Le débat sur la dé-mondialisation entre Géraud Guibert et Pascal Canfin que Médiapart a présenté est intéressant, mais trompeur. Il ne porte en effet que sur un aspect limité du sujet. Il pourrait laisser croire qu'il suffit par exemple de rétablir des droits de douane aux frontières pour faire refleurir les emplois industriels...
On nous dit : Il faut pour cela dé-mondialiser !
Sait-on vraiment ce qu'est la mondialisation ? Ne serait-il pas bien plus pertinent de se demander : Que peut-on dé-mondialiser ? Ce qui est tout autre chose.
Pour simplifier, le débat que vous avez présenté tient pour acquis qu'il suffit de manifester une forte volonté politique, pour obtenir le retour au bercail européen de bonnes vielles usines voraces en main d'œuvre ouvrière, et réparer ainsi les dégâts causés par 30 ans de délocalisations conduites à tombeau ouvert !
La fuite des emplois industriels de l'Europe vers les pays à faible coût de main-d'oeuvre a été consécutive de la baisse des droits de douane orchestrée par le GATT, puis par l'OMC. Mais la mondialisation ce n'est pas que cela, loin de là ! En arrière plan,de multiples autres facteurs expliquent pour une large part la rapidité avec laquelle les délocalisations se sont produites.
Par exemple, sur le simple plan technique, l'existence de Normes Internationales, écrites en anglais, donc lisibles et interprétables sans ambiguïté par le monde entier, simplifie énormément les échanges en faisant disparaître de nombreux obstacles non tarifaires aux échanges. Ces textes que les industriels des pays développés avaient mis des décennies à mettre au point et à harmoniser au prix de milliers d'heures d'ingénieurs passées en réunions internationales dans le cadre de l'ISO par exemple, sont désormais à la disposition de tous les pays émergents sans que ces derniers aient à investir un seul dollar pour les créer. Or, il se trouve que l'harmonisation de ce corpus de normes dans de nombreux métiers s'est réalisée au cours des dernières décennies pour arriver aujourd'hui à maturité. La facilité avec laquelle se font actuellement les échanges de produits industriels n'est pas un hasard !
Je propose comme autre exemple, ce que l'on appelle les transferts de technologie, c'est-à-dire le commerce de savoir-faire. On est loin de l'époque de Colbert qui devait envoyer des espions à travers l'Europe pour recruter à prix d'or des professionnels afin d'établir de nouveaux métiers dans le royaume de France. Il existe aujourd'hui, pour cela des procédures quasiment standard, tant du point de vue technique que juridique et commercial. Il suffit de payer ! Et ainsi, le transfert d'un bout à l'autre de la terre d'une industrie entière peut se faire très, très vite.
Enfin, il y a de multiples autres facteurs qui vont dans le même sens. En désordre, je citerai la généralisation de l'anglais comme langue universelle des affaires, l'arrivée d'Internet et la diminution du coût des télécommunications, la baisse spectaculaire du coût des transports des personnes et des marchandises, des services bancaires disponibles dans le monde entier, des entreprises multinationales capables de proposer des services de contrôle de conformité et de la qualité des produits sur toute la planète. Enfin sur le plan commercial, la concentration des achats dans quelques centrales d'achat au service des grandes enseignes de la distribution, facilite grandement la prospection de nos marchés. Un agent commercial peut, après avoir bien planifié ses rendez-vous, partir de Canton en Chine le samedi, prendre quatre ou cinq rendez-vous d'affaires à Paris pendant la semaine suivante, et appréhender ainsi 50 ou 60 % de la demande française d'un produit particulier... Il sera à son bureau à Canton le lundi de la semaine suivante avec éventuellement de nouvelles commandes à honorer. Les frais de prospection pour exporter vers la France sont ainsi très réduits. Réciproquement, les mêmes centrales d'achat vont prospecter en Chine à la recherche de nouveaux fournisseurs tout aussi aisément. L'émergence d'un réseau mondial de « business schools » qui forment des personnes uniformément formatées contribue aussi à faciliter les négociations commerciales. On pourrait, je crois, lister une vingtaine de facteurs de différentes natures qui accompagnent en le favorisant, le développement du commerce international.
Ainsi, discrètement, le « système commerce international » a subi une véritable révolution qui dépasse de loin la seule problématique des droits de douane. Le commerce international est désormais, à la portée de toutes les bourses ! A tel point qu'aujourd'hui, un individu peut commander directement en Chine, ou ailleurs dans le monde tel ou tel produit qu'il ne trouve pas près de chez lui !
Anecdotique, mais significatif, il est dans certains cas, aujourd'hui moins cher, même en payant les frais de transport, de commander par Internet de la visserie en titane pour vélo de course en Chine plutôt que dans la boutique du coin de la rue !
Tout cela n'est pas dé-mondialisable. C'est même le contraire qui risque de se produire ! On peut sans risque parier sur une banalisation accélérée de cette boîte à outils au service du capitalisme global !
On voit là clairement les limites et même la vanité du concept de « dé-mondialisation » face à ce système mondial en évolution rapide.
On attribue les succès de l'industrie allemande à une politique de spécialisation dans les machines outils. Cela existe certes, mais là n'est pas l'essentiel . La notoriété de certaines marques allemandes pèse beaucoup plus lourd que ces spécialisations. Là on touche à une différence très importante entre le management des entreprises industrielles allemandes et les entreprises Françaises. Les industriels allemands récoltent les fruits d'un long effort de présence sur les marchés extérieurs que peu d'entreprises françaises ont su mettre en œuvre.
Ces considérations nous entraîneraient dans de trop longs développements qui seraient hors de propos. Il est simplement évident là aussi que le concept de « dé-mondialisation » est peu pertinent..
Je n'en conclus pas qu'il faut laisser faire. Il y a beaucoup d'anomalies dans les règles et la pratique du commerce international qui justifient de nouvelles négociations internationales. Mais cela ne doit pas être au détriment d'autres combats, comme par exemple, faire connaître et reconnaître, le « Made in France ».