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Billet de blog 20 décembre 2024

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La croissance : une addiction devenue obsolète ? - avec Geneviève Bouché

En plein débat budgétaire, la très faible croissance grève toujours plus les recettes des finances publiques. Pourtant, qu’il faille s’habituer à ce faible taux n’est pas qu’une fatalité, c’est aussi une nécessité : il est grand temps d’assumer que la société dans laquelle nous vivons a changé.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tabou ou pas, le mot est lâché : récession. S’il s’invite dans le débat budgétaire, il nous interroge aussi sur notre rapport à la croissance, prévue à 1.1% pour 2025 d’après le ministre de l’Économie. Rien à voir avec les 3,9% pas si lointains de l’an 2000. Pourtant, nous utilisons toujours les mêmes indicateurs de mesure mis en place lorsque Jean-Pierre Fourcade était ministre du premier gouvernement Chirac, comme si rien n’avait changé depuis.

Entre-temps, le pays s’est désindustrialisé et notre démographie a évolué au profit d’une population vieillissante, dont la politique familiale ne lui permet plus de rester au-dessus du taux de 2,1 enfants par femme depuis deux ans. 

Constatons que nos habitudes de consommation, elles aussi, ont changé : à partir de la fin des années 2000, avec l’accélération du changement climatique et le développement de l’économie circulaire et surtout depuis la période post-Covid : à titre d’exemple s’agissant de l’alimentaire, Kantar note qu’en 2021, 85% des consommateurs achètent moins pour éviter le gaspillage, 40% se tournent vers le vrac ; dans la même optique, en juin 2022, une majorité de Français se disaient prêts à payer plus cher pour acheter local et fabriqué en France, d’après une étude de l’IFOP. La tendance ne se dément plus.

De même, la place du travail dans la vie des jeunes actifs n’est pas aussi prépondérante que chez leurs aînés : à en croire la philosophe Julia de Funès, ceci serait la conséquence d’un travail qui ne rémunère plus assez et de l’envie de temps libre. 

Dans le même temps, les Français souhaitent un vivre ensemble de qualité : la reconquête de l’espace public au profit des piétons, de lieux de rencontre et de convivialité en est un exemple éloquent. Cela concerne toutes les grandes et moyennes villes, quelle que soit leur couleur politique : c’est vrai des bords du Rhône à Lyon comme des bords de Loire à Orléans.

Les services publics locaux, les plus proches des citoyens, sont plébiscités, à commencer par les crèches. Or, ces équipements, au-delà des infrastructures nécessaires à leur fonctionnement, nécessitent des effectifs importants d’agents pour les faire fonctionner. N’envisager ces services que sous l’angle de « dépense publique » et jamais ni pour les talents nécessaires pour les incarner sur le terrain, ni pour ce qu’ils « rapportent » pose la question de nos indicateurs de richesse.

L’engagement associatif, pourtant indispensable pour développer un vivre ensemble de qualité, est lui aussi exclusivement perçu comme un coût et jamais pour ce qu’il apporte à la société ou indirectement à notre économie.

Or, tout ce qui contribue à développer un vivre ensemble de qualité devient stratégique en termes de compétitivité : il s’agit de retenir et d’attirer les talents dont nos entreprises et nos administrations ont besoin dans un monde hautement numérisé qui ne recherche plus de la main d’œuvre abondante et soumise, mais une sélection de cerveaux d’œuvre au mieux de leurs moyens en tant qu’experts, managers et créatifs.

La démographie déclinante n’est pas un signe d’affaiblissement, mais d’une volonté de la part des familles à avoir moins d’enfants, mais des enfants mieux éduqués. 

L’allongement de la vie en bonne santé est une opportunité à prendre de manière constructive, car la transmission des savoirs et les retours d’expérience tendent à prolonger cette durée de vie en bonne santé, tout en dynamisant le patrimoine culturel et fraternel. 

Qu’il faille s’habituer à ce faible taux de croissance n’est donc pas qu’une fatalité, c’est aussi une nécessité : il est grand temps d’assumer que la société dans laquelle nous vivons a changé.

Face à un débat public en noir et blanc, nous ne pouvons que questionner des indicateurs inadaptés à notre époque – la seule avancée en la matière, la loi Sas de 2015, se borne à un rapport remis annuellement au parlement, dont d’ailleurs personne ne parle dans le débat public : il est temps d’agir ! 

Devant une économie où la partie contributive devient un facteur de compétitivité, c’est aussi notre mécanisme monétaire qui devient obsolète. Certes il a permis l’avènement de l’ère industrielle avec succès. Mais aborder cette perspective nouvelle avec détermination est indispensable pour sortir de la nostalgie des années 1980 vers lesquelles nous ne retournerons plus.

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Geneviève Bouché

Futurologue cybernéticienne, spécialisée dans le numérique

Serge Brière

Journaliste, ancien collaborateur parlementaire

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.