“penser les corps gays, lesbiens, homosexuels et queers en tant qu’ils émergent de la nation, et non contre elle, revient à reconnaître que certaines nations jouent vis-à-vis des sexualités non normatives un rôle productif et non exclusivement répressif”
Jasbir K. Puar
Théorisé et analysé par Jasbir K. Puar, le concept d’homonationalisme est un concept créé à partir du cas américain dans l’ère post-attentats du 11 septembre 2001 et qui décrit cette tendance à l’intégration dans le corps national des identités queers pour servir l’impérialisme -sexuel- américain. Il faut entendre par là que ce processus de nationalisation des identités queers blanches permet l’émergence d’un discours sur l’exceptionnalisme sexuel américain ( et de l’Occident en général ) qui justifie une division du monde binaire entre un occident progressiste et libéral et un orient religieux et répressif. Jasbir K. Puar parle d’une “ incorporation... de l’homosexualité dans le “nous” nationaliste dans la rhétorique du “nous-contre-eux”. Don Gorton dans Gay Rights in the Clash Civilizations parlait de cette intégration dans le corps national-iste- en évoquant une “ nouvelle humeur nationale empreinte d’un patriotisme à l’ancienne ” que l’on retrouve selon lui jusque dans les quartiers gays où “les drapeaux américains ont remplacé les drapeaux arc-en-ciel aux fenêtres”.
C’est donc dans ce contexte que la notion d’homonationalisme a émergé aux États-Unis mais aussi en Europe occidentale où le concept faisait particulièrement écho à la situation que nous connaissions au début des années 2000. Situation caractérisée par une normalisation des revendications LGBTQIA et une droitisation des opinions politiques de la communauté avec des exemples typiques comme la figure de Pim Fortuyn aux Pays-Bas ouvertement homosexuel islamophobe et raciste. Les partis de droite et d’extrême droite revoient leurs stratégies et leurs lignes politiques et c’est ainsi que naissent des section “gay” comme dans le parti conservateur Union démocratique du centre (UDC) en Suisse ou encore avec la “dédiabolisation” du discours et de l’image du Front National avec l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête. Le discours nationaliste va intégrer dans ses valeurs la défense des causes sexuelles, en tout cas une partie, en intégrant dans son discours la "défense" des femmes et des minorités sexuelles.
Le concept d’homonationalisme est un concept qui a donc dépassé les frontières des États-Unis et qui trouve son utilité aussi pour décrire des situations que nous pouvons connaître en France. Or, comme c’est le cas pour le nationalisme qui relève à la fois d’une logique commune à toutes les Nations et de logiques singulières en fonctions de ces dernières, l’homonationalisme pourrait être envisagé sous l’angle de la pluralité comme un moyen d’affirmer ce qui, au sein de cette tendance occidentale commune à de nombreux pays, se distingue et se différencie. L’approche plurielle de ce phénomène permettrait d’ancrer la critique de l’homonationalisme dans les histoires nationales et les contextes sociaux afin de mieux saisir les enjeux et les causes de ce mouvement et donc de mieux lutter contre.
Si la logique du nous-contre-eux des États-Unis se traduit par une logique de guerre et d’impérialisme contre l’Axe du Mal et donc de la lutte contre un “eux” extérieur, en France la logique semble être inverse d’abord du fait de son histoire coloniale, de sa place dans les relations internationales et de sa moindre participation aux “guerres justes”. En effet, l’homonationalisme en France ne cherche pas à lutter contre un “eux” extérieur mais contre un “eux” intérieur, en continuité avec son discours colonialiste, la France et sa logique des “territoires perdus de la Républiques” et des “zones de non-France” voit son homonationalisme se tourner particulièrement sur les territoires et les populations racisées des quartiers populaires.
