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Billet de blog 1 avril 2022

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IMPACT - Récits de violences policières

Ce dimanche 3 avril, une marche organisée par le collectif "Les mutilés pour l'exemple" débutera à 14h place de la république à Paris. A cette occasion, retour sur 3 histoires de mutilations causées par les armes et les politiques de maintien de l'ordre ces dernières années.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

IMPACT est un travail d'enquête documentaire sur l'impact de violences policières sur les corps et les vies. Ce sont des récits de reconstruction, de combat des corps et des esprits pour réapprendre, parfois se retrouver, souvent se réécrire. Ce sont aussi des histoires de déni, d’invisibilisation et d’inlassables combats judiciaires.

Série composée de photographies, de textes et de témoignages sonores. Ces 3 portraits en sont un extrait, d'autres histoires sont à découvrir :

POUR DECOUVRIR LA SERIE PHOTOGRAPHIQUE COMPLETE : CLIQUEZ ICI

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Illustration 1
Gwendal © Rudy BURBANT

2019 - Gwendal est Gilet Jaune de la première heure, motivé par les revendications de justice sociale, fiscale et pour le climat, il est marqué par la diversité des profils des personnes qui se retrouvent dans cette lutte, mobilisés samedi après samedi sur les ronds-points de Quimperlé et en manifestations.

Le 19 Janvier 2019, Gwendal arrive à Rennes à 4h du matin où il rejoint, avec des compagnons de manifestations, un «QG» local des Gilets Jaunes. Ils se rendent ensuite à pied dans le centre-ville où la manifestation a lieu dans une ambiance bon enfant, à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre pour tenter d’atteindre leur objectif local du jour : la place du Parlement de Bretagne, lieu symbolique, qu’ils arrivent à atteindre en cortège vers 16h.

Dès cet instant-là, il sent que l’humeur change du côté des forces de l’ordre et la situation se tend. Gwendal arrive à s’extraire de la place avec ses deux compagnons juste avant que les Gilets Jaunes y soient nassés et noyés de Gaz lacrymogènes.

Ils s’étaient fixés de quitter la manifestation à 18h pile pour ne pas rentrer trop tardivement chez eux, du côté de Quimperlé.

Ils déambulent dans les rues, et c’est peu de temps avant 18h qu’ils tombent sur un blessé « scalpé » par un tir de LBD, une entaille sur le crâne, celui-ci est pris en charge par des Street Medics et Gwendal se joint à un cordon autour du blessé pour le protéger des personnes qui filment et des éventuels jets de gaz lacrymogènes, afin qu’il puisse recevoir les premiers soins en attendant les secours.

Les pompiers récupèrent le blessé et le cordon se disperse, Gwendal remonte tranquillement la rue pour rejoindre ses deux compagnons et quitter la manifestation. C’est à cet instant là qu’une grenade atterrit à quelques mètres derrière lui et explose. Gwendal s’écroule, hurle, son corps se débat de douleur.

Il se souvient qu’il marchait dos aux policiers et qu’il s’est retourné lorsqu’il a entendu le bruit d’un objet tombant au sol derrière lui, il voit alors cette grenade exploser.

L’impact serait donc dû à un palet ou fragment d’une grenade de désencerclement. Ces grenades doivent être normalement utilisées en situations extrêmes.

Pourtant, c’est ce choix d’arme qui est fait par la police à cet instant. Sur une vidéo filmée par un témoin on distingue qu’elle est lancée au milieu de manifestants dispersés qui sont en train de reculer.

Illustration 2
Lunettes de Gwendal © Rudy BURBANT

Son globe oculaire et une partie de son œil ont été sauvés lors de l’intervention chirurgicale mais Gwendal a perdu beaucoup de matière et sa rétine est détruite. Sa vision est donc nulle.

Le diamètre de son œil droit intact mesure 2,2 cm. Celui de son œil gauche mesurait 1,6 cm lors d’un examen médical suite à l’impact.

Sur une petite partie de son œil, il perçoit une légère réaction à la lumière semblable aux «battements» lumineux que l’on perçoit paupières fermées lors d’un voyage en train ou en voiture. L’autre partie est dans le noir complet.

C’est tout le quotidien qui est impacté. Les perspectives n’existent plus et le champ de vision latéral est nul.

Gwendal a laissé de côté le cache-œil pour une paire de lunettes à tons chauds. Son œil mutilé est moins visible lorsqu’il les porte, Il supporte mieux le regard des autres.

