pas assez pour être reconnus. À 13 ans, certains sont déjà expulsés tout en étant scolarisés. D’autres vivent dans la peur constante.
J’écris aussi pour ceux qu’on n’entend pas. Pour ces enfants et ces adolescents nés à Mayotte, privés d’une reconnaissance légitime, parce que leurs parents n’avaient pas les “bons” papiers au “bon” moment. Je parle en leur nom, parce qu’ils grandissent dans l’ombre, dans l’incertitude, parfois dans la peur.
Mais je pense aussi à ces étudiants sans papiers, brillants, déterminés, mais bloqués dans leur parcours, empêchés de s’inscrire, de bénéficier d’une bourse, de passer un concours ou même de se projeter. Ce durcissement du droit du sol ne les aidera pas. Il les exclura encore davantage. Et moi, à ma place, avec mes mots, je refuse de me taire. Parce qu’eux aussi sont la jeunesse de ce pays. Parce qu’eux aussi méritent d’avoir une chance.
Témoin directe de ces réalités. Et je suis profondément heurtée. Ce texte, validé par les Sages, est selon moi une faute. Une faute juridique, car il viole l’égalité. Une faute politique, car il cible une population sans traiter les causes. Une faute morale, car il sacrifie des enfants pour satisfaire des exigences politiques.
Je ne crois pas que cette décision soit purement juridique. Je pense qu’elle est marquée par des considérations extra-juridiques et idéologiques, contraires à l’esprit de notre Constitution.
L’égalité républicaine ne doit pas s’arrêter aux frontières de l’océan Indien.
Mayotte n’est pas un laboratoire. C’est la France. Et elle mérite d’être traitée avec la même exigence de droit, de justice, et de dignité.
Il y a dans cette décision une forme d’oubli institutionnalisé. Un abandon maquillé sous des termes juridiques. Une manière de dire, implicitement : “Ces enfants-là ne méritent pas la même République.”
Cette décision me laisse un goût amer. Une fatigue silencieuse. Une peine qu’on n’ose pas toujours nommer. Il ne s’agit plus seulement de droit ou de Constitution. Il s’agit d’enfants. D’adolescents. D’êtres humains à qui l’on refuse l’accès aux droits fondamentaux, non pas à cause de leurs actes, mais à cause de leurs origines. À cause de leurs parents. À cause du lieu de leur naissance.
C’est peut-être une victoire pour certains, une stratégie pour d’autres. Je comprends la cause de certains, j’affirme ici sans prise de position que je suis contre l’injustice. Contre l’idée qu’à Mayotte, territoire de la République, les droits puissent être rognés, réduits, suspendus. Mayotte est trop souvent perçue comme un laboratoire d’exception. Mais ce n’est pas un territoire d’expérimentation juridique : c’est la France.
Mais pour moi, c’est un recul du droit, une blessure profonde pour l’idéal républicain.
L’égalité ne peut pas être variable. Elle ne peut pas dépendre d’un code postal. Elle ne peut pas céder, même sous la pression du contexte.
Mayotte est une terre française. Et la République ne devrait jamais y être moins républicaine qu’ailleurs.
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/2025881DC.htm