J'ai fini mon triptyque avec des notes plus "fluides", tout en étant graves, pour donner au lecteur un aperçu ahurissant de l'actualité du narco-état . Croire que la morale et l'intégrité tiennent à l'éducation et au statut social, c'est en faire bien peu de cas. J'ai entendu dire un jour que seule la vérité était drôle; j'essaie de voir un brin de drôlerie dans cette chronique et en la relisant, je me souviens de "Tintin et les Picaros". Je me dis qu'Hergé a dû connaitre la Colombie...mon dernier personnage anti-Tartuffe, est un journaliste du quotidien El Tiempo et son nom est Yesid Lancheros. Sa plume m'a toujours attiré surtout lorsqu'il s'est mis à parler d'un des casses le plus important de l'état bananier. Le casse s'est passé à Bogota même. Des Picaros, aidés par d'autres Picaros, ont réussi à voler des milliards de pesitos. Certains de ces participants seront des protagonistes de mes prochains écrits. Avant d'écouter le récit sur les Picaros, je dois rappeler ce qu'étaient les Cooperativas de Seguridad Rural (Convivir), que l'on peut traduire par "Services communautaires de vigilance et de sécurité privée", établis par le Ministère de la Défense, afin de contrer les activités de la guérilla. En 1994 la Colombie a sorti un décret qui a autorisé leur création, l'objectif étant de contrôler et d'assurer la sécurité privée aux membres des coopératives et des propriétaires terriens. Ils font l'objet d'un débat public, certains assimilant ce décret à la loi des temps antérieurs à la Violencia, comme mentionné dans ma première chronique "anti-Tartuffe I". Álvaro Uribe Velez, alors gouverneur du département d'Antoquia, a attiré l'attention en soutenant ouvertement les Convivir 2. Ces groupes violent regulièrement les Droits de l'Homme. On a déjà exposé à peu près comment les politiciens étaient ou sont encore au service du paramilitarisme. Beaucoup de maires et de députés du département de Sucre ont appuyé le Bloc de paramilitaires appelé" Héroes de los Montes de María". Il a été démontré qu'un pourcentage de contrats officiels dans ce département étaient supervisés par les" autodéfenses". Et c'est dans cette région que les Picaros sont à l'origine d'un tsunami de corruption publique et privée, associant leurs familles et leurs amis, des gens "biens" de Sincelejo. La même année, l'ex-gouverneur de Sucre Miguel Nule Amín forma avec ses trois enfants Viviana, Miguel y Manuel Nule Velilla, une entreprise appelée "Inversiones Santa Helena" pour se consacrer au business de l'immobilier. Puis, elle est devenue "MNV Construcciones Ltda". L'entreprise était initialement dirigée par Miguel et Manuel Nule, leur cousin Guido Nule Marino n'étant venu qu'après.
Il est certain que les cousins Miguel, Manuel y Guido Nule, sans quitter leur département, avaient amassé une solide fortune au bout de quatre ans.
Aujourd'hui ils habitent à l'Hotel La Picota (c'est à dire la prison de Bogota) à cause du scandale appelé "le carrousel des contrats" à Bogotá ; le système de fraude était tellement vaste et important qu'il a démarré dans le département de Sucre, est passé par la Côte Atlantique, traversant toute la Colombie jusqu'à avoir des ramifications internationales.
Ecoutons ce que Yesid Lancheros a à dire sur les Picaros du carrousel des contrats de Bogota...
YESID LANCHEROS: Dans l’année 2010 le maire de Bogota était Samuel Moreno Rojas, du Pole Démocratique, un parti de gauche et son mandat dura de 2008 à 2012. Il a été commissionné dans le cadre de travaux qui ont consisté à construire le tronçon du Transmilenio, qui est un système de transport en commun à travers une rue très importante à Bogota, la Calle 26, la voie qui connecte le centre de la ville à l’aéroport. Elle était connue comme étant la voie la plus emblématique de Bogota. Et ce travail a été adjugé en 2007 à un groupe de promoteurs cousins originaires de la côte atlantique, les cousins Nule : Manuel, Miguel et Guido. Ils avaient un groupe d’entreprises en contrat avec l’état qui avaient beaucoup d’influence, connu sous le nom de Groupe Nule.
En 2010, El Tiempo a découvert que la construction du tronçon du Transmilenio de la Calle 26 présentait un retard très préoccupant et grave. Il aurait dû être livré en juin de cette année-là; il a été livré deux ans après, en 2012. En janvier 2010, El Tiempo a fait éclater le scandale car les travaux les plus importants de Bogota n’allaient pas être livrés aux citoyens du fait de la mise en faillite des promoteurs. Le chantier s’est arrêté totalement ; imaginez la Calle 26 : vous pouvez voir sur Google son importance. Ce fut le premier tour de ce qui allait s’appeler le "Carrusel de contrataciones" . Cela a été la première dénonciation qui a été faite. En juin de la même année, Caracol Radio, une des chaines de radio la plus importante de Colombie, a publié des enregistrements audio des collaborateurs du groupe Nule avec des politiciens, dans lesquels ils parlaient de paiements de commissions et de pots de vins.
Les promoteurs Nule ont compromis de hauts fonctionnaires de la mairie de Bogota. Pour l’adjudication de travaux, par la suite en novembre 2010, El Tiempo révèle une nouvelle aggravation où on ne parle pas seulement de commissionnements aux fonctionnaires de l’état, mais on mentionne également le nom de celui qui était maire, Samuel Moreno Rojas, et de son frère, le Sénateur de la République Ivan Moreno Rojas. Tous les deux sont actuellement à "l'Hotel La Picota".