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Illustration 3
GMD (grenade à main de désencerclement) © Rudy BURBANT

Les GMD (Grenades à main de désencerclement) sont composées de 18 plots en caoutchouc de 9 g qui se dispersent dans toutes les directions à une vitesse de 450 km/h sur une portée pouvant atteindre plus de 15 mètres autour de l’explosion.

Cette vitesse réelle de dispersion, révélée par une étude de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale est plus de 10 fois supérieure à ce qu’avaient annoncé le fabricant et les autorités initialement.

Les GMD ont également un effet assourdissant puisque leur niveau sonore peut atteindre 145 à 165 dB quand elles explosent (des dégâts auditifs irréversibles peuvent être provoqués au delà de 120 dB). 

Elles sont actionnées par un bouchon allumeur d’un retard de 1,5 seconde. Une habilitation individuelle est nécessaire pour utiliser cette arme, qui s’obtient au terme d’une formation. Pour respecter la réglementation, elles doivent être lancées au sol et non en l’air, afin d’éviter des blessures graves à la tête. Un pictogramme rouge sur blanc le rappelle sur la grenade.

Différents collectifs et associations ont documenté de nombreux cas de lancers aériens. L’ONG ACAT a recensé des blessures graves, voire irréversibles, ainsi que des blessures et mutilations dues aux galets, mais aussi aux résidus métalliques du corps et du bouchon allumeur projetés lors de l’explosion, qui peuvent entailler profondément la peau, sectionner un ligament, un nerf, énucléer un œil.

Arme classée par le code de la sécurité intérieure en catégorie A2 : «Matériel de guerre»

Dans le «Schéma national de maintien de l’ordre » publié en Septembre 2020 par le ministère de l’Intérieur, la GENL remplace la GMD. Elle est annoncée «moins vulnérante» par les autorités, son corps et son bouchon allumeur restant intacts lors de la détonation. Mais, elle est toujours composée de ces 18 plots en caoutchouc qui peuvent provoquer lésions et mutilations. Et son effet sonore annoncé est de 144 db minimum à 10 mètres.

Les informations sur les compositions de ces armes restent très opaques et des études réalisées a posteriori sur les effets réels de l’armement des forces de l’ordre.

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Illustration 4
Vanessa © Rudy BURBANT

2018 - Vanessa participe à sa première manifestation avec les Gilets Jaunes le 15 décembre, à Paris. Après deux heures de barrages et de fouilles par les policiers, elle atteint les Champs-Elysées vers 13h.

Accompagnée de trois amis, elle est presque surprise de la bonne ambiance sur place, qu’elle à plaisir à filmer. C’est vers 14h20 alors qu’elle s’éloigne d’un cordon de CRS en marchant sur le trottoir et ne présente aucune menace qu’elle est touchée par un tir de LBD. Le tir à quelques mètres de distance lui brise les os de l’arcade et de l’orbite « comme une coquille d’œuf » et provoque une hémorragie cérébrale.

Une intervention est nécessaire pour lui rendre un «visage humain». Trois plaques de métal sont posées pour reconstruire ce qui a été fracassé par l’impact. Elles provoquent quotidiennement douleurs et œdèmes, exacerbés en présence d’humidité.

Vanessa saisit l’ampleur des dégâts causés par le tir les mois suivants, au fil de ses très nombreux examens médicaux : pertes de goût et d’odorat dues au trauma crânien et au sinus impacté, crises d’épilepsie et absences.

En août 2019, soit huit mois après l’impact, elle découvre, lors d’un scanner du cerveau, une tache sombre. La partie touchée par l’hémorragie cérébrale est nécrosée et donc morte.

Pour retrouver ses capacités à penser et à parler, elle suit une rééducation du cerveau, processus très lent qui permet de retrouver une partie de ses capacités cognitives perdues.

Auparavant pleine de vie, toujours à droite à gauche, elle est désormais régulièrement effrayée par l’extérieur, subit des troubles de la mémoire et de la concentration. Très difficile pour elle de ne pas se reconnaître, tant physiquement que psychologiquement et de devoir se réinventer une personnalité. 

Elle participe à la création du collectif «Les mutilés pour l’exemple» au sein duquel elle est très active.

Sous la pression du choc, Vanessa a perdu la vue de l’oeil gauche qui ne perçoit maintenant que des rayons lumineux. Ses lunettes dont l’un des verres est assombri lui permettent d’atténuer ce phénomène particulièrement désagréable et éprouvant. 

Illustration 5
Paire de lunettes de Vanessa © Rudy BURBANT

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Illustration 6
Munition LBD 40 © Rudy BURBANT

Le LBD 40 (Lanceur de balle de défense) est le successeur du Flashball. Il tire des munitions en caoutchouc dur d’un diamètre de 40mm à 350 km/h.

