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Billet de blog 6 mai 2015

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Chronique d'anti-Tartuffes II

MOTS CLES: FALSOS POSITIVOS, ALVARO URIBE VELEZ, PARAMILITARISME, GUERRILLA, JAIME VIDES, LILIANA HERNANDEZ MONTES, TRAFFIC D'ARMES, CORRUPTION, CORRUPCION, CRIMENES POLITICOS, CRIME POLITIQUE

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Entamons donc la suite de cette chronique : l'interview avec le deuxième personnage me rappelle que parfois pour réussir sa vie, on oublie que des milliers d'anonymes ratent leur mort. Le récit du journaliste de Telecaribe, Jaime Vides Feria, nous montre qu'il y a des psychopathes qui cherchent à faire de leur vie un chef d'oeuvre en faisant de celles des autres un chaos. Le plus désolant est de constater que leurs sympathisants ont pour vocation à participer à leur projet existentiel. Projet qui consiste à se débarrasser de celui qui ne plait pas ou a le courage de penser différemment, et pas comme un mouton.
Revenons en arrière, les médias colombiens narrent de façon fictive ce qui s’est passé et ce qui se passe.  Le  18  avril 1997, Carlos Castaño  Gil,  ancien  guide  de l’Armée nationale, fonde avec les commandants des groupes paramilitaires du   pays, les Autodéfenses Unies de Colombia  (AUC). Selon Castaño  Gil et Salvatore Mancuso  Gomez,  la narcoparamilicia s'est introduite au coeur de l'Etat ; ils déclarèrent contrôler des  sièges au Congrès colombien, et des élus du Parlement ont reçu leur soutien. Le 15 juillet 2003, cependant, le gouvernement  et  les  AUC  signèrent  l’accord de "Santafé de Ralito"   marquant un cessez-le-feu censé démobiliser des milliers de combattants de ces groupes. A ce jour on dénombre encore plus  de 800 groupes paramilitaires dispersés appelés "bacrim". Les parlementaires des zones concernées ont été soutenus par Alvaro Uribe Velez, opportunément favorable à la démobilisation des paramilitaires militaire et influençant  le vote par diverses stratégies illicites.
Entre 2002 et 2006 des milliers d'homicides sont imputables à la violence sociopolitique. D'après le CIP (Centre for International Policy)  les paramilitaires  sont responsables  de    plus  de 60% de ces assassinats, responsables de 3,5 millions de déplacés  par  la  guerre alors que 25% sont attribuables aux guérillas.  Les  paramilitaires sont ainsi  les  principaux  artisans  de  la  plus grave crise humanitaire du continent Américain  par la quantité  et par la brutalité des méthodes employées. Mais peu de monde s'exprime sur ce sujet et si vous osez le faire, vos jours peuvent être comptés. Il m'est arrivé de dire à des "hauts fonctionnaires" la vérité en face pour m'entendre dire que j'étais "déplaisante".
Ce que vous allez lire dans le récit de Vives Ferias  montre que dans cette république bananière, les intérêts de certains politiciens, des  paramilitaires  et  des élites économiques régionales  convergent dans  la  lutte contre les guérillas. Ces intérêts communs leur ont permis de trouver une entente sur le plan politique également. Les AUC cherchaient à "légaliser" les fortunes réalisées, appuyés par des politiciens locaux et régionaux, se situant à contre-courant des efforts de démocratisation venus du pouvoir central.
Dans les grandes lignes, voici la genèse de l'insécurité dans la sécurité :


 JAIME VIDES :  L’insécurité de la sécurité consiste en la capture arbitraire, par les forces militaires du gouvernement d’Alvaro Uribe Velez, de paysans de Los Montes de Maria dans le département de Sucre, en les accusant d’être des guérilleros ou de de collaborer avec la guérilla. Conformément à son programme, Uribe Velez a mis en place ce type de politique sécuritaire en Colombie qui a fait parfois peser une insécurité juridique sur la communauté, dans la mesure où cette dernière vivait extrêmement nerveuse quand les troupes venaient, car les gens pensaient qu’on venait tous les chercher; ainsi le Gouvernement a semé la terreur à Los Montes de Maria. C’est pour cela que je l’appelle l’insécurité de la sécurité : le Gouvernement qui incarnait la sécurité, générait en fait de l’insécurité.


RUBY: Pourquoi à Los Montes de Maria ?