“J’entends de plus en plus des témoignages sur le fait que dans certains quartiers, il ne fait pas bon d’être une femme, ni homosexuel, ni juif ni même français ou blanc” disait Marine Le Pen dans un discours prononcé le 10 décembre 2010 à Lyon. Cette préoccupation nouvelle pour les femmes, les homosexuels et les juifs naît dans un contexte où, en France, depuis 2003 apparaît un discours “laïque et progressiste” sur les banlieues et l’islam. C’est, en effet, en 2003 qu’apparaît le mouvement Ni putes ni soumises qui avait pour vocation de défendre les droits des femmes et plus tard des personnes LGB, dans les banlieues françaises en brandissant la laïcité comme valeur cardinale. À sa tête on retrouve Fadela Amarra qui rejoint plus tard le gouvernement Fillon III sous la tutelle de Christine Boutin, mais aussi Franck Chaumont, directeur de communication, qui publia Homo-ghetto, livre dans lequel il décrit les banlieues comme des zones de non-gays, non investis par les associations et des endroits où ces derniers “ne peuvent exprimer leur différence”. À ce titre, Didier Lestrade écrivait dans Pourquoi les gays sont-ils passés à droite ? que l’ “on encourage les jeunes gays de cités à sortir du placard, imposant du même coup l’idée que la banlieue et l’islam ont le monopole de l’homophobie, et on défend mordicus le fameux droit à l’indifférence et le respect de la vie privée”.
C’est à ce moment là qu’émerge aussi un nouveau discours issus de figures médiatiques comme Caroline Fourest, militante médiatique féministe et lesbienne qui a longtemps publié et travaillé sur l’extrême-droite et qui dans le sillage de Ni putes Ni soumises va s’attaquer au sujet de l’islam, de la laïcité avec des ouvrages comme La tentation obscurantistes ( 2005 ), Libres de le dire ( 2010 ) oeuvrant ainsi à entretenir l’imaginaire collectif d’un islam répressif et homophobe et des quartiers comme des zones dangereuses et à reconquérir par le progrès. Dans Les Féministes et le Garçon arabe Nacira Guénif Souilama et Éric Macé montrait déjà l’instrumentalisation de la figure du “garçon arabe” par la figure de la lesbienne radicale.
Depuis se développe ce discours désormais islamophobe et souvent raciste à travers les canaux de ce qui va s’appeler la “gauche républicaine” avec des mouvements comme Le Printemps Républicain, des figures comme Manuel Valls, Zineb El Rhazoui, Éric Neaullau… Certains faits divers comme l’attaque transphobe de Julia sur la Place de la République lors de la manifestation contre le gouvernement algérien le 31 mars 2019, permettent aux médias de droite et d’extrême-droite de se pinkwasher sur le dos à la fois des musulman.e.s et des personnes racisées mais aussi sur le dos de la communauté LGBTQIA+ dont ils ne parlent jamais du reste de l’année sauf pour en critiquer les dérives “wokistes” ou “communautaristes”.
Le problème avec tout ça c’est que ça fonctionne. Dans un contexte où le vote pour l’extrême-droite atteint des records et où l’immigration fait partie des sujets les plus importants pour les français, la communauté gay n’est pas en reste et participe à la droitisation générale de la société. Le sondage commandé par Têtu pour les élections présidentielles de 2022 montre que près de 30% de la communauté LGBTQIA+ était prête à voter pour un.e candidat.e d’extrême-droite ce qui correspond aux intentions de votes exprimées par l’électorat hétérosexuel.
Le rapport à la République, à l’universalisme, la panique morale liée au “wokisme”, l’émergence de discours sur l’exceptionnalisme sexuel français et de figures politiques de droite et d’extrême-droite gays ou lesbiennes témoigne des mutations nouvelles que connaît notre communauté et la reconfiguration des espaces marginaux avec une identité homosexuelle hétéronormative et blanche qui s'intègre et une identité non-normative, queer et non-blanches à qui l’on demande de choisir entre intégration des normes ou marginalité ou à qui l’on ne propose uniquement que les cas de la marginalité.
Tous ces phénomènes de droitisation et de normalisation de la communauté gay et plus généralement des causes féministes et LGBTQIA+ semble constituer l’une des principales mutations en cours du champs politique dans la mesure où elle se traduit par l’intégration dans le corps national et le discours légitimé d'identités et de revendications jusqu’à très récemment marginalisées créant ainsi de nouveaux rapports de forces et de nouvelles figurations des espaces marginaux.
Ryan Laloyer