Il est équipé d’un viseur électronique dont la distance optimale de tir, en terme de précision, est de 25 à 30 m.

Avant 2014, les tirs à moins de 10 mètres étaient interdits pour éviter, selon des notes de la police et de la gendarmerie, de graves lésions corporelles possiblement irréversibles et pour préserver le caractère non létal de cette arme. Cette interdiction n’existe plus.

Plusieurs études scientifiques, pointent l’extrême dangerosité de cette arme. En France, 35 professeurs d’ophtalmologie ont demandé au gouvernement, en mars 2019, un moratoire sur l’utilisation du LBD 40, en dressant le constat d’une recrudescence manifeste du nombre de blessures oculaires extrêmement graves dont il est la cause. En vain.

Le Pr Laurent Thines, neurochirurgien au CHRU de Besançon, constate que les blessures provoquées par le LBD 40 sont très similaires à des blessures d’accidentés de la route qu’il observe  dans sa pratique.

Pour faire comprendre la dangerosité de cette arme il explique que l’énergie de l’impact d’un tir de LBD est équivalente à l’énergie d’un parpaing de 20kg lâché à un mètre au dessus d’un visage. De nombreuses fractures du visage ainsi que de graves lésions sur d’autres parties du corps sont recensées.

Arme classée par le code de la sécurité intérieure en catégorie A2 : «Matériel de guerre»

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Illustration 7
Yann © Rudy BURBANT

2019 - Yann n’avait aucune idée des Gilets Jaunes avant de croiser une manifestation par hasard un samedi après avoir récupéré ses enfants au lendemain d’une soirée pyjama. Il est séduit par leurs revendications qui lui parlent et se joint de nouveau à eux le samedi suivant, 19 janvier.

Ce jour-là, il manifeste l’après-midi puis quitte le cortège pour assurer son service du soir. Il est serveur dans un restaurant du centre de Toulouse. En fin de service, il croise un groupe d’une trentaine d’irréductibles Gilets Jaunes qui déambulent en marchant et chantant dans les rues. Il se joint à eux pour faire un bout de chemin jusqu’à la station de métro toute proche. C’est peu après qu’un groupe de CRS charge et scinde le groupe en deux. Ils ne savent pas trop où aller, un groupe de policiers les poursuit dans les rues, ils fuient tous un peu paniqués.

Dans sa fuite, le groupe d’une quinzaine de personnes dont Yann fait partie monte un escalier. En haut, sur une petite place, deux binômes de policiers qui ont gravis ces escaliers à moto déferlent sur eux et lancent des grenades de désencerclement sur ces personnes éparpillées qui sont pourtant en train de fuir apeurées. La scène est filmée par un homme en roller bien connu des manifestants toulousains. On l’entend hurler de peur et d’incompréhension.

Yann lui, n’a pas la «chance» que la scène soit filmée. Il se retrouve dans un coin assez sombre dos à un muret face à une dizaine de policiers. Ils sont vêtus de jeans, de casques et de boucliers. Il lève les mains en l’air et baisse la tête pour montrer qu’il n’est pas armé, pas dangereux.

En passant devant lui l’un d’eux profite de ses mains levées pour lui mettre un coup de matraque dans les côtes. Un second policier lui envoie un long jet de «gazeuse» dans la bouche. Le troisième lui assène un violent coup de matraque en pleine face au niveau de la bouche.

Yann perd connaissance. Il se réveille cinq minutes plus tard dans une flaque de sang, crache ses dents. Il n’y a plus un policier autour. Ils l’ont laissé là, inanimé, la bouche ensanglantée, la dentition fracassée par le choc.

Il pensait au départ que huit dents avaient été touchées mais il découvre les jours suivants par des examens radiographiques que ce sont onze dents au total. Neuf ont été fracturées, cassées en partie et deux ont été expulsées totalement.

Un devis de plus de 6000 euros lui est adressé pour le remplacement de ses dents. Une somme d’autant moins surmontable que sa mutuelle refuse de prendre en charge les frais médicaux conséquences de manifestations.

Un an et demi après, lors de notre rencontre, Yann n’avait toujours pas pu recevoir les soins pour remplacer ses dents perdues. Il portait depuis 4 mois une prothèse censée être temporaire qu’il devait recoller régulièrement. A cette époque, il n’avait pas retrouvé de travail, qu’il avait perdu suite aux évènements.

Le sourire étant l’atout majeur de son métier de serveur, le malaise ressenti au regard des autres était encore trop présent.

Illustration 8
Prothèse dentaire temporaire de Yann © Rudy BURBANT

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