JAIME VIDES: Parce que dans cette région il y avait deux groupes de guérilleros, les fronts 35 et 37 des FARC; alors puisque pour Monsieur Alvaro Uribe tout ce qui était de gauche ou qui allait à l’encontre de son gouvernement et de ses pensées était de nature terroriste,  il imaginait que tous les gens qui vivaient  autour de Los Montes de Maria étaient des terroristes. Il a même réussi à mettre derrière les barreaux beaucoup de personnes, parmi lesquelles 87% ont été libérées parce qu’il n’y avait pas de preuves (armes ou documents) qui les accablaient ou mettaient en évidence un lien avec la guérilla.
La situation était difficile pour la plupart d’entre eux par manque de moyens pour payer  un avocat. Pour sortir après 14/15 mois, voire 2 ans de prison, ils ont souvent été contraints de vendre leurs parcelles, leurs animaux, leurs cultures y compris les récoltes, pour payer les avocats et être libérés. Beaucoup étaient brisés, certains n’ont pas pu retrouver leur foyer car les femmes et enfants avaient dû partir dans d’autres villes pour travailler et survivre.
A ce moment, les Droits Humains se sont insurgés contre ces pratiques, en cherchant à mobiliser l’opinion. Au niveau national, pas mal de guérilleros ont été capturés. La Justice a été saisie, mais elle avance lentement. Un juge a toutefois déjà considéré qu’il y avait eu violation des Droits Humains. Les paysans fuyaient massivement. Les Droits Humains ont dénoncé publiquement le fait qu’il y avait une persécution contre les paysans de Montes  de Maria à charge d’Uribe Velez. Il a été démontré que beaucoup des personnes arrêtées étaient innocentes, et que les capturés, présumés guérilleros, étaient en réalité d’humbles paysans.
A ce jour ces groupes de guérilleros ne combattent plus; il y a un gouvernement qui tend à penser "différemment". L’armée ne va donc plus persécuter les paysans, ni entasser comme des cochons pour les amener jusqu’à Sincelejo. Uribe Velez a quelques procès pour avoir privé les citoyens de leur liberté, sans aucune raison. Un jour il devra répondre. De la même façon qu’il a assassiné 2800 jeunes de façon extra-judiciaire (falsos positivos), c’est-à-dire 2800 civils.
Il s’agissait d’une stratégie: il donnait l’ordre aux commandants de brigades ou de bataillon et aux forces auxiliaires. On leur donnait l’ordre d’aller prendre ces personnes, de les assassiner et de les habiller, de les faire passer pour des guérilleros. Et cela était une pratique courante: dans le département de Sucre un Colonel a tué 50 personnes; il est en prison mais il n’y a pas eu de réparation des victimes.
Je suis journaliste mais être journaliste en Colombie est très dangereux. Ils en ont assassiné pas mal au cours des dernières années. C’est un chiffre très important pour un pays qui se dit démocratique...En Colombie au cours des 15 dernières années, 250 journalistes ont été assassinés ce qui indique qu’il n’y a pas de garantie pour exercer ce métier. Il y a beaucoup de compagnons qui tombent sous les balles.


RUBY: Journalisme ou  60 ans d’espionnage des journalistes depuis le début de la guerre, La Violencia?