Puis, Gustavo Petro, l’actuel maire Bogota, qui a été un Sénateur brillant pour dénoncer toutes sortes de corruption, de connivences et de violences de paramilitaires avec les politiciens, a dénoncé le fait qu’à Bogota il y avait des cartels de promoteurs, qui corrompaient les fonctionnaires pour qu’on leur donne les contrats publics. C'est pour cela qu'on l’appelle "carrusel", cela veut dire qu’à Bogota, on avait découvert l’existence d’une Mafia de promoteurs qui corrompaient les fonctionnaires pour avoir les contrats; pour cela ont été envoyés en prison, je répète, le maire de Bogota, son frère, les promoteurs, quelques ex-congressistes, et des fonctionnaires de l’administration du District à l’époque des Nule.
A la fin, cela été le plus grand scandale, non seulement de Bogota, mais également de Colombie. La polémique a démarré dans les milieux de la communication, mais c’est Petro qui a montré des faits et une information très structurée ; c’est lui qui a montré comment opérait le cartel. La dénonciation a été quand même faite par les médias El Tiempo et Caracol Radio. En octobre Gustavo Petro a présenté une lettre où il met en évidence les intérêts des promoteurs de la ville qui étaient corrompus.
Gustavo Petro est arrivé Maire de Bogota grâce à cette dénonciation. Il faut lui donner le crédit d’avoir structurer la dénonciation également. Dans le passé il avait déjà dénoncé beaucoup de choses très graves et bien sûr, c’est une des personnes la plus menacée de Colombie. C’est le maire de la ville et il est du même parti que ceux qui étaient dans le casse, c’est-à-dire le Pole démocratique. Il a dénoncé ces irrégularités et il a rompu avec son parti.
Les pertes attribuées à l’état sont évaluées à 2 milliards de pesos; une bonne partie des investigations est centrée sur le fait de savoir où est parti l’argent. Bien sûr, une grande part de cette argent a fini lavée aux USA, dans des investissements immobiliers, dans des comptes en Suisse, des comptes à l’étranger, à travers des prêtes noms, ce qui a fait qu’il est devenu très difficile de récupérer tout ce qu’ils ont volé. Et ce que l’Etat a récupéré est quasiment nul. Les gens qui ont fait ça, particulièrement les Nule, sont privés de liberté ...avec certains privilèges.
RUBY: Quel grand business! tu voles l’Etat, ensuite tu vas à l’Hotel La Picota, ils gardent l’argent et en sortant ils profitent, comme les Pieds Nickelés, de cet argent volé à l’Etat. Le narco-état est incapable, ou n’est pas en capacité et entrainé pour détecter où sont allées ces ressources...
YESID LANCHEROS: Ce carussel était tellement sophistiqué que cela a été très difficile pour la Justice d’établir comment a été volé tout l’argent. Il y a quand même certains procès qui vont permettre de confisquer les biens qui ont été acquis avec cet argent. Mais cela est très difficile. De toute façon quand il y a des comptes en Suisse ou des investissements dans des actions aux USA sans que personne ne sache où ils sont, c’est presque impossible de faire la lumière.
Ce sont des délinquants professionnels. La Justice en Colombie est totalement paralytique parce qu’il y a un niveau d’impunité alarmant. Et quant au Transmilénio, il s’est finalement construit avec un surcout de 500.000.000 de pesos.
RUBY: Combien des gens sont incriminés dans le casse?
YESID LANCHEROS: Plus de 50 personnes ont été impliquées. Beaucoups d'avocats. En Colombie il y a un tribunal qui régule l’exercice des avocats : le conseil supérieur de la "judicatura". Par exemple on a imposé des sanctions éthiques à l’encontre d’Alvaro Davila , on lui a retiré sa carte professionnelle et presque tous les avocats qui ont été mêlés à cette affaire devraient connaître le même sort. Mais les investigations sur le carrusel ont été très lentes.
Alvaro Uribe Velez fait l'objet de certaines investigations qui sont pendantes devant la Commission d’Accusation ; à un moment on a parlé de Fédérations Publiques qui soutenaient ces gens, connues d’Uribe, mais rien est arrivé. Il n’y a pas eu d’enquête. L’objet du scandale était le Transmilénio...
RUBY : Yesid me demande une faveur et c'est de faire très attention avec ce qu'il me dit, il veut pas avoir de problèmes pourtant je ne fais que transcrire fidèlement tout en sachant que la liberté d'expression n'existe pas dans la république bananière; donc ce sujet qui parle d'un grand casse contre l'Etat, est quelque chose de très gros et est un sujet très délicat.
En étant née en haut mais après avoir beacupup roulé sa bosse, être au top est vraiment relatif et parfois grande chose, on peut éprouver une certaine ivresse à regarder en bas sans avoir peur des plaines; mais ce qui est beau est de tout avoir connue sans se trahir, ce sentiment là ne peut pas être éprouvé par ceux qui arrivent en haut et qui sont nés en haut et comportent comme des parvenus ou "nouveau riches". A la fin de l'histoire de ce grand casse, au moins les Nule n'auront pas appris la leçon de se presenter et être , c'est à dire être. Et dans cela nous avons une petite liste de coquines a révéler...comme l'exemple d'une avocate qui a carrément volé plus d'un millon d'euros et a éclaboussé de malheur toute une famille. Elle fera l'objet des mes ChroniquEs pro-TrissotinE.
N'empêche que ce seront toujours des Picaros, mais attention, des Picaros avec un bon nom...bienvenue au royame des caricatures animant un nouveau temple du Soleil. Hergé en rêverait...