
Hier soir, j’ai vu Goliath au ciné. C’est un grand film politique, un grand film tout court. J’adore quand on se trouve du côté des salauds, des lobbies, de l’industrie, des scientifiques pourris, des politiciens qui répètent comme des perroquets les fumisteries de la chimie : « La tétrazine, c’est moins cancérigène que les bonbons que vous donnez à vos enfants… » Je suis moins convaincu par les scènes chez les militants, qui font parfois prêchi prêcha, mais bon, on va pas chipoter : grand film, caléidoscopique, des existences éloignées et que pourtant une molécule rapproche.
Évidemment, je le lie – et le lis – au présent : va-t-on redonner les clés de l’Élysée au camp de l’argent ? A un Macron qui, oui, a choisi l’économie, ou les profits, plutôt que la vie ? Qui fait plus qu’ami ami avec Sanofi, ils partagent le même lit ? Ou élira-t-on un Français qui ne copine pas avec la Finance, qui a préservé son indépendance, qui se soucie de notre seul et unique Terre, de nos gosses, de notre santé plutôt que d’ « efficacité » ?
Le film est plutôt noir.
Je crains que la réalité ne soit encore pire.
Dans le film, pas mal de gens luttent, les révélations suscitent, très rapidement, des protestations, des manifestations. Dans la réalité, et encore davantage dans la réalité post-Covid, je crains que l’abattement, le découragement ne dominent bien davantage.
Dans le film, la menace est circonscrite, à une firme, Phytosanis, à des méchants, certes organisés, jusqu’au sommet, mais identifiés. Dans la réalité, je crains que la menace, au fond, ne soit partout, mille industries, mille lobbies, mille intérêts, mille bouches qui mentent en boucle, et qui forment comme une toile d’araignée, comme la toile de fond des médias, de la publicité. Nous sommes les mouches attrapées dedans.
Dans le film, les méchants recourent à la violence – pour dramatiser, aussi, sans doute. Dans la réalité, je crains qu’ils n’obtiennent l’ostracisation, la ghettoïsation des David de notre temps, par cent autres biais, moins visibles, plus discrets – et finalement, tranquillement, la résignation des gens.
Une séquence d’espérance s’ouvrait, multicolore, avec le jaune des Gilets sur les ronds-points, avec le vert des Marches Climat, avec le rouge de la bataille pour les retraites. Le monde des Macron vacillait. Le Covid est venu, avec brutalité, avec autorité, le remettre d’aplomb, dans le gris de l’ennui, des confinements et des couvre-feux, pouvoir maniant les inquiétudes et les peurs – avec par-dessus, encore, le couvercle de l’Ukraine.
Emmanuelle Bercot l’énonce, dans le film : « Contre ce Goliath, nous n’avons pas encore trouvé la fronde. »
Il faut chercher cette fronde, pourtant, sans relâche, dans la rue et dans les urnes, dans le bazar et dans les arts – et je remercie le réalisateur, Frédéric Tellier (que je ne connais pas) de nous offrir ça, de maintenir allumée dans les salles obscures la lumière de la Révolte, et donc de l’Espérance.