JAIME VIDES: Il n’y a pas de liberté, beaucoup de journalistes étaient "chuzados" c’est-à-dire qu’on surveillait leurs conversations. Le processus de surveillance des journalistes, des dirigeants politiques et de tous les opposants, du gouvernement d’Uribe Velez était en place.
En 2009, Juan Manuel Santos qui était Ministre de la Défense, a admis qu’il y avait des interventions visant ces personnes. Alvaro Uribe Velez condamne ces procédures en obligeant les Directeurs de la Police et de la Centrale d’intelligence à la démission, alors que c’est lui-même qui a monté ce système!! C’est un secret pour personne que Uribe Velez est capable de dire des choses irresponsables, d’accuser tel ou tel Directeur, alors qu’on sait que les responsabilités d’Uribe Velez sont évidentes. Ce sont les ordres du premier mandataire. Il est responsable de ce qui arrive à n’importe quel citoyen sur le plan de la sécurité.
Il y a beaucoup de journalistes et de défenseurs des droits humains menacés ; le pouvoir des média n’est pas d’informer, mais de reporter.La plupart des gens qui défendent les droits humains sont persécutés. Une grande partie a dû partir à l’étranger. Ceux qui restent prennent des précautions, que l’on appelle "autocensure". Si on ne s’autocensure pas on ne survit pas. Mais quand on applique l’autocensure, il n’y a pas de garantie pour exercer notre métier de façon correcte.
L’auto censure est une façon de survivre dans un pays où il n’y a pas de liberté d’expression. L’impartialité d’un pays consumériste et capitaliste est très difficile; la Colombie est un pays consumériste et capitaliste, c’est-à-dire qu’ici tout dépend du capital. Par exemple les médias sont aux mains du Président et des capitalistes.
La plupart des politiciens sont propriétaires de tous les média. Alors arriver à être impartial au milieu de cela est très compliqué. Le parti libéral a son groupe de radio, le parti conservateur a son groupe, et chacun d’eux manipule l’information ; il y a des groupes économiques tels que le groupe Santo Domingo, ou le groupe Ardilla Lulle propriétaire de RCN, et tous accommodent l’information. Ici on doit se soumettre à la théorie des grands "capos" économiques et politiques. Pour donner un exemple, dans la capitale du département de Sucre, la télé est de Alvaro Garcia Romero, même si Garcia est en prison (ndRuby : il faut noter que pour ces "capos" les conditions de la prison à Bogotà sont tellement "mauvaises" que les gens l'appelle "Hotel La Picota"). Il reste propriétaire des médias. Le fait d’être en prison ne l’empêche pas d’être propriétaire d’une télévision. Et le Méridien du Sud qui appartenait à Salvatore Mancuso Gomez,  un personnage connu pour para-militarisme et narcotrafic.
On entend que la loi "Justice et Paix" n’est ni la justice ni la paix, que c'est un chemin vers l’impunité et apparament la première marche vers un processus de paix. Chercher la vérité et la justice n’est pas facile au milieu de la violence qu’on est en train de vivre, mais c’est une première étape vers la paix. Ce processus de paix a été mal initié parce qu’Uribe Velez a extradé les dirigeants de l’AUC. Il les a extradés aux USA parce qu’ils ont commencé à parler plus que prévu et on voyait qu’Uribe Velez était très impliqué… De là-bas ils continuent à dire des vérités. Le protagoniste de cette violation de la loi, c’est le Gouvernement. Il n’aurait pas dû les extrader, il aurait dû les garder en Colombie.


RUBY: Cette extradition de 14 paramilitaires, on se demande avec l'aide de qui...


JAIME VIDES: Ils sont en train d’être jugés pour trafic de drogues aux USA, alors qu’ils auraient dû être jugés en Colombie pour crime contre l’humanité. Il faut comprendre les Colombiens : cela fait plus de 60 ans qu’ils subissent une guerre. Ils doivent recevoir le pardon des acteurs de la guerre. C’est-à-dire que si on veut avoir un pays en paix, on doit accepter que les guérilleros n’aillent pas en prison et que les paras paient un faible prix. C’est-à-dire qu’on peut préférer un Mancuso Gomez sénateur plutôt qu’un Mancuso Gomez en train de couper des têtes avec une tronçonneuse.
Il faut savoir que la corruption fait partie de la décomposition de la Colombie mais par exemple tu es une victime, on a tué ton frère, tout comme moi qui a perdu un frère et deux neveux. Notre famille a été brisée par un conflit opposant la guérilla et les paramilitaires. J’ai beaucoup souffert mais j’ai été forcé de pardonner. Il faut donner une chance à la paix, et comment est-ce qu’on la donne ? C’est en acceptant. Dans une négociation, personne ne s’assoit autour de la table pour perdre; le propre de la négociation est de trouver un compromis. C’est comme quand on fait du commerce: quand on perd, on ferme. Si le business est mauvais il y a de graves conséquences. Et cela s’applique à la politique sociale. Si la guérilla négocie mal, le processus de paix est mauvais. Voilà les conséquences qu’on a.
 C’est pour cela que Cesar Gaviria est en train de proposer une loi pour qu’on pardonne non seulement aux guérilleros, mais aussi aux militaires qui ont participé au conflit, à ceux qui ont financé la guerre (paramilitaires et guérilla) ;  tous ceux qui ont fait partie du conflit armé doivent être pardonnés pour qu’on aboutisse à la paix. Si on le fait pour la guérilla, il faut en faire autant avec les forces armées.
Personne ne peut perdre dans un processus de paix. Je crois que les négociations de la Havane représentent un espoir pour mettre fin à ce conflit. En 60 ans de guerre, on n’était jamais allé aussi loin dans des négociations de paix avec la guérilla la plus ancienne d’Amérique et la plus nombreuse. Sur les 5 points faisant l’objet de la négociation, 3 ont déjà été approuvés et je pense qu’on est au bout du processus qui permettra de signer la paix. Les USA ont envoyé des représentants à La Havane pour qu’ils surveillent, ce qui veut dire que les USA nous supervisent et sont d’accord sur le processus de paix ; ils sont disposés à appuyer le gouvernement dans le conflit pour la réparation. Même le Pape Francisco et l’église catholique : tout le monde appuie le processus de paix,  sauf Uribe Velez, qui est le seul à être intéressé pour continuer la guerre.
L’enjeu est de signer la paix car Uribe Velez dit que cela ne s’est jamais réalisé en 50 ans. Cela signifie beaucoup plus de morts, de disparus, de déplacés, de pauvres; si on signe le processus de paix, alors le gouvernement ne dépensera pas 25 milliards de pesos dans la guerre et cet argent servira pour l’éducation, pour la production agricole, l’alimentation, pour que le pays puisse se développer. Le pays n’a pas pu avancer à cause du conflit.
Un exemple pour l'Amérique du Sud est l’Equateur qui est petit, qui n’a pas ce genre de conflit, et qui est en train de progresser; ils ont la meilleure infrastructure routière d'Amérique du Sud. Pour beaucoup de raisons, c’est fondamental de trouver la paix.
Plus de 200 personnes représentant les victimes sont allées à La Havane, il y a quelques journalistes, des paysans, tous les secteurs sociaux victimes, pour parler et établir les modalités des réparations. Pour que l’Etat reconnaisse ses victimes. Malheureusement cela ne va pas faire revenir nos victimes...
A mon avis les paras ont pris ce nom pour défendre des communautés en parallèle, mais dans la pratique  ils étaient contre la guérilla; la région de Sucre n’a jamais connu d’affrontement entre AUC et la guérilla. Ils ont tué des mototaxis par exemple, des conducteurs, des paysans, avec pour objectif de voler leur terrain ou leur bétail; les membres de l’AUC ne défendaient plus les communautés, mais avaient des activités relevant de la délinquance avec l’aval des forces militaires.
Alvaro Uribe Velez en offrant l'impunité aux paras, a accompli sa vengeance personnelle; d’après ce qu’on dit, la guérilla aurait tué quelqu’un de sa famille; alors il a créé un groupe de paras pour se défendre et défendre ses biens. Mais il n’a pas pu maîtriser cela, et à la fin, les AUC sont devenus des délinquants de droit commun armés et protégés par les forces militaires; quand je dis ça je me base sur beaucoup de cas et je me réfère à des militaires qui ont été condamnés ou dont le procès est en cours pour avoir collaborer avec des paramilitaires dans des actions de massacres, de déplacement de population, d’homicides et de délinquance.
On ne peut pas imaginer le mal qu’ils ont fait à l’humanité. Il n’y a personne qui peut donner un chiffre exact du nombre de disparus, de gens assassinés, de déplacés...Cela fait de la Colombie le deuxième pays au monde pour le nombre de déplacés.
La violence de ce conflit est telle que la réalité dépasse la fiction et dis-toi qu’un groupe de personnes armées jusqu’aux dents peut arriver et tuer 50 personnes en un seul endroit, mettre une bombe dans une maison, tuer des enfants ; c’est une dégénérescence du conflit, c’est le produit de la guerre interne que nous vivons et que, je ne sais pas pourquoi, on n’a toujours pas baptisé "guerre civile", cela fait plus de 50 ans que cela dure; c’est pour cela que je dis qu’il faut en finir avec cela.


RUBY: C'est dégoutant et désolant...


JAIME VIDES: Nous les Colombiens ne demandons pas qu’on nous regarde comme des enfants de cœur, alors que nous avons un conflit qui génère plein d’atrocités...


RUBY: ll semblerait donc qu'un vent d'espoir souffle même dans le coeur de ceux qui ont été victimes du régime et de la décade la plus sanguinaire d'un psychopathe déguisé en mandataire. La plupart des citoyens attendent une évolution significative pour transcender l'état de guerre ou de haine. Une attente très forte est suscitée par l'élection d'hommes nouveaux dans la circonscription de Bogotá  tel que Ivan Cepeda Castro, qui représente un mouvement de Victimes de crimes d'État ; elle soulève un espoir immense dans la façon de vivre la politique en Colombie.  La jeunesse fortement influencée  par les technologies et le libre marché de l'empire consumériste, ne devra donc pas oublier que les seul biens intangibles ce sont ceux qui sont cumulés dans le cerveau et dans le cœur, et que quand ils manquent, aucun trésor ne peut s'y substituer....aucun